Il faut croire qu'elles et ils n'ont que cela à faire en ce moment. En plein coeur de cette crise sanitaire, économique et écologique sans précédent, une poignée de député·e·s vient de partir en croisade contre l'écriture inclusive. C'est ce qui s'appelle le sens des priorités. Car oui, ce tout petit point médian les fait bondir. Pour ces Gaulois·e·s réfractaires, pas question de faire vivre et repenser notre langue, quand bien même ces évolutions favoriseraient l'égalité femmes-hommes. Le point médian doit disparaître. Le masculin l'emporte sur le féminin. Point final. Une crispation réac qui tend à omettre que cette passionnante écriture inclusive ne se limite pas à ce pauvre point milieu, mais englobe également la féminisation des noms de métiers et des fonctions ou encore l'utilisation du langage épicène (choix de mots s'adressant aux femmes comme aux hommes). Une répugnance au progrès telle que ces élu·e·s en viennent à brandir un texte datant de... 1539 (l'ordonnance de Villers-Cotterêts imposant le français dans les textes relatifs à la vie publique) pour plaider leur combat d'arrière-garde. Il faut dire que cette écriture inclusive "militante" les "inquiète beaucoup". Et elle devrait tout bonnement être bannie.
De quoi laisser perplexe Raphaël Haddad, fondateur et directeur associé de Mots-Clés. Depuis 2017, cette agence de communication dispense des formations aux équipes désireuses de se mettre à la page en adoptant une communication sans stéréotypes de genre. Et tient même à sa disposition un manuel d'écriture inclusive à télécharger gratuitement. Zoom sur les ambitions et atouts de cette écriture égalitaire et non-sexiste.
Raphaël Haddad : Parce que c'est un levier efficace pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes en changeant notre manière d'écrire. L'écriture inclusive, qui ne se résume pas au point milieu, vient déconstruire tous les mécanismes du sexisme ordinaire, qui dilue les effets des lois et des réglementations. Parce que l'écriture est engageante, c'est aussi une manière de donner de la force au sein d'une organisation à celles et ceux qui travaillent pour faire progresser l'égalité.
Enfin, c'est un formidable levier de féminisation et de rajeunissement des audiences. Rappelons que l'égalité femmes-hommes est, juste après l'écologie, la seconde préoccupation des moins de 25 ans.
R.H. : L'écriture inclusive vient répondre à un problème sociétal. On voit des initiatives ambitieuses pour résoudre les inégalités professionnelles : on n'a jamais autant débattu et légiféré sur l'égalité femme-hommes dans notre pays. Pourtant, les statistiques restent désespérantes. Par exemple, 10 ans après la loi Copé-Zimmerman, les femmes restent quasi absentes de la direction générale de grandes entreprises françaises. Il y a encore 16,8 % d'écarts de salaires entre femmes et hommes selon l'INSEE et bien plus d'écarts encore dans les hauts salaires.
Comment expliquer ce paradoxe entre initiatives abondantes et résultats quasi-nulles ? Comme je l'ai entendu dire très justement par Brigitte Gresy, la présidente du Haut Conseil à l'Egalité, le sexisme ordinaire, qui passe notamment par le langage, dilue les effets des lois. En bref : nous baignons dans une langue qui entretient ce qu'on essaie de combattre par tous les autres moyens.
C'est là que se dessine l'ambition de l'écriture inclusive : déconstruire les mécaniques de relégation entretenues par notre langue, pour permettre à toutes ces initiatives, souvent intéressantes et résolues, de produire enfin leurs effets.
R.H. : Ce texte de loi constitue un double escamotage.
D'abord, il réduit l'écriture inclusive à l'abréviation qu'est le point médian. Or, cela recouvre bien davantage de pratiques comme la féminisation des noms de métiers à laquelle même l'Académie française a fini par se résoudre en février 2019.
Ensuite, il feint d'ignorer que l'administration n'a pas attendu le débat sur l'écriture inclusive pour avoir besoin d'une manière de marquer simultanément les deux genres. C'est le sens du "H/F" dans les offres d'emploi, imposé par la loi. Ou du "né(e) le" qui figure sur nos cartes d'identités. Ou encore du "Françaises et Français" qu'utilisait déjà le Général de Gaulle ou du "Chacun et chacune" qu'on entend régulièrement dans la bouche du Président de la République.
Le point médian de ce point de vue n'est qu'une abréviation, plus discrète et juste que la parenthèse ou la barre oblique. C'est ce qui explique son succès. Et contre un tel succès d'usage, comment légiférer ?
R.H. : Il est tout à fait possible de mobiliser une écriture parfaitement inclusive sans jamais recourir à l'abréviation qu'est le point médian.
Dans tous les cas, je plaide, avec la professeure Eliane Viennot notamment, pour une utilisation raisonnée de ce point médian. C'est-à-dire en utilisant un seul point et en limitant son usage aux mots dont la forme au masculin et féminin sont très proches comme "citoyen·nes" ou "étudiant·es". Mais nous proposons d'abandonner dans l'écriture institutionnelle les formulations qui entravent la lisibilité et l'ergonomie éditoriale : les "agriculteur·rice·s", les " directeur·rices territoriaux·ales", les "heureux·euses".
R.H. : Le Haut Conseil à l'égalité dans le champ de la communication publique, ou l'organisation professionnelle Com-Ent (dont je suis membre du CA) via son comité TFTC, ont beaucoup travaillé sur ce sujet.
En très bref, la communication non sexiste regroupe 3 principes : veiller aux rôles et aux représentations dans les supports de communication. Par exemple, au fait que les femmes soient réduites à un attribut physique ou à la sphère domestique dans la pub'.
Adopter une écriture inclusive raisonnée, telle que je l'expliquais à l'instant.
C'est enfin, accorder une égale considération aux femmes et aux hommes, en veillant aux tours et aux temps de parole, mais aussi en évitant de présenter dans la sphère professionnelle les femmes par leurs prénoms et les hommes par leurs prénoms, noms, fonctions, comme on l'entend encore tellement souvent.
R.H. : Ce sont des ateliers en ligne de 2 heures. Ils permettent de comprendre ce qui rend l'écriture inclusive nécessaire et de savoir concrètement comment l'adopter d'une manière raisonnée et homogène au sein d'une institution. Plusieurs entreprises et institutions forment en ce moment leurs équipes com' ou RH et adoptent une écriture inclusive parfaitement fluide.
Le prochain atelier est gratuit et ouvert à toutes et à tous. Ce sera vendredi 26 février matin. Et nous organisons une session spéciale député·e·s bientôt.
R.H. : La féminisation des noms de métiers me paraît fondamentale. Aujourd'hui plus personne ou presque ne récuse la nécessité de parler de "directrice", de "magistrate", de "préfète" et de "chirurgienne". C'est le résultat du grand débat de la fin de l'année 2017 qui s'est conclue par la circulaire Philippe et par le rapport de l'Académie française de février 2019. C'est la preuve que la délibération publique fonctionne encore dans notre pays, malgré les fakes news et postures dans lesquelles se complaisent trop d'acteurs et d'actrices du débat public.
L'ouvrage d'Eliane Viennot, Le langage inclusif. Pourquoi, Comment (éditions iXe) me paraît également central si l'on veut se forger une opinion éclairée.
Il existe de nombreux contenus gratuits en ligne, dont notre Manuel d'écriture inclusive. Il faut rappeler qu'il n'existe pas de "règles" d'écriture inclusive, mais des "conventions". Elle mobilise toutes les ressources du français pour re-féminiser ou démasculiniser nos usages.