Au moment où les attentats ont frappé Paris, cela faisait cinq jours que j'avais arrêté de consulter Facebook, Instagram ou Twitter. A l'origine, un projet d'article qui m'a été inspiré par l'histoire d'Essena O'Neill, cette jeune Australienne qui a décidé du jour au lendemain de supprimer toutes ses photos postées sur Instagram et a encouragé ses pairs à se déconnecter pour mener une vie plus authentique. L'idée, qui, sans casser trois pattes à un canard, m'amusait néanmoins, consistait à raconter comment se passe une semaine sans réseaux sociaux quand on est une trentenaire ultra-connectée, qui plus est journaliste web. Même si je ne passe pas ma journée à me prendre en photo sous toutes les coutures pour gagner ma vie comme Essena O'Neill, je suis, je le confesse, passablement droguée à Facebook, et depuis peu à Instagram, lieux virtuels où j'erre en bonne "procrastinatrice" pendant des heures sous le regard désapprobateur de ma moitié.
Paradoxalement, je dois dire d'entrée de jeu que, pour ma plus grande déception, le fait de ne pas consulter les réseaux sociaux pendant cinq jours - c'est peut-être là le problème d'ailleurs, la courte durée de cette détox - n'a guère eu d'impact réel sur mon quotidien, contrairement à ce que je pensais en entamant cette expérience.
Alors, oui, j'avais l'impression d'avoir de jour en jour l'esprit plus clair, à défaut du teint ; forcément, à force de ne plus pouvoir ouvrir subrepticement les onglets Facebook ou Tweetdeck de mon ordinateur ou faire défiler des images de bouffe, de paysages ou de fringues sur mon smartphone branché sur Instagram, j'avais regagné une certaine capacité de concentration.
Bien entendu, il y eut des moments de frustration plus ou moins importants au cours de ces cinq jours, comme quand j'ai raté cette histoire visiblement fascinante au sujet d'un homme qui a fait je ne sais quoi avec une pelle (je ne sais toujours pas de quoi il s'agit à ce jour et je pense que je ne saurai jamais), ou quand, plus embêtant j'ai oublié de fêter l'anniversaire de deux proches car je ne pouvais pas me reposer sur Facebook pour me rappeler la date exacte.
En fait ce qui m'a le plus emmerdée au cours de cette détox, c'est de me retrouver dans l'incapacité de partager des bonnes nouvelles, de celles qui changent la vie, avec mes amis sous forme d'un statut rapidement rédigé et dont on suit avec gourmandise le nombre de likes récoltés en scrutant le petit chiffre rouge qui s'affiche en haut de son écran. Pour être honnête, j'en étais, vendredi soir, à réfléchir à un moyen de faire en sorte que mon mec se connecte à ma place pour rédiger un statut en mon nom tant j'étais frustrée de ne pouvoir dire ce que je voulais dire. Je sais, ça semble con. Mais, et j'en ai fait le constat au cours de la semaine, il n'existe pas, aujourd'hui, de réseau qui permette de communiquer avec autant de gens en même temps que Facebook. Et ça vaut aussi bien quand on a une naissance à annoncer que quand on a un chagrin à partager, comme ce funeste vendredi 13 novembre.
Car, on s'en doute, ma détox s'est arrêtée précisément au moment où j'ai reçu une alerte au sujet de fusillades simultanées dans Paris. Depuis, je n'ai plus décroché ni de Facebook ni de Twitter, me gavant de statuts et de tweets comme une ex-toxicomane qui replonge dans la drogue après un long sevrage.
Mais, et c'est là que je veux en venir, vendredi soir, après avoir passé cinq jours à clamer sur tous les toits que la vie sans les réseaux sociaux, c'est trop facile, les doigts dans le nez, et bien j'étais bien contente de savoir, grâce à Facebook, que la plupart de mes proches étaient en sécurité, et de pouvoir, grâce à un simple like, exprimer mon soulagement à chaque statut rassurant. Tout comme j'étais heureuse, une fois la panique un peu dissipée, de voir apparaître des dessins, des citations, des chansons, bref, tous ces contenus synonymes d'amour et d'empathie qui ont déferlé dans mon fil d'actualité.
Bientôt Facebook et Twitter sont devenus des outils très utiles pour d'abord permettre à des inconnus d'accueillir d'autres inconnus en quête d'un refuge grâce au mot-dièse #PorteOuverte, puis pour faciliter les recherches de personnes ayant disparu lors des attentats. Certes, dans bien des cas, cette quête pleine d'espoir sur les réseaux sociaux s'est mal terminée, et j'ai eu le coeur serré en apprenant que tel ami d'amis présent au Bataclan vendredi soir avait finalement été identifié et avait malheureusement succombé à ses blessures à l'hôpital. Mais quelle émotion de lire les messages de solidarité et d'amour fleurir à l'annonce de cette disparition.
Au fond ce qui s'est passé depuis vendredi soir, c'est que Facebook, et, dans une moindre mesure, Twitter, ont cessé d'être des lieux virtuels et se sont transformés en lieux bien réels de partage et d'amour, allant ainsi à l'encontre des critiques formulées généralement à leur encontre. S'il y en eut pour critiquer le dispositif mis en place par le réseau de Mark Zuckerberg pour permettre aux membres de signaler à leur entourage qu'ils étaient en sécurité, ou pour dénoncer un certain unanimisme derrière l'apparition massive des profils bleu-blanc-rouge, les attentats m'ont, moi, réconciliée avec Facebook. Et tant pis si mon discours sonne comme celui d'une ex-repentie des réseaux sociaux qui a fait une rechute.