Le lundi 2 juin a marqué un nouveau tournant important dans la représentation des personnes transgenres dans les médias lorsque Caitlyn Jenner (anciennement connue sous le nom de Bruce Jenner) est apparue en couverture du magazine Vanity Fair avec pour simple titre "Call me Caitlyn".
Il y a un an, c'était Laverne Cox, l'actrice et activiste transexuelle révélée dans la série Orange Is The New Black, qui était mise à l'honneur en une du Time.
Concernant la première couverture de Caitlyn Jenner, Laverne Cox a publié un billet sur son blog, d'abord pour se réjouir et s'émouvoir du soutien massif reçu par Caitlyn lors de sa transition publique, mais aussi pour rappeler que le combat ne s'arrête pas là. Et qu'il est également dangereux de trop se laisser porter par les effusions de joie et d'admiration liées aux physiques de femmes comme Caitlyn et Laverne.
"J'adore travailler sur des séances photos et créer des images inspirantes pour mes fans, pour le monde, et surtout pour moi-même. Mais j'espère que ce sont mon talent, mon intelligence, mon coeur et mon esprit qui captivent, inspirent, émeuvent et encouragent les gens à penser de façon un peu plus critique au monde qui les entoure. Oui, Caitlyn est incroyable et magnifique sur cette couverture, mais selon moi ce qu'il y a de plus beau chez elle, c'est son coeur, son âme, la façon dont elle a exposé ses vulnérabilités au yeux du monde. L'amour et le dévouement dont elle fait preuve envers sa famille, et qu'ils le lui rendent aussi. Le courage de quitter son monde de déni et d'exposer sa vérité aussi publiquement. Ces choses là vont au-delà de la beauté pour moi. "
Et si elle se réjouit également que nous soyons si nombreux à applaudir et soutenir les femmes trans lorsqu'elles apparaissent dans les médias, il y a néanmoins une petite tache noire sur le tableau : si nous les célébrons, c'est avant tout en utilisant des termes qui soulignent leur physique de "vraie" femme, parce qu'elles ressemblent à l'idée que nous nous faisons tous des femmes dites cisgenres (= dont le genre s'accorde avec les organes sexuels avec lesquels elles sont nées). De ce fait, nous excluons les femmes trans qui n'ont pas eu la chance biologique ou les moyens financiers d'avoir une apparence typiquement féminine, et l'admiration que l'on ressent pour des femmes comme Caitlyn ou Laverne se base très généralement sur leur apparence, leur féminité, le fait qu'elles collent finalement aux diktats qui sont imposés à toutes les femmes - qu'elles soient cis ou trans.
Laverne Cox l'explique très bien dans son billet :
"Il y a beaucoup de personnes trans qui, à cause de la génétique ou par manque de moyens matériels, n'incarneront jamais ces standards de beauté. Et plus important encore, beaucoup de personnes trans ne souhaitent pas les incarner. Il est important de noter que ces standards dépendent aussi des origines ethniques, de la classe sociale ou de la présence ou non d'une forme de handicap, entre autres facteurs. J'ai toujours eu conscience de ne pas pouvoir représenter tous les individus trans. Il ne suffit pas d'une, deux ou trois personnes trans pour représenter tout le monde. C'est pour cela que nous avons besoin de plus de diversité dans les médias, de plusieurs personnalités trans qui puissent transmettre différentes histoires et représenter réellement notre belle diversité."
Le facteur de classe sociale et de reconnaissance est également très important. Laverne Cox et Caitlyn Jenner représentent une minorité au sein de la communauté trans, parce qu'elles bénéficient de privilèges que les trans "civils" ne possèdent pas (encore). Sans que ça en devienne une épreuve facile et anodine, Caitlyn Jenner a bénéficié de sa situation financière, de sa notoriété, du soutien de sa famille, puis des médias, pour faciliter et accélérer sa transition.
Pour un(e) jeune trans sans ressources qui ne reçoit pas le soutien de sa famille et qui n'a pas les moyens d'entamer un traitement aux hormones ou d'envisager une réassignation sexuelle, c'est une autre histoire. Voir plus de personnalités trans dans les médias va très certainement aider à faire avancer les mentalités et faciliter la vie des futures générations de transexuel(les), mais pour l'instant il y a encore énormément de travail à fournir - aux États-Unis, 46% des hommes trans et 42% des femmes trans ont déjà fait une tentative de suicide.
Ce sont les moins privilégiés que Laverne a envie de soutenir, d'aider, et d'entendre.
"Ce sont eux que nous devons aider, pour qu'ils puissent goûter à tous ces privilèges : soins, logements, éducation, emplois, sécurité. Nous devons faire entendre les voix de ceux qui sont le plus en danger - les trans de couleur pauvres issus de la classe ouvrière, selon les statistiques. J'espère depuis des années voir l'amour que j'ai reçu du public se répercuter sur les vies de tous les trans. Les trans de toutes origines, orientations et expressions sexuelles, capacités, classes sociales, et de tout statut."
Le combat n'est pas fini, conclue-t-elle.
Concernant la représentation des personnes trans à travers des normes cisgenres, l'actrice n'est pas la seule à s'en inquiéter. Pour poursuivre le mouvement lancé par Vanity Fair et sa couverture, des internautes trans ont décidé qu'ils avaient eux aussi droit à leur couverture et ont apposé le logo Vanity Fair sur des photos d'eux pour s'offrir un peu de représentation - à défaut d'obtenir la même notoriété que Caitlyn Jenner.
À travers le hashtag #MyVanityFairCover, la communauté trans de la plateforme de blogs Tumblr s'est mise en avant pour montrer à quoi ressemblent les jeunes trans d'aujourd'hui, ceux qui n'ont pas les mêmes moyens ou les mêmes aspirations que des femmes comme Caitlyn Jenner ou Laverne Cox.
L'une des créatrices du hashtag, Crystal Frasier, explique parfaitement bien la situation et revient sur les propos de Laverne Cox et de tous les représentants de la communauté trans qui se sont exprimés sur la question, en résumant :
"Il y a eu beaucoup de discussions dans la communauté trans ces derniers jours, depuis que Vanity Fair a publié sa couverture, principalement autour du fait que le monde ne semble prêt à nous accepter que lorsque nous avons assez d'argent ou que nous avons la chance de correspondre aux critères de beauté blancs et cis-normatifs. J'ai été frustrée et bouleversée par ces opinions sur les femmes trans et l'image à laquelle nous sommes "censées" ressembler pour être prise au sérieux.
Mais nous n'incarnons pas toutes ces standards. Nous ne le souhaitons pas toutes. Nous ne le pouvons pas toutes. Certaines d'entre nous y correspondent, mais seulement par peur. Certaines d'entre nous y adhèrent, mais sans trop savoir pourquoi. Et que nous y correspondions ou non, nous sommes toutes belles, et nous méritons toutes de nous sentir belles, et d'être reconnues par le monde. L'admiration et la reconnaissance des femmes trans ne devrait pas dépendre d'une définition étriquée de la beauté. Comme une très bonne amie me l'a dit lundi : "Où est ma couverture de Vanity Fair ?"
Et bien, elle est là."
C'est un pas en avant, une étape supplémentaire qui nous prouve que notre époque est bel et bien en train de changer et que les personnes trans commencent peu à peu à trouver leur place dans notre société, qui leur ouvre peu à peu ses portes. S'il y a encore énormément de progrès à faire sur bien des questions, il est certain qu'une plus grande représentation des personnes transgenres dans les médias contribuera largement à paver la route vers un avenir meilleur et plus ouvert.
Et Laverne Cox et Caitlyn Jenner sont loin d'être les seules femmes trans présentes dans le paysage médiatique actuel. De plus en plus de séries embauchent des actrices trans (American Horror Story, Sense8...), la marque MakeUpForever vient de choisir la mannequin trans Adreja Pejic comme égérie tandis que l'agence IMG a signé la mannequin Hari Nef, et la coupe du monde de football féminin, qui commence cette semaine, nous a permis de découvrir la joueuse Jaiyah Saelua, défenseuse dans l'équipe des samoas américaines.
Le spectre de la diversité commence donc sérieusement à s'étendre, et la suite promet d'être intéressante, enrichissante, et d'améliorer le quotidien d'un paquet de personnes au passage.