A chaque vacances, ça ne manque pas : l'organisation de voyages familiaux (ou d'excursions en couple) ne s'envisage pas sans celle des activités réservées aux enfants - sportives, culturelles, collectives. Comme les joyeuses colos, itinérantes ou non, censées apporter découvertes, bonne humeur, et amitiés éphémères.
Si l'enfant accepte à moitié cette option, ou l'envisage carrément à reculons, pères et mères s'interrogent dès lors sur ses différences, ses faiblesses, son éventuel niveau d'asociabilité, ou encore son prétendu manque de curiosité et de maturité. Une pression parentale qui pèse sur l'esprit et la tranquillité des principaux concernés. L'enfant se doit, même en vacances, d'être actif, et l'ennui, d'être fui comme la peste en personne. C'est écrit.
Pourtant, certains parents sont tout à fait OK pour que leur progéniture ne fasse "rien" durant ces longues semaines de sérénité. Hors de la période scolaire, ce "rien" qui effraie peut même s'avérer être un grand tout, si si. Car contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne s'agit pas là de sacraliser la passivité ou la flemmardise.
Explications.
Aux antipodes d'une éducation traditionnelle envisageant les vacances comme ce fameux moment où l'enfant est censé s'émanciper de l'autorité parentale, bien des darons et daronnes émettent de nouvelles observations sur ce que celui-ci est libre de faire, ou de ne pas faire, l'été. "Et si votre enfant introverti avait juste besoin de temps pour être seul et ne pas avoir à 'performer' socialement ?", s'interroge ainsi le blog Tama The Teen.
Après une longue année scolaire, qui a pu générer son lot de fatigue, physique et psychologique, de conflits ou de pression, le recours à mille et une activités exigeant efforts et interactions peut effectivement apparaître comme une manière de contraindre son enfant à la performance sociale. D'autant plus dans le cas d'enfants introvertis s'efforçant d'échanger à l'école, à la cour de récré ou au sein d'activités périscolaires. Dans ce cas-là, c'est l'anxiété de l'enfant qui doit être interrogée : ce que le parent juge épanouissant ne l'est pas forcément toujours.
De plus, ce que l'adulte envisage comme naturellement "fun" peut être perçu par son fils ou sa fille comme une extension de ce que lui propose déjà le système scolaire toute l'année : des activités de groupe, une liberté de mouvement toute relative, une discipline, le tout déguisé sous des attraits ludiques. Ecouter son enfant, ou son ado, importe donc pour s'assurer que le dialogue, et la diversité des points de vue est possible, dans un contexte où la santé mentale de ce dernier ne doit être ni ignorée ni méprisée. "Et si cette période permettait à votre enfant de s'ennuyer mais aussi de se ressourcer pour l'année à venir ?", poursuit sur le même ton le blog éducatif.
Celui-ci nous invite donc à laisser notre enfant, ou notre ado, "ne rien faire cet été". Mais l'on s'en doute, l'expression est trompeuse : ne rien faire, c'est, bien souvent, faire ce qui lui plaît. Jouer aux jeux vidéo. Lire. Regarder des séries télé sur Netflix. Ecouter de la musique. Voir des amis. Ce "rien" ne représente pas le néant total, mais une forme de détente qui n'appartient qu'à l'enfant, à ses désirs, ses centres d'intérêt personnels. Et ce que l'on considère comme "ennuyeux" ne l'est en vérité bien souvent pas tant que cela, à ses yeux.
"Enfant, j'aimais (aussi) ne rien faire. Il y avait de nombreux après-midi où il faisait chaud, et je me promenais dans les bois à côté de notre maison familiale. Souvent, je me retrouvais dans ce que j'appelais 'mon rocher' – une formation au sommet d'une colline qui surplombait la maison familiale. Je restais assise là – toute seule – parfois pendant des heures, à ne rien faire. Je regardais les arbres qui m'entouraient et ressentais un sentiment de confort", se remémore la narratrice du blog Self Sufficient Kids - "Les enfants autosuffisants", en français. Dans le "rien" se situe donc un état d'esprit qui confine à la contemplation.
Au fil des récits d'enfance interrogeant ce que signifie au juste "ne rien faire" pour un enfant (rester chez soi ? ne pas aller en colonie de vacances ? ne pas voyager ? ne pas faire de canoë ?) c'est une même idée qui revient : face aux injonctions diverses (à la sociabilité notamment) débarquant très tôt dans notre vie d'individus sociaux, ce "rien" traduit un sentiment de retour à soi et de paix, de bien-être et (oui oui) de rêve. Des notions importantes dans une période de construction, d'initiation, de doutes et d'incompréhension également.
Pour les parents, cette idée s'avère malgré tout indissociable de quelques hantises carabinées, comme cette peur de voir son enfant s'amuser seul. La solitude, quand elle s'associe au stade de l'enfance, est crainte par les adultes, alors que la blogueuse de Self Sufficient Kids l'envisage au contraire comme un temps d'apprentissage, de jeux, d'équilibre mental. "A cet instant, je réfléchissais à ma journée, je rêvais de mon avenir et de ce que je pourrais devenir, parfois, je faisais semblant d'être quelqu'un d'autre et j'imaginais ce que ce serait de vivre une vie différente. Cette solitude, ce temps seul, ce temps de rêver, c'était le paradis", poursuit la narratrice.
Des émotions propres à l'enfance. C'est aussi ce sur quoi insiste le blog de Kveller, le temps d'un billet intitulé à juste titre "Cet été, mes enfants ne font... rien". Manque de budget, organisation parentale différente, besoin non ressenti de garde d'enfants, sont autant de raisons qu'énonce cette tribune. Mais ce que nous raconte la mère de famille témoignant dans ce billet, ce sont aussi les vertus insoupçonnées de l'ennui. Nous y revoilà : cet ennui, c'est à dire ce temps émancipé de la frénésie sociale, qui en vérité n'a pas grand chose de soporifique.
"Je veux que mes enfants s'ennuient parce que bien des recherches ont prouvé que c'était le meilleur moyen d'encourager la créativité, l'innovation et l'autonomie. En somme, les enfants qui sont constamment divertis n'apprennent jamais à se divertir. Tout comme les enfants qui écoutent toujours les opinions des autres ont peu de temps pour réfléchir par eux-mêmes", développe la blogueuse. Encore une fois, passée cette réflexion sur le libre arbitre, "rien" représente un grand tout, d'autant plus que les activités privilégiées par les enfants en question sont nombreuses : jeux divers (les échecs), lectures à la bibliothèque publique, histoires à raconter, balades...
Et si laisser son enfant ne rien faire, c'était finalement l'aider à "mieux" faire ? Mieux profiter du temps libre, de son imagination fertile, de sa capacité de création, de sa gestion de lui-même et de son espace, de cette période particulière où tout est encore possible. De quoi bousculer bien des a priori, pas vrai ?