En temps normal, Mélanie Le Mercier est la créatrice de la jolie marque d'accessoires pour enfants Jeanne et les pirates. Dans son atelier de Bénéjacq, un petit village près de Pau, dans le Sud-ouest, elle fabrique des couronnes en tissu et une ribambelle d'accessoires poétiques. Mais ça, c'était avant. Avant que la vague d'angoisse du Covid-19 ne déferle en France. Car aujourd'hui, Mélanie Le Mercier coud des masques. Beaucoup de masques. Cette déferlante épidémique, elle l'a vue arriver de loin.
"Le lundi 16 mars, la veille de l'annonce du confinement par Emmanuel Macron, j'ai reçu un texto paniqué de ma médecin traitante à 6h30 du matin. Elle me disait qu'elle était très stressée car elle et ses collègues soignants n'avaient pas de masques", raconte-t-elle. "Elle avait trouvé un patron d'un masque en tissu du CHU de Grenoble et me demandait si je serais d'accord pour en coudre."
Mélanie comprend immédiatement : l'urgence est là. Et elle accepte sans hésiter.
"Ma médecin avait essayé d'obtenir des masques FFP2 et chirurgicaux par le biais officiel mais il n'y en avait plus. Dans mon village, un centre de tri des personnes du coin présentant des symptômes du Covid a été improvisé dans la salle des fêtes. Sauf qu'il n'y avait aucun matériel pour protéger les soignants..."
Dès le lendemain, la jeune entrepreneure décide de filmer un petit tuto destiné à toutes les petites mains volontaires. Et lance un appel sur Facebook. Très vite, une vingtaine de couturières bénévoles, professionnelles et amatrices, se mobilisent. "Nous suivons à la lettre les recommandations du CHU de Grenoble. Ce masque en tissu ne protège pas du virus, il protège des postillons et des gouttelettes. Il comporte trois couches : deux couches de coton et une couche de molleton, de polaire fine ou de filtre à charbon. C'est une première barrière physique et c'est mieux que rien."
Les besoins se font impérieux et la pénurie frappe les soignants de plein fouet, au péril de leur santé. "Un cabinet d'infirmière libérale m'a encore fait une commande il y a quelques jours parce qu'ils n'ont qu'un stock de 4 masques et on leur demande de... laver les masques en papier !"
En trois semaines, plus de 1200 masques maisons ont ainsi été produits par les couturières locales. Et une belle chaîne de solidarité locale s'est créée. "On a un process de récolte et de décontamination hyper précis encadré par des médecins", détaille Mélanie Le Mercier. "C'est le kiné du village qui fait la tournée. Il prend sa camionnette, il fait le tour des couturières tous les deux jours pour ramasser les masques, les apportent à ma médecin. Celle-ci les lave à 60°, les fait sécher et les stocke pour le centre de soin et les distribue à des soignants qui l'appellent."
Mélanie Le Mercier ne compte pas son temps, ni son manque à gagner. En plein confinement et impactée par la fermeture des magasins de tissus, elle découpe des nappes, des draps, compose avec les moyens du bord. Le système D fonctionne à plein régime. Et alors que la question du port obligatoire du masque se fait pressante et que les demandes de particuliers commencent à affluer, la créatrice rejette l'idée d'en faire un "business".
"Pour les amis, la famille, les soignants, on donne évidemment. Si des particuliers veulent en acheter, le mot d'ordre, c'est : 'Donnez ce que vous voulez'". D'ailleurs, les bureaux de poste alentours étant fermés, la question d'envois à travers la France ne se pose pas. Et la créatrice frissonne à l'idée "d'envoyer potentiellement le virus dans d'autres régions. Hors de question."
Aujourd'hui, Mélanie se réjouit d'avoir pu apporter sa "pierre à l'édifice". "Le centre de soin est pourvu, les médecins du coin aussi. Au niveau local, on est bien et on peut faire face." Mère de deux enfants en bas âge, elle s'apprête enfin à laisser sa fidèle machine de côté et à souffler. Et espère que son tuto aidera et inspirera, alors qu'une armée de couturières oeuvre aux quatre coins de l'Hexagone pour pallier à la pénurie.
"Ce masque est facile à faire. Il suffit d'avoir le bon tissu et le bon matériel, mais le montage n'est pas très compliqué si on suit le tuto et le patron à la lettre. Même quelqu'un qui ne s'y connaît pas peut faire deux masques par heure." Et la créatrice de marteler les consignes : "Ce masque n'est pas dispositif médical. Il faut le changer toutes les deux trois heures, c'est super important. Et on le lave à 60°."
En attendant les jours meilleurs, lorsqu'elle pourra reprendre la fabrication de ses jolies couronnes enfantines, elle sourit : "Dans ce climat anxiogène, c'est une bouffée d'air frais. On ne peut peut-être pas sauver des vies, mais on peut en protéger quelques-unes."