20%, c’est la part des femmes qui ont été victimes d’au moins une forme de violence dans l’espace public au cours de l’année écoulée, selon une étude publiée ce jour au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique social et environnemental (Cese). Chaque année, ce sont par ailleurs 200 000 femmes qui seraient victimes de violences conjugales et, d’après l’Observatoire national des violences faites aux femmes, elles seraient 75 000 à être victimes de viol chaque année. Enfin, en 2013, 121 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, soit une tous les trois jours.
Des chiffres édifiants auxquels doivent désormais s’ajouter ceux de la violence en ligne. Né de l’utilisation accrue d’Internet par les adolescents, de la démocratisation des téléphones portables mais aussi (et surtout) de l’émergence et de la multiplication des réseaux sociaux, ce phénomène connaît un fort développement. « Les violences sexistes et sexuelles sont aujourd’hui démultipliées par les moyens techniques, les innovations technologiques et les nouveaux outils de communication », a ainsi constaté Abdelhak Kachouri, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France chargé de la citoyenneté, de la politique de la ville et de la sécurité, ce 25 novembre, lors d’un colloque sur le sujet organisé à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Publication de photos intimes ou de vidéo lynchage sur le Web, insultes et humiliations sur les réseaux sociaux, harcèlement par téléphone ou email, menaces, chantage… La cyberviolence revêt différentes formes. Et si, dans 45 % des cas, ce fléau numérique touche les jeunes de 15 à 18 ans, les filles en sont, une fois de plus, les premières victimes. Pour preuve, un sondage Ipsos réalisé pour le centre Hubertine Auclert révèle que 26% des adolescentes âgées de 15 à 20 ans ont déjà subi des humiliations et harcèlements en ligne. À titre de comparaison, les garçons sont 21% dans ce cas. Une prévalence qui n’étonne pas Catherine Blaya, professeur et présidente de l’Observatoire international de la violence à l’école. « Les résultats des différentes études montrent que les filles sont particulièrement à risque par rapport aux garçons. Elles ont environ 1,356 fois plus de risque d’être victime de cyberviolence », signale-t-elle. « Les cyberviolences sont la nouvelle forme de violence sexiste et sexuelle. Elles sont profondément ancrées dans les rapports sociaux de sexe », déplore quant à elle Henriette Zoughebi, vice-présidente du Conseil régional d’Île-de-France, chargée des lycées et des politiques éducatives.
Auteur de l’ouvrage « Les ados dans le cyberespace, prise de risque et cyberviolence », Catherine Blaya attribue la progression de ce phénomène à la désinvolture et à la distance des agresseurs derrière leur écran d’ordinateur. « Les caractéristiques du cyberharcèlement sont multiples. L’anonymat que permet la toile réduit l’empathie et renforce le sentiment d’impunité, c’est "l’effet cockpit". Ce terme fait référence aux pilotes qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, lâchaient des bombes depuis les airs sans le moindre état d’âme puisqu’ils ne voyaient pas les conséquences de leur acte », détaille-t-elle avant de poursuivre. « À noter également que l’auteur de violence online n’est plus maître de sa publication une fois sur la Toile ; les internautes s’en emparent bien souvent. Résultat, les images, rumeurs ou injures font alors le tour de l’établissement 24h sur 24, ne laissant aucun répit à la victime ».
Problème, malgré les ravages provoqués par ce phénomène – décrochage scolaire, dépression voire suicide –, rares sont les victimes qui osent en parler. À l’instar des femmes confrontées à la violence conjugale (seules 16% portent plainte), 45,6 % des jeunes filles gardent le silence face à la cyberviolence. Quant aux témoins, si 90% d’entre eux souhaiteraient intervenir, ils sont toutefois 76% à avouer ne pas savoir comment réagir. Pourtant, des solutions existent et la législation française, multiple, sanctionne la majorité des actes de ce type.
Aussi, afin de libérer la parole des victimes, mettre les agresseurs face à leurs responsabilités et sensibiliser le public à la législation en la matière, la région Île-de-France et le centre Hubertine Auclert lanceront prochainement une campagne de sensibilisation. « Agir contre le cybersexisme et dénoncer ce fléau qui mine notre jeunesse, c’est agir pour protéger nos enfants, en particulier les adolescentes. Notre devoir est de lutter contre la loi du silence afin que celles et ceux qui sont victimes ou témoins aient la possibilité d’agir pour sortir du cauchemar », a ainsi fait savoir le président du conseil régional d’Île-de-France, Jean-Paul Huchon.