Selon une étude de l'agence Qapa, 63% des Français·es s'ennuient au travail et 80% d'entre eux en souffrent. Ce trouble psychologique, que l'on appelle le "bore-out", se caractérise par le désoeuvrement et la monotonie du travail. Et il peut engendrer des maladies physiques, comme le burn-out, qui lui, est synonyme d'un trop-plein de tâches.
Souffrez-vous de "bore-out" ? Comment réagir ? Quelle est la responsabilité de l'entreprise en la matière ? Existe-t-il un recours juridique pour les salariés victimes d'ennui ?
Pour comprendre les enjeux juridiques soulevés par l'ennui au travail, voici l'éclairage de Anne Pitault, avocat au cabinet Cornet Vincent Ségurel, spécialiste du sujet.
Anne Pitault : La notion de bore-out est tirée de l'anglais "to be bored" (s'ennuyer), et le suffixe "out" par analogie avec la notion de burn-out, et destinée à stigmatiser les conséquences négatives de l'ennui au travail.
Le bore-out n'est pas une notion juridique, mais est appréhendé en sciences de gestion, en science sociale et en psychologie du travail depuis quelques années. Le professeur Christian Bourion définit le bore-out comme "une grande souffrance imputable au manque d'activité pendant le travail".
Le bore-out résulterait d'un paradoxe avec un·e salarié·e qui d'un côté bénéficie d'un contrat de travail et d'un salaire, et d'un autre côté qui n'a "pratiquement rien à faire", avec des tâches "très peu nombreuses et/ou inintéressantes au possible".
Le bore-out correspond donc à une souffrance psychique, à une carence de stimulation imputable à un manque de sollicitations au travail. La souffrance résultant d'un bore-out est difficile à cerner, et est encore aujourd'hui mal identifiée. C'est un phénomène tabou. Il existe la crainte du regard social et un sentiment de honte pour les salariés qui en sont victimes en raison du fait qu'il peut être associé par l'extérieur à de la fainéantise. C'est la raison pour laquelle les salariés cachent bien souvent cet état.
Les signes permettant d'identifier le bore-out sont généralement une fatigue chronique chez un·e salarié·e occupant un poste sans enjeux ou avec peu de sollicitation, une activité quotidienne inférieure à 2 heures, la lassitude, l'existence de tâches monotones ou répétitives ou à l'inverse de tâches trop complexes, le manque d'énergie, le sentiment d'inutilité, l'absentéisme, le développement d'un syndrome anxiodépressif. Ces indices doivent cependant être appréhendés avec prudence car ils peuvent cacher une autre pathologie ou une situation qui n'est en rien caractéristique d'un bore-out.
Comment le distinguer d'une certaine lassitude ?
A.P. : Il est très difficile de distinguer le bore-out de la lassitude, puisqu'il résulte précisément et en premier lieu d'une certaine lassitude au travail.
A.P. : Les études mettent en avant un lien entre le bore-out et le stress, la diminution de l'engagement et de la performance, les comportements contre-productifs, l'intention de quitter l'entreprise. Le bore-out peut être générateur de stress, de dépression, d'accidents du travail ou encore de conduites addictives.
A.P. : Le bore-out fait peser un risque sur la santé des salarié·es car il peut y porter atteinte. En ce cens, l'employeur tient une responsabilité de premier ordre puisqu'il est légalement tenu d'une obligation de sécurité de résultats qui lui impose de tout mettre en oeuvre pour préserver la santé et la sécurité des salarié·es sur les lieux de travail, y compris par des mesures préventives. Il est ainsi de la responsabilité de l'employeur de prévenir les effets sur la santé des organisations du travail, notamment par le biais de l'évaluation des risques professionnels.
L'entretien annuel d'évaluation est un outil de prévention puisqu'il permet à l'employeur et au service RH de faire un point sur la charge de travail, les compétences, et l'intérêt que porte le salarié à son travail.
Ensuite la responsabilité du manager se substitue à celle de l'employeur dans les situations où les organes de direction sont centralisés, et situés à distance du personnel salarié. Dans ces situations, l'employeur n'est pas à même d'identifier la sous-charge de travail, ce que peut à l'inverse percevoir un manager de proximité. Il revient dans ce cas à l'employeur d'opérer une délégation de pouvoir en matière de santé et de sécurité au travail, afin de pouvoir prévenir au mieux le risque d'un bore-out sur les différents sites de l'entreprise.
A.P. : Identifier une situation de bore-out nécessite le comportement actif des deux parties au contrat de travail : l'employeur et le salarié, mais pas seulement. L'ensemble des acteurs engagés dans la prévention des risques psychosociaux sur les lieux de travail doivent être associés à l'identification et à la prévention de ce phénomène.
Le salarié doit d'abord faire connaître sa situation, au risque de se sentir isolé, ou oublié du travail. Pour se faire, il ne doit pas hésiter à alerter les instances représentatives du personnel en charge des questions de santé et de sécurité au travail.
Le médecin du travail est également le premier préventeur des risques liés à la survenance d'un bore-out à l'occasion des visites périodiques. Cet acteur de la santé au travail doit alerter l'employeur de l'existence d'une situation de bore-out dans son entreprise.
Une fois dénoncé, il est de la responsabilité de l'employeur d'identifier et de réduire l'ennui au travail : il devra identifier les tâches répétitives et monotones, les postes en doublon générant une baisse de la charge de travail. Il devra par la suite enrichir le travail par différents moyens :
- Inclure dans l'exécution des tâches élémentaires des tâches plus complexes
- Accroître la variété des tâches élémentaires, et faire en sorte que le salarié puisse occuper différents postes sur un cycle d'une journée
- Proposer des formations pour acquérir de nouvelles compétences
A.P. : Il n'existe pas de recours juridique spécifique pour les salariés victimes de "bore-out". Ainsi l'engagement de la responsabilité de l'employeur se matérialisera par une action prud'hommale classique mettant en exergue les manquements à une obligation de prévention de sécurité dans l'entreprise, ou une situation de harcèlement moral lorsque la situation de "bore-out" est la résultante par exemple d'une "mise au placard" du salarié.