Société
Son fils est né d'une GPA : Christophe Beaugrand répond aux questions sensibles
Publié le 3 novembre 2021 à 14:30
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Valentin est né en 2019 d'une mère porteuse américaine. Son père, le journaliste Christophe Beaugrand, revient longuement sur son parcours pour devenir parent dans un livre, "Fils à Papa(s)". Nous avons échangé avec lui sur la gestation pour autrui (GPA), ses questionnements éthiques et intimes et son engagement.
Naissance de Valentin, le fils de Christophe Beaugrand et Ghislain Naissance de Valentin, le fils de Christophe Beaugrand et Ghislain© collection personnelle Christophe Beaugrand – Fils à papa(s)
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"Ce sont des questions légitimes et on se les est posées nous aussi, bien sûr." Christophe Beaugrand joue la carte de la transparence, de l'honnêteté. Parce qu'il sait que son témoignage est nécessaire pour expliquer et dédramatiser. Le journaliste de 44 ans et son mari Ghislain Gerin se sont lancés dans une aventure qui a bouleversé leur existence : ils sont devenus parents d'un petit garçon né aux Etats-Unis d'une mère porteuse en 2019. Grâce à une gestation pour autrui (GPA) dite "éthique", "dans un pays où cela est sérieusement encadré et surtout dans le respect total de la femme qui, à aucun moment, n'est obligée de quoi que ce soit", martèle-t-il.

Alors que cette pratique reste interdite en France, Christophe Beaugrand a souhaité raconter son parcours du combattant dans un livre, Fils à papa(s). Un récit intime dans lequel il revient sur la découverte de son homosexualité, sur le rejet douloureux de certains de ses proches, sur sa rencontre avec Ghislain. Et où il se confie surtout sur le long et difficile cheminement pour réaliser le rêve de sa vie : devenir père. Au fil des 312 pages, il dit tout, sans tabous : le prix d'une GPA ("entre 120 000 et 160 000 dollars"), leur "sélection" de la donneuse d'ovocytes, la rencontre et les liens noués avec la mère porteuse, le labyrinthe administratif, les angoisses, les questionnements et les grands bonheurs.


Nous avons longuement échangé avec l'animateur, conscient que la gestation pour autrui continue à soulever bien des questions éthiques et réveille les fantasmes des partisans de la Manif pour tous contre lesquels il se heurte depuis longtemps. Le petit Valentin a aujourd'hui deux ans, Christophe Beaugrand est un père heureux et bien décidé à faire évoluer les mentalités en douceur, avec pédagogie.

Terrafemina : Avez-vous eu peur en écrivant ce livre sur un sujet aussi sensible et complexe que la GPA ?

Christophe Beaugrand : Non, au contraire, cela m'a fait beaucoup de bien de mettre sur le papier tout ce qu'on avait vécu. J'avais commencé à écrire à titre personnel. Puis un éditeur m'a contacté. Il cherchait à publier un témoignage sur la gestation pour autrui et il a réussi à me convaincre. Il m'a proposé un co-auteur, mais j'ai refusé : notre histoire est trop intime.

Je voulais que chaque mot soit de moi. J'ai d'ailleurs parfois pleuré durant l'écriture, notamment en revenant sur mon passé. J'ai juste eu un peu peur lors de la sortie car c'est une certaine mise à nu que je partage avec le public et même des proches. Je me suis livré comme jamais. Et les retours sont formidables.

Quels genres de retours avez-vous reçus ?

C.B. : Des homos qui se reconnaissent beaucoup dans la première partie du livre où je parle de mon enfance, de ma découverte de l'homosexualité. Et des mères qui me disent que le livre leur permet de mieux comprendre leur fils gay. D'autres encore se sont dit qu'elles allaient pouvoir devenir mamies... Cela provoque beaucoup de témoignages, les gens se confient. On se rend compte que l'envie de fonder une famille est universelle, ce n'est pas un livre communautaire sur les gays.

Vous et votre mari avez eu recours à une GPA dite "éthique" aux Etats-Unis pour avoir votre fils Valentin. Expliquez-nous.

C.B. : On l'appelle "éthique" pour la différencier d'autres gestations pour autrui qui peuvent exister dans certains pays, où la femme n'est vraiment pas respectée, où le corps humain est clairement utilisé. Ce sont des pratiques scandaleuses et je suis le premier à le dénoncer. Dans les pays de l'Est par exemple, il existe des filières clandestines dégueulasses. Mais il y aussi des GPA éthiques qui existent dans beaucoup de pays, en Angleterre, en Israël, aux Pays-Bas... Des pays qui ne sont clairement pas des dictatures qui oppriment les femmes.

Aux Etats-Unis et au Canada, la GPA est ouverte aux couples étrangers. Nous avons choisi les Etats-Unis : il y a un accompagnement juridique, médical, psychologique, les femmes qui participent sont choisies sur leur niveau de revenus. Les femmes pauvres ne peuvent pas y participer afin que l'argent ne soit pas leur motivation. Personne ne vit de la GPA : c'est un mensonge de le dire. Et il faut rappeler que c'est la mère porteuse qui choisit le couple dont elle va porter le bébé. Non, nous n'avons pas commandé un bébé sur Internet !

C'est d'ailleurs également pour notre mère porteuse, Whitney, que j'ai voulu écrire ce livre, pour réhabiliter son image. Elle a été très blessée lorsque certaines personnes ont osé la traiter d'"esclave". C'est tellement loin de l'aventure que nous avons vécue. Aujourd'hui, elle, son mari et leurs trois filles font partie de notre famille. C'est avant tout une histoire d'amour et de don de soi exceptionnelle.

Whitney, la mère porteuse de l'enfant de Christophe Beaugrand © collection personnelle Christophe Beaugrand – Fils à papa(s)
Justement, vous avez questionné Whitney sur ses motivations. Elle avance la générosité. Une GPA éthique bénévole ne serait-elle tout de même pas plus saine afin de s'assurer que l'on soit réellement dans une logique de don purement altruiste ?

C.B. : Je comprends la question. C'est plus ou moins le cas en Grande-Bretagne sauf que ce n'est pas totalement bénévole puisqu'une grossesse a forcément un coût. Entre les vêtements, la garde d'enfants, l'arrêt de travail quand on est trop fatiguée... Whitney a touché 30 000 dollars dans lesquels sont intégrés des frais pour son suivi médical, de garde d'enfants, de compensation au temps et à l'énergie passés. C'est un investissement physique, psychologique et affectif très important. L'argent ne fait pas tout et je ne crois pas qu'une femme serait vénale au point de se lancer dans cette aventure en échange d'une valise de billets. Au final, le dédommagement que touche Whitney est très réduit par rapport à la somme totale de la GPA.

Avez-vous craint cette période gestationnelle, que Whitney s'attache trop à cet enfant qui n'était pas le sien par exemple ?

C.B. : Elle a déjà porté ses trois enfants et pour être mère porteuse, il faut avoir "fini" sa famille. Une mère qui a 20 ans et n'a jamais eu d'enfants ne peut pas être mère porteuse, c'est interdit aux Etats-Unis. Il y a aussi un suivi psy pour s'assurer que ces femmes ne s'attachent pas, qu'elles sont prêtes car ce n'est évidemment pas anodin.

Mais c'est une question que l'on se posait régulièrement pendant sa grossesse. Nous la questionnions de manière très franche. Et elle nous répondait de façon touchante : "Je sais que c'est votre bébé, j'ai une mission, c'est de faire grandir votre bébé". Quand on a su que le transfert d'embryon avait marché, elle nous a d'ailleurs dit : "We are pregnant" ("Nous sommes enceint·e·s"). C'était un symbole très fort. Il ne faut pas projeter ses propres peurs sur les mères porteuses : c'est leur choix et une envie de le faire.

Vous parlez avec dérision de "Meetic des ovocytes" lorsque vous avez consulté ces fameux catalogues de donneuses. Avez-vous ressenti une forme de malaise ?

C.B. : Pas vraiment un malaise. J'étais surtout surpris, car je ne pensais pas que ça se passait comme ça. Cela ressemble en effet à des bases de données de sites de rencontres. Mas finalement, c'est comme dans la vraie vie, on se voit, on se plaît ou pas.

En fait, je ne comprends pas les critiques de risques d'eugénisme. Des personnes balancent des fake news du type : nous pourrions soi-disant choisir la couleur des yeux, des cheveux, sa taille... Ce n'est tout simplement pas possible biologiquement. On pourra choisir une donneuse d'ovocytes qui a les yeux bleus, mais rien ne garantit que l'enfant aura les yeux bleus.

En France, lorsque vous avez recours à un don de sperme, le donneur est anonyme mais on connaît sa couleur de peau, la couleur de ses yeux, sa taille et personne ne s'en offusque. Ou alors soyons cohérents : on ne fait plus appel à des dons d'ovocytes ou de sperme ou des fécondations in vitro. Dès lors qu'il y a une intervention médicale pour vous aider à devenir parents, on peut estimer qu'il y a eu une manipulation du vivant. Je ne suis pas d'accord avec ça, mais je peux l'entendre. Mais si on est contre, on est vraiment contre.

Certains Américains que vous avez rencontrés ne comprenaient pas que la GPA soit interdite en France. "Qu'est-ce qui pourrait empêcher une femme qui le choisit librement de disposer de son corps pour porter le bébé d'une famille qui ne le peut pas ?", vous demandaient-ils.

C.B. : Oui, ils étaient très surpris alors que la France est pour eux "le pays de la liberté". Aux Etats-Unis, on prône la liberté individuelle, alors qu'en France, on est dans une idée collective de la liberté. Mais à trop vouloir protéger, on entrave parfois ces libertés individuelles. De fait, depuis que le livre est sorti, beaucoup de femmes nous disent qu'elles aimeraient porter un bébé pour aider une famille si c'était possible en France. Le corps d'une femme lui appartient. Je comprends que certaines personnes soient gênées, mais on ne peut pas parler à la place de ces femmes.

Non, toutes ces femmes ne sont pas manipulées ou dans la misère, ce n'est pas vrai. Il y a des dérives dans certains pays et je le dénonce fortement. Mais il y a aussi des personnes qui le choisissent librement. Whitney nous a même dit qu'elle avait trouvé cette aventure tellement extraordinaire qu'elle serait prête à porter notre deuxième enfant si nous le désirions. Il n'y a aucune contrainte, aucun malaise.

Attention, je ne suis pas un fervent défenseur de la GPA, je ne dis pas qu'il faut absolument l'autoriser en France, je suis mesuré. Bien sûr, cela pose de questions d'éthiques complexes, il peut y avoir des dérives. Pour nous, ça s'est bien passé, mais ce n'est pas toujours le cas. Je ne suis absolument pas dans une vision manichéenne. Je raconte juste notre histoire.

Votre livre a mis les partisans de la Manif pour tous dans tous leurs états. Que leur répondez-vous ?

C.B. : Ils ne m'ont jamais vraiment apprécié à vrai dire, car j'ai toujours eu des prises de position qui ne correspondaient pas aux leurs (sourire). Ce qui les énerve, c'est que les personnes qui m'ont interviewé ne m'auraient pas apporté suffisamment de contradictions. Mon livre n'est pas politique, c'est un témoignage. Je suis à même d'échanger avec des gens mesurés. Le problème avec des personnes de la Manif pour tous, c'est qu'elles sont souvent caricaturales : elles persistent à véhiculer des fake news. Par exemple, que les mères porteuses seraient des femmes pauvres aux Etats-Unis : c'est faux, je l'ai vécu. Et puis la Manif pour tous a un problème avec le fait que deux personnes du même sexe élèvent un enfant, par peur de la "disparition" de la figure paternelle ou de maternelle.

Je pense qu'aujourd'hui, on a dépassé ça. J'entends que pour certaines et certains, ce soit perturbant. Mais je ne supporte pas les mensonges comme : "Vous achetez des bébés comme sur Amazon". C'est horrible de dire ça ! Quand on prétend défendre les enfants, on ne dit pas qu'un enfant est une marchandise, c'est monstrueux. Les excès sont intolérables et je les réprouve.

Fils à Papa(s), le livre de Christophe Beaugrand © Plon
Dans votre livre, vous chargez Emmanuel Macron qui promettait la reconnaissance des enfants nés par GPA à l'étranger.

C.B. : Il y avait eu une promesse d'Emmanuel Macron pendant la campagne de 2017 : il avait dit que ces enfants nés par GPA à l'étranger étaient évidemment français, qu'on ne pouvait pas les mettre en danger en ne les reconnaissant pas. Force est de constater que ça n'a toujours pas été fait.

Il y a une navette parlementaire sur ce projet de loi : le problème, c'est que l'on va contraindre le parent qui n'est pas le parent biologique à adopter son propre enfant. S'il s'agit des mêmes contraintes que lors d'une adoption classique, avec une enquête sociale et tout, je confirme que c'est d'une violence très traumatisante pour les parents qui ont élevé leur enfant depuis leur naissance et qui auront à se justifier auprès d'une assistante sociale pour adopter celui ou celle qui est leur propre enfant. Je prends acte de la bonne volonté du gouvernement : la PMA pour toutes a fini par passer, même si ça a pris du temps. Mais on attend toujours l'engagement d'Emmanuel Macron : c'est dans l'intérêt des enfants et de leurs parents de faire en sorte que leur famille soit protégée et respectée.

Craignez-vous pour vos droits avec la campagne présidentielle qui arrive ?

C.B. : Je pense que mettre le sujet de la GPA sur la table en 2022 serait une mauvaise idée. Le climat est tellement hystérisé et violent que cela retomberait sur nos familles et il y a déjà suffisamment de haine sur les réseaux sociaux et dans la bouche de certains candidats.

En revanche, on peut se poser la question du recul des droits : il y a 5 ans, François Fillon avait envisagé de revenir sur la possibilité pour les couples homosexuels d'adopter, il était en lien avec la Manif pour tous. On voit que plusieurs candidats s'en rapprochent aussi. Rien n'est jamais acquis. Je ne sais pas s'il y a lieu de s'inquiéter, mais il faut rester vigilant. Ce que l'on a pu conquérir avec le mariage pour tous par exemple a tellement contribué à la normalisation des choses, à l'acceptation des homos dans les familles. Il n'y a plus cette idée de clandestinité qui pesait sur les personnes homosexuelles. Je me rappelle de notre mariage : lorsque la maire du 8e arrondissement nous a donné notre livret de famille avec la mention : "République française, époux/époux", ça m'a tellement ému ! On se dit que ça y est, la République nous accueille, nous accepte. Symboliquement, c'était très fort.

Vous partagez des photos de votre couple et de Valentin sur les réseaux sociaux, en veillant à toujours masquer son visage. Est-ce une forme de militantisme ?

C.B. : Oui. Notre visibilité est importante pour les autres familles. Ce que l'on partage, ce sont des images qui font avancer les mentalités. Je suis un garçon engagé. Je lutte contre les discriminations, contre l'homophobie, je suis impliqué auprès de l'association Le Refuge qui recueille les jeunes gays qui se font mettre dehors.

Dans mon livre, je raconte le fait d'avoir été rejeté à l'école, mais aussi par mon grand-père qui m'a foutu dehors quand il a appris que j'étais homo en disant que j'étais "la honte de la famille". J'aimerais qu'aucun jeune aujourd'hui ne connaisse un rejet pareil, parce que c'est difficile. J'ai eu la chance d'être soutenu par le reste de ma famille, mais certaines personnes sont très seules.

Je ne dirais pas que c'est un engagement politique, mais je le ressens comme une sorte de devoir. J'ai envoyé mon livre à des députés avec qui j'avais discuté sur les droits bioéthiques, à Emmanuel Macron, à Brigitte Macron... Je me considère comme très privilégié et je veux mettre ma notoriété au service d'une cause qui peut peut-être faire avancer la société. La naissance de Valentin m'encourage à me bouger pour les nouvelles générations. Certaines personnes me disent que c'est casse-gueule ou dangereux par rapport à ma popularité : je pense exactement le contraire. Quand les gens savent que vous avez des convictions, on vous respecte davantage.

Fils à papa(s)

Un livre de Christophe Beaugrand

Editions Plon

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Société GPA News essentielles parentalité Homoparentalité interview LGBTQI enfants parents Livres
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