La procréation médicalement assistée pour les femmes seules et pour les couple de femmes fait débat aujourd'hui dans la société française. La secrétaire d'Etat chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a annoncé ce jeudi 15 novembre que la discussion sur la PMA à l'Assemblée Nationale serait reportée de six mois. Initialement prévue en janvier 2019, elle le sera à l'été.
Mais q'en est-il de l'égalité avec des hommes et des femmes dans la fondation d'une famille si la PMA passe ? La gestation pour autrui (GPA) est illégale en France et elle n'est pas non plus au programme des réformes à venir.
Même l'animateur Marc-Olivier Fogiel, auteur du livre Qu'est-ce qu'elle a ma famille ? sorti cet automne, qui s'est confié sur son expérience et celle d'autres couples, homosexuels et hétérosexuels, n'arrive pas à se positionner sur la question. L'animateur, père de deux filles, pense que "la société [française] n'est pas prête à ça aujourd'hui".
Pour en savoir plus sur cette expérience souvent mal connue et qui déchaîne les passions, nous avons laissé la parole à Franck, 37 ans, pour qu'il raconte son parcours pour avoir un enfant avec son mari. Loin des débats enflammés (et souvent radicaux), Franck a voulu raconter son histoire pour démystifier le processus de la GPA. Il entend aussi répondre aux féministes qui voit dans cette pratique une nouvelle exploitation du corps des femmes.
Le parcours fut long, éprouvant, même si Franck l'avoue lui-même : "Si on doit faire un film pour parler de la GPA, c'est notre histoire qu'il faut raconter." Ensemble depuis 2008, lui et son conjoint se sont mariés en novembre 2016. Et tout de suite pour le couple, le projet a été de fonder une famille.
Pour se renseigner, les jeunes mariés se tournent vers une association parisienne. Là, on les oriente, on les guide. On leur explique que l'adoption pour les couples LGBT est extrêmement compliquée, voire quasiment impossible.
Ils décident finalement, après mûre réflexion, de se tourner vers une GPA éthique. Pour cela, ils choisissent le Canada, où les femmes qui décident de porter les enfants de couples hétéro ou homo qui ne peuvent pas en avoir naturellement sont entièrement libres de fixer leurs règles et leurs choix tout au long du processus.
C'est une agence sur place qui va les aider à trouver une femme qui acceptera de porter leur enfant. Alors que le processus peut parfois prendre des mois, la chance est au rendez-vous : en seulement quatre jours, une femme choisit leur dossier. Le couple et la future mère porteuse ont alors quinze jours pour faire connaissance avant d'accepter ou non de vivre cette aventure commune.
"Pendant les deux semaines sur Skype, on apprend à se connaître, mais on discute aussi des termes du contrat et d'argent. On discute chaque point ensemble, et on n'impose rien à personne, tout est pris d'un commun accord.
Toutes les situations possibles sont envisagées ! Y compris en cas de décès des deux papas, si on décide d'avorter, ou si l'avortement n'est plus possible, qu'est-ce qu'on fait de l'enfant... A chaque clause, elle est d'accord et c'est elle qui a le dernier mot."
Dans le contrat, "tout est mis, y compris si on prend la décision d'un avortement s'il y a une trisomie. Nous l'avions déjà précisé dans notre dossier à l'agence qui nous a matché avec cette femme porteuse, mais là tout est remis noir sur blanc.
Le contrat n'a pas de valeur légale, il est juste utile en cas de procès si il y a désaccord entre les deux parties, mais la femme porteuse aura le droit de changer d'avis à chaque moment du processus.
Il y a des clauses, pour vous dire à quel point les femmes porteuses sont bien protégées et que ça va loin, qui précisent même la procédure si les parents ne viennent pas chercher l'enfant. Même si ça n'est arrivé qu'une seule fois en trente ans. C'est imposé sur le contrat et personne ne peut discuter." [Si les parents ne viennent pas chercher l'enfant, il est proposé à l'adoption avec une priorité à la femme porteuse.]
Mais il a aussi fallu parler de choses concrète comme l'argent : "Quand il s'est agit de parler d'argent, c'est elle qui a tout de suite abordé le sujet, alors que j'avais dis à mon mari de faire très attention à ce qu'on allait lui dire pour ne pas l'offenser. Ça m'a mis à l'aise, parce qu'il n'y a aucun tabou."
La marchandisation du corps des femmes est la raison principale du rejet des opposants à la gestation pour autrui. Franck tient donc à préciser ce qu'il en est réellement : "Ce que reçoit la femme porteuse, ce sont des remboursements de frais liés à la grossesse, pour qu'elle ne lui coûte pas d'argent. Le plafond, c'est 20 000 dollars (17 675 euros) sur dix mois, répartis en 2000 dollars (1 767 euros) par mois de factures remboursées. Si elle a une perte de salaire parce qu'elle doit s'arrêter, nous lui indemnisons cette perte, en plus des coûts mensuels".
Pas d'argent en plus donc, seulement des remboursements de frais. Franck insiste sur le fait que la femme qui a accepté de porter leur enfant l'a fait de manière altruiste. Elle qui avait déjà un enfant voulait qu'eux aussi puissent connaître la joie de fonder une famille.
"Pendant cette période, on s'envoyait des messages tous les jours et un Skype une fois par semaine et la relation s'est construite quotidiennement de plus en plus fort."
A la fin des quinze jours de réflexion, chaque parti décide de donner suite ou non : "Au moment de se quitter, on lui demande : 'Et donc au fait, on le fait ou on le fait pas ?'. Et là, elle s'est mise à rire : 'Bah bien sûr ! Évidemment !'"
Même si tout se fait par mail avec l'avocate, qui leur a fait relire mot pour mot la vingtaine de pages, Franck raconte qu'ils ont beaucoup pleuré pendant la signature du contrat qu'ils attendaient tant.
Le couple est alors embarqué dans le long processus de GPA, comme dans un parcours de montagnes russes émotionnelles.
La femme porteuse trouvée, il faut maintenant choisir une clinique et une donneuse d'ovule. En effet, la femme porteuse ne porte pas son enfant mais bien celui du couple, il n'a aucun lien génétique avec elle.
Le couple choisit une clinique à San Diego en Californie aux États-Unis. "Parce que les cliniques au Canada ont un protocole et des outils pour travailler qui sont plus approximatives. On est allé en Californie pour le dépôt de sperme et on a déposé les deux pour maximiser nos chances. Nous avons aussi la possibilité de savoir ou de ne pas savoir qui a été choisi au final. Nous avons décidé de le savoir pour des raisons médicales futures ou si notre enfants voulait savoir plus tard. La clinique fait moitié avec l'un et moitié avec l'autre quand il féconde les ovules. Si on donne tous les deux, c'est double coût."
"Pour la donneuse d'ovule, si nous avions la possibilité de prendre une agence externe. Nous avons cherché sur celle de la clinique parce qu'ils sont drastiques sur la sélection. On va sur une base de données qui ressemble, pas à LinkedIn, c'est plus trash... Honnêtement, c'est vraiment la partie qu'on a le moins aimée, qui a été le plus désagréable pour nous.
Nous avons fait le choix d'aller vers le Canada pour ne pas tomber dans un processus de marchandisation du corps et là, honnêtement, on avait l'impression de faire nos courses.
Alors on ne voulait pas minimiser et bâcler ça parce que ça ne nous plaisait pas et en même temps, c'est important parce que c'est quand même 50 % du patrimoine génétique de notre enfant.
On a été assez light sur le choix de la donneuse, parce qu'on s'est dit que quand un couple hétérosexuel tombe amoureux, ils ne vont pas se poser des questions du type : 'Alors oui, vous vos antécédents médicaux ? Tes parents, tes grands-parents ?'
Sur la base de données, c'est assez gore : il faut choisir les origines, ou la 'race' comme eux l'écrivent, la couleur de la peau, des yeux, des cheveux. Et quand on a fait une présélection de profils, on a toute une liste de photos. Et là on va cliquer pour en savoir plus. Donc nous, ce qu'on a fait, c'est qu'on a juste mis blanche cheveux châtains, on n'a pas mis couleur des yeux, on a mis le minimum pour qu'il y est une ressemblance avec nous. On s'est retrouvé avec une cinquantaine de profil.
On a fait une présélection physique, il y a beaucoup de bimbos californiennes très américaines, donc on a pris plus des profils qui ressemblaient à des Européennes, plus naturelles.
On s'est retrouvé avec trois profils et on a affiné avec le dossier. Elles sont toutes anonymes. On a les antécédents médicaux d'elles et de leur famille et un profil psychologique qui indique pourquoi elles font ça, leurs souvenirs d'enfant, leurs lectures préférées. Le but est de voir sa personnalité et son niveau d'études.
Tout est déclaratif. Et justement, il y a eu des réponses franches dans celles qu'on a choisi, du genre 'Pourquoi vous faites ça ?' et elle a répondu 'pour l'argent', parce qu'elles sont payées à cause de la pénibilité du processus de don d'ovocytes qui est une vrai opération chirurgicale. On s'est dit si elle est franche là-dessus, elle le serait sur le reste.
On choisit qu'on le veuille ou non, mais nous n'étions pas focalisés sur les problèmes médicaux. Alors peut-être que ça a aidé à choisir, le fait qu'elle ait fait des études et qu'elle ait un bon métier. On est un profil ouvert à la culture et à la lecture, donc les filles qui marquent qu'elles lisent Closer et ou regardent Koh-Lanta, ça ne va pas nous intéresser.
Mais exactement comme quand on tombe amoureux ! C'est d'ailleurs pour ça que je suis tombé amoureux de mon mari, parce qu'il a ce profil et que je ne serais pas aller vers un mec qui lit Closer et qui regarde Koh-Lanta. On se place dans le contexte d'une première rencontre. Elle est jolie, ses hobbies me plaisent bien. On a dû faire ce processus qu'on n'a pas aimé quatre fois, parce que ça ne matchait pas avec les trois premières donneuses. A chaque fois, on se projette et ça ne fonctionne pas.
Nous avons commencé en mars le processus et fin juin, on avait déjà la donneuse.
Nous avons également discuté avec nos avocats (nous payons le sien) pour savoir si elle acceptait de lever son anonymat. On ne voulait pas lui imposer des responsabilités. On ne voulait pas de contact avec elle et l'embêter avec ça, on comprenait bien qu'elle donnait son ovule pour aider des gens mais qu'après, ce n'était plus son problème, c'est clair.
Mais si plus tard, notre enfant veut avoir des explications de sa part, qu'il puisse en avoir. On voulait juste un contact tous les six mois pour savoir qu'elle avait toujours les bonnes coordonnées. Elle a accepté.
Sur le contrat, il est marqué qu'elle cède la propriété de ses ovocytes et qu'elle n'a plus aucun droit dessus, ni sur les embryons. Nous avons également signé un troisième contrat avec la clinique.
Le processus pour prendre les ovocytes est compliqué et douloureux. La donneuse doit suivre un traitement hormonal pendant deux semaines et demi pour stimuler l'ovulation et subir une opération. Elle est rémunérée pour ce don.
Je suis devenu un spécialiste de la biologie ! 33 ovocytes ont été prélevés de la donneuse, pour au final 16 embryons. Ce qui est très bien."
"Fin juillet, les embryons étaient cryogénisés. Grâce à notre femme porteuse qui a été patiente et pour des raisons de calendrier, on a attendu l'implantation le 10 octobre 2017.
Pour que la femme porteuse se rende à la clinique, nous lui avons pris les billets d'avion pour la Californie et réservé l'hôtel. Tout est discutable, on peut être là avec elle. Nous, on a décidé de pas nous y rendre parce que ça augmente encore les coûts et qu'on n'est pas sûr que cela marche du premier coup. Elle était d'accord avec nous.
On a pu parler avec elle et la soutenir via Skype pendant l'implantation pour partager ce moment. Nous avons pu voir la procédure sur des écrans en respectant son intimité.
On a une photo de l'embryon à six jours, au moment de l'implantation, et c'est vraiment émouvant. On pourra la montrer un jour à notre enfant et lui dire : 'Regarde, c'est la plus vieille photo de toi'."
"Je ne m'attendais pas à voir la photo des six jours. Quand j'ai vu ça, j'ai pleuré... Du coup, c'est particulier parce qu'on essaie de se protéger à chaque étape de notre projet parce en cas d'échec, il faut pouvoir rebondir et garder le moral. Mais nous voulions toujours voir le verre à moitié plein.
C'est plus difficile dans notre cas, parce que dans le cas d'un couple hétérosexuel qui veut faire un enfant naturellement, on fait des tentatives et on voit si ça marche ou pas.
Là, pour nous, chaque chose est discutée, pesée, contrôlée, envisagée, des rendez-vous sont posés, donc c'est un peu particulier. On essaie de mettre un peu de distance, mais quand vous voyez des choses comme ça, la photo de l'embryon, c'est émouvant...
Là, l'embryon implanté était dans le corps de notre femme porteuse, mais il pouvait ne pas s'accrocher. Donc à partir de là, c'est beaucoup d'attente. On envoie des mails, il y a le décalage horaire, la clinique ne répond pas forcément tout de suite. Donc c'est beaucoup de stress, ça a beaucoup travaillé ma patience.
On y pense en permanence. On n'est pas angoissé mais, ça fait tellement longtemps qu'on attend ça : on est excité, impatient, anxieux que ça marche pas du premier coup, pour des raisons émotionnelles mais aussi financières.
Parfois, je me réveillais la nuit en me disant : 'On n'a pas envoyé tel mail à telle personne !'
La problématique pour tout, c'est qu'on a l'impression qu'on va exploser d'euphorie à chaque moment. Même quand il y a l'embryon qui a été implanté, il y a des tests régulièrement et des échographies, et à chaque fois on nous dit : 'oui, mais', 'OK, mais'... Et du coup à chaque fois on se dit, on sort le champagne ? Qu'est-ce qu'on fait ?
Je crois qu'on s'est détendu et qu'on a réellement commencé à célébrer à partir du troisième mois de grossesse. Alors, la première fois qu'on a ouvert une bouteille de champagne, c'était pour l'annonce de la fin du premier trimestre, le 14 décembre 2017. On a aussi célébré avec un cadeau pour elle, pour la fin des piqûres."
En effet, la femme porteuse se fait de douloureuses piqûres intramusculaires quotidiennement pendant trois mois qui font un hématome pour éviter le rejet de l'embryon qui n'est pas le sien dans le cadre de cette fécondation in vitro. Ces douleurs lui sont rappelées avant de s'engager dans la GPA.
Elle est suivie pendant tout ce temps dans sa ville au Canada par un centre de fertilité. Par la suite, elle peut aller voir son gynécologue habituel."
"Notre femme porteuse n'a eu aucune complication, ni de nausée. Tellement rien qu'on se demandait s'il était bien accroché. On est allé la voir une semaine en janvier, on a pu assister à la première échographie, celle du premier trimestre. C'était génial de le faire ensemble, de vivre ça ensemble et de voir quelque chose de concret, et d'entendre le coeur battre.
Pour nous impliquer au maximum dans la grossesse et nous inclure alors que nous étions loin, une fois par semaine, elle nous envoyait une photo d'elle au même endroit pour nous montrer son ventre qui grossissait. Et tous les matins, c'était : 'Salut, comment tu vas ?'
Avec son accord, on a aussi enregistré nos voix toutes les semaines, pour que le bébé se familiarise avec elles, et elle a accepté de les lui faire écouter. Elle était ravie de cette initiative parce qu'elle savait que c'était important qu'un bébé entende des voix de l'extérieur.
Elle-même ne voulait pas parler au bébé : 'Je veux mettre une distance avec lui, comme une barrière émotionnelle et c'est votre enfant, donc c'est à vous de le faire'. Ça montre encore une fois qu'elle était très claire dans sa tête parce qu'elle nous a dit par la suite qu'elle n'osait pas nous demander de le faire.
Nous lui avons offert un casque pour qu'elle puisse le mettre sur son ventre. On lisait des comptines ou des fables de La Fontaine au bébé, ou tout simplement, on lui parlait.
A aucun moment, elle n'a été dans le doute, à chaque fois, elle parlait de 'votre enfant, votre bébé'".
Pour le couple, la grossesse a aussi été un moment-clé de se préparer à être parents ainsi que pour leur famille de s'habituer à cette arrivée : "Toute notre famille était au courant de notre projet. La seule chose qu'on a pas dite, c'est la date de l'implantation. Parce que c'était important pour nous que les gens se projettent. Parce que même nous, on s'est construit en tant qu'homosexuels, sans possibilité de se marier ou d'un jour avoir des enfants.
En tant qu'homo, on construit une vie où se marier ou fonder une famille n'est pas possible. Pour notre famille, c'est la même chose. Ma mère s'est toujours dit qu'elle ne serait pas grand-mère alors que je suis l'aîné de la famille.
Donc il faut se déconstruire ce schéma que la société nous impose et reconstruire tout en se disant que oui, aujourd'hui je peux me marier, oui aujourd'hui, je peux avoir des enfants. C'est un chamboulement, pour soi et pour l'entourage. Les barrières d'avant sautent et c'est excitant.
C'est un projet où on croit qu'on part à deux et mais en fait, non. On embarque notre famille, la femme porteuse avec sa famille, ses amis, les médecins, le boulot... Et puis il y a ceux qui se sont posés la question de la marchandisation du corps. Alors on leur explique, nous avons fait beaucoup de pédagogie.
Le terme était prévu le 28 juin 2018. Alors moi et mon mari sommes partis trois semaines et demi avant. Notre enfant est arrivé le 27. La naissance aussi est discutée entre la femme porteuse et les parents pour savoir comment ça se passe, parce que c'est elle qui décide de tout, et heureusement, c'est son corps, même si c'est notre enfant.
Même si tout est discuté ensemble, c'est elle qui décide d'où et comment elle accouche. Si elle décide de le faire à la maison, même si on n'est pas d'accord, c'est elle qui décide. Et à chaque moment, elle peut changer d'avis et revenir sur ce qu'elle a dit.
Elle nous a toujours impliqués et a toujours dit : 'C'est votre enfant, alors c'est normal que vous soyez là, dans la salle d'accouchement'. Et je ne regrette pas. Dès qu'elle a eu les premières contractions, elle nous a appelés le matin du 27 juin à 7h. J'ai vu son nom sur le portable et j'ai dit à mon mari : 'C'est bon !". Et là, elle me dit : 'Hi guys, he's coming' ('Les gars, il arrive !').
Elle avait des contractions assez espacées, donc elle nous a mis à l'aise. Elle nous a dit tranquille : 'Vous avez le temps de prendre un café, de prendre une douche'. Je n'en pouvais plus d'attendre. On est arrivés à 8h30 chez elle et à 9h, on était tous les trois à l'hôpital. Elle avait des contractions toutes les cinq minutes. Elle hurlait beaucoup.
Quand elle souffrait, elle le faisait pour nous, donc j'ai pleuré parce que de voir quelqu'un souffrir pour au final n'en tirer aucun bénéfice, c'était difficile à gérer. Je pleurais beaucoup parce que je voyais une femme souffrir pour nous.
A 11h, il était là.
Et après l'émotion de voir la tête du bébé qui se présente, et tous ces mois de contrat, d'attente, de mails... On y pense plus du tout quand on voit le gamin ! C'est magique. On sent sa chaleur contre la nôtre. On lui a parlé beaucoup tout de suite. Plusieurs fois, on lui a demandé si elle voulait le prendre et elle nous disait : 'Non non, c'est votre bébé !' Seulement une demi heure après, elle a accepté.
Encore une fois, elle était tellement claire dans son esprit, qu'elle avait dit au médecin, qui était d'accord : 'Je ne veux pas être la première à faire le premier peau à peau, profitez de ce moment qui est le vôtre, je le prendrai plus tard'. Après les premiers soins rapides, j'ai pu faire le premier peau à peau. Mon mari a voulu que ce soit moi."
La femme porteuse est sortie 24h après l'accouchement de la clinique et les deux jeunes papas ont pu partager la chambre avec elle.
Franck raconte : "Je me suis senti papa tout de suite. Mon mari a construit sa relation au fur et à mesure. Mais dans un couple hétéro, c'est pareil."
Une fois sortis de la clinique, le marathon se poursuit : "Il y a deux semaines de papiers au Canada. Déjà, il y a sept jours incompressibles où la femme porteuse a un droit juridique sur l'enfant. Au septième jour, elle signe un papier chez l'avocate comme quoi elle abandonne ses droits juridiques sur l'enfant.
L'avocate fait les démarches pour qu'on reçoive le certificat de naissance où nous sommes nous, les deux papas, présents. On a eu le passeport canadien dans la foulée.
Après normalement, pour le retour en France, nous devons saisir le tribunal de grande instance de Nantes, celui qui est en charge des enfants né·es à l'étranger, pour la retranscription de l'acte de naissance en France.
Selon une circulaire de Christiane Taubira, les enfants né·es d'une GPA peuvent obtenir la nationalité française, mais la filiation n'est pas reconnue sur leur livret de famille. Mais si il y a soupçon de GPA, il peut bloquer la procédure. On peut alors faire un recours au niveau de l'Union Européenne.
Si on fait une procédure, on sait qu'on va gagner, mais c'est extrêmement long et coûteux en avocat. Alors on a fait le choix d'être tous les deux sur l'acte de naissance qui est une preuve dans l'administration.
Au quotidien, ça ne change pas grand-chose. Notre fils a même un carte d'identité qui est en cours. Mais ce que ça change, c'est qu'au niveau de l'administration, notre enfant est un fantôme. Il existe puisqu'il a la CAF, la Sécu, il va à la crèche, mais c'est un fantôme parce qu'il n'est pas à l'État civil français. C'est un fantôme juridique."
"On n'est jamais vraiment serein. On ne sait jamais. Moi, mon angoisse, c'est de tomber sur un instit' homophobe et qui pour un rien, déclenche les services sociaux. Mon fils a été hospitalisé pour bronchiolite dernièrement et à l'hôpital, on a eu peur d'être mal accepté. Ce problème juridique nous met dans une situation déstabilisante.
On voit bien même si c'est pas dit qu'on n'est pas légitime. A l'hôpital, dans la rue, des gens se permettent de nous donner des conseils parce qu'on est des papas et qu'on n'a pas de maman. Une dame pendant la canicule s'est permis dans la rue sans nous dire bonjour, de toucher notre bébé dans la poussette en nous disant : 'Mais il a trop chaud !'. J'étais outré. On a moins le droit à l'erreur que les autres. On est plus jugé.
Le problème, il vient du regard des autres. Mais c'était pareil dans les années 1980, dans ma classe, avec les enfants de divorcés qui étaient malmenés. La société évolue. C'est tellement compliqué qu'on ne fait pas des enfants par accident.
Quant à lui expliquer à lui, notre garçon, comment il est né, à partir du moment où on parle sans tabou et de manière simple, cela aura été sa normalité, il n'aura connu que ça. Le problème, il le verra si ses parents ne sont pas à l'aise.
Pour faire un enfant, on a besoin d'un homme et d'une femme, aucun doute là-dessus. Mais je ne parle pas de père et de mère. La génétique, c'est différent de parents qui vous aiment et qui vous éduquent. Nous, on se sent bien, on se sent parents. On a les mêmes joies et les mêmes angoisses que tous les parents."
Alors que tout l'entretien s'est déroulé de manière très didactique et pédagogique, l'armure craque et la voix pleine d'émotion, Franck lâche : "On a les mêmes problèmes que tout le monde, on est des parents comme tout le monde, on s'inquiète pour notre enfant, on sait qu'on sera soucieux de son bien-être ad vitam eternam."
D'ailleurs la plus grande angoisse de sa mère, c'est la somme d'argent et le prêt qu'il aura fallu faire pour accueillir cet enfant dans leur foyer, soit une centaine de milliers d'euros.
"Avec tout ce parcours et ces émotions, c'est d'autant plus énervant d'entendre certaines féministes qui nous accusent d'exploitation du corps des femmes. Quand on est féministe, on laisse une femme faire ce qu'elle veut de son corps. Si on lui interdit de faire une GPA, pourquoi pas dans la même logique, lui interdire de faire une IVG ?!
Même la femme qui a porté notre enfant ne comprenait pas ce débat autour de la marchandisation du corps des femmes en nous disant que personne ne devait décider de ce qu'elle doit faire avec son corps, surtout pas son gouvernement.
Et les Manifs pour tous qui disent qu'un enfant ne peut pas grandir sans mamans ou qu'il va vivre un acte pédophile. Quand j'entends ça, ça me met hors de moi !
On ne veut pas entrer dans ce jeu, alors on ne va pas dans la rue, on ne fait pas de défilé. Mais quand on entend des gens qui disent qu'on n'est pas normaux ou qu'un enfant ne peut pas être élevé par deux papas, c'est hyper blessant. C'est quoi le problème ? On s'aime, on veut fonder une famille et on veut rendre un enfant heureux."
Aujourd'hui, Franck et son mari profitent pleinement de leur vie de famille au quotidien et de leur rôle de papas. Ils discutent d'en faire un deuxième. La femme qui a porté leur garçon est prête à revivre l'aventure avec eux. Reste la question du coût que représente cette GPA à l'étranger.