"Pourquoi accepter que le cinéma, cet art que nous aimons tant, soit utilisé comme un trafic illicite de jeunes filles ?". Huit minutes durant, Judith Godrèche a dit les termes. Lors de la dernière cérémonie des César le 23 février dernier, l'actrice a tenu son ambition, énoncée quelques jours plus tôt dans la presse : délivrer un discours sur les violences sexistes et sexuelles.
Mais elle a fait plus que ça. Confronter un milieu à sa propre impuissance, à son déni et son entresoi. Confronter toute une culture à ses propres constructions, mythes - pygmalion, "muses", homme et artiste - et inciter toute une intelligentsia à s'interroger sur ses propres contradictions et limites.
"C'est compliqué de me retrouver devant vous ce soir, vous êtes si nombreux. Beaucoup d'entre vous m'ont vu grandir. Depuis quelque temps, la parole se délie, l'image de nos pères idéalisés s'écorche. Le pouvoir semble presque tanguer".
"Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face, prendre nos responsabilités ? Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas. Ou à peine. Où êtes-vous ? Un chuchotement, un demi-mot, ce serait déjà ça", a encore suggéré la comédienne devant une assistance au silence funèbre. Des mots intenses, sur lesquels l'actrice est revenue... Avec force.
Dans les pages du Parisien, Judith Godrèche a fait le "debrief" de ce monologue à l'introspection intime mais au dessein collectif. Elle se dit bousculée par l'impression contradictoire entre "ce désir que les choses changent" et la crainte "qu'il ne se passera rien". Et parle concrètement : "Je veux savoir ce qu'on va faire maintenant. Mon propos, c'était : 'Et maintenant, agissons !' Pour moi, l'étape suivante, c'est de m'entourer de gens et de réfléchir à des solutions concrètes".
"C'était très angoissant ce discours, j'avais l'impression d'entrer dans une forteresse complètement fermée, d'arriver dans un dîner où certains auraient préféré que je ne sois pas là. Mais il fallait que j'aille au bout de ma démarche. Que je regarde ce milieu droit dans les yeux. Je continuerai, je ne lâcherai pas. Même si c'est très douloureux, j'assume le sentiment de 'trahir' en quelque sorte la grande famille du cinéma. Il y a un silence que je vis au jour le jour"
Aux César, elle disait déjà : "Nous pouvons décider que des hommes accusés de viol ne puissent pas faire de cinéma. On ne peut pas être à un tel niveau d'impunité, de déni et de privilège. Nous devons donner l'exemple, nous aussi. Mon passé, c'est aussi le présent des 2000 personnes qui m'ont envoyé leurs témoignages en quatre jours. C'est aussi l'avenir de tous ceux qui n'ont pas encore eu la force de devenir leur propre témoin"
Une prise de parole qui a beaucoup ému la grande Césarisée Justine Triet, clamant auprès de l'AFP : "En tant que femme, ça signifie tellement. Son intervention était très importante et a ému absolument tout le monde. Je pense qu'on est en train de vivre le #MeToo français et c'était très présent dans cette cérémonie"
Comment on agit, concrètement ? Judith Godrèche a déjà commencé. En prenant la parole, à travers la création (sa minisérie Arte), à travers ses témoignages dans les médias, les émissions, cérémonies, mais aussi... En créant une adresse mail : moiaussijudith@gmail.com. Les victimes d'abus peuvent lui écrire afin de témoigner. "Je suis là. Derrière cette adresse e-mail. Prête à vous lire et à réfléchir à un projet qui vous rend hommage. Quel que soit le milieu dans lequel vous avez été abusé(e)", écrit-elle en préambule.