Depuis deux ans maintenant, le Centre francilien pour l'égalité hommes-femmes Hubertine Auclert alerte sur les dangers du cybersexisme chez les jeunes. Après la publication d'une étude en avril 2015 et la création d'un Tumblr préventif dans la foulée, le centre tire à nouveau la sonnette d'alarme. Une toute nouvelle étude réalisée en coordination avec l'Observatoire universitaire international éducation et prévention et publiée ce mardi 27 septembre dresse ainsi un triste constat du cybersexisme chez les 12-15 ans.
Menée auprès de 1 500 adolescents d'Île-de-France, cette étude se concentre sur "les violences déployées via Internet et les réseaux sociaux sous forme d'insultes, de harcèlement, d'humiliation, de rumeurs", toutes ces choses "qui ont la particularité de réduire les filles à leur apparence physique". Car oui, si le cybersexisme n'a pas de sexe, les filles sont 1,5 à 2 fois plus touchées que les garçons. 20% d'entre elles rapportent avoir été insultées en ligne sur leur apparence physique (contre 13% pour les garçons) tandis qu'elles sont 17% à avoir été confrontées à de la cyberviolence à caractère sexuel (photos, vidéos ou textos envoyés sous la contrainte ou diffusés sans l'accord reçu). Enfin, 22% d'entre elles ont déjà été traitées de "pute" ou de "salope".
En publiant les résultats de cette étude, les chercheurs souhaitent démontrer que les insultes n'ont pas changé. Ce sont encore et toujours les normes de féminité et de masculinité qui posent problème. Ce qui a évolué, ce sont finalement les outils utilisés pour harceler. Interrogée par France Inter, Clémence Pajot, directrice du Centre Hubertine Auclert, explique :
"Les insultes qu'elles subissent : putes et salopes, ça ne change pas beaucoup avec les époques. C'est en rapport avec la sexualité. Pour les garçons ce sont des insultes homophobes qui les renvoient à une norme de virilité hétérosexuelle. Les garçons dénudés se font traiter de "Beaux gosses", et ils se font harcelés quand ils n'ont pas l'air assez viril. Le plus souvent on lit ou on entend 'Fais pas ta meuf !' et on comprend bien que le fait d'être une femme est considéré comme péjoratif. Cela veut dire 'tu es faible'. Les filles se font traitées de salopes ou des putes, dès qu'elles dévoilent trop d'elles-mêmes. Mais elles se font aussi "repérées comme étant coincées" si elles ne se montrent pas assez sexy".
Alors que Netflix vient de dévoiler Audrie & Daisy, un documentaire américain alarmant sur les dangers mortels de la culture du viol et du harcèlement en ligne, l'étude du Centre Hubertine Auclert y fait aujourd'hui écho. Car c'est sur les réseaux sociaux plus qu'ailleurs que les adolescentes d'aujourd'hui sont soumises à des injonctions autour de leur féminité et de leur apparence. Incitées à partager des photos d'elles, les adolescentes sont ensuite "commentées, notées, jugées... par leurs pairs". Les règles de présentation de soi sont multiples et doivent être maîtrisées. Une photo de profil Facebook ne doit pas être "aguicheuse" sous peine de ruiner une réputation. "Le moindre faux-pas peut entraîner de sévères conséquences sociales", précise l'étude.
Déjà très présent dans les couloirs des collèges et des lycées, le slut shaming s'épanouit sur les réseaux sociaux où parents et professeurs sont totalement absents. Car c'est bien sur Facebook, Instagram ou encore Snapchat que les choses peuvent dégénérer. Si quelqu'un publie la photo d'une jeune fille dénudée sans son consentement, c'est elle qui sera vivement critiquée, voire harcelée. Un harcèlement, qui ont le sait, peut pousser au décrochage scolaire, à l'automutilation ou au suicide (Audrie & Daisy le démontre très bien). Et si les filles sont davantage victimes que les garçons, l'étude rappelle que ces dernières "sont très impliquées dans le cybersexisme". Chez les ados, on continue de culpabiliser les filles et de banaliser les violences sexuelles, quel que soit son sexe. Le poids de la culture du viol encore et toujours.
Si les adolescents ne sont pas tendres entre eux, les adultes peuvent aussi – et c'est malheureux – entrer dans la catégorie des bourreaux. Alors qu'un jeune sur quatre décide de ne parler de ses problèmes à personne, l'étude démontre que les professionnels peuvent aggraver la situation. Car chez les adultes aussi, on ne juge pas une fille comme on juge un garçon : "Face à ces situations mettant en jeu les filles, les professionnels ont tendance à pointer le fait que les jeunes filles ont été 'naïves', qu'elles n'ont pas bien mesuré les risques en s'exposant ainsi sur les réseaux sociaux". Les filles sont donc culpabilisées tandis que la responsabilité des relayeurs (souvent des garçons) est passée à la trappe. Professeurs, CPE ou chefs d'établissement peuvent donc "contribuer à renforcer le contrôle social exercé sur le corps et la sexualité".
Le Centre Hubertine Auclert préconise une meilleure prévention. Sensibiliser les élèves, oui, mais en systématisant le discours autour du cybersexisme car "lorsque la prévention met l'accent exclusivement sur les moyens technologiques (mots de passe, sécurisation...), cela peut donner le sentiment à certaines filles qu'elles sont responsables du cybersexisme qui les atteint". De son côté, le Centre francilien a lancé une campagne de prévention sous la forme d'un spot diffusé sur Internet, à la télévision, ainsi qu'à la radio. Un kit de sensibilisation doit également être distribué dans les établissements scolaires.