Depuis le choc de la révocation de l'arrêt Roe Vs Wade le 24 juin dernier, la résistance s'organise aux Etats-Unis. Une sororité décuplée par la restriction brutale du droit à l'avortement qui conduit les Américaines à se montrer créatives pour contourner un système inepte. Stockage de pilules du lendemain, déplacement dans un Etat voisin où l'IVG reste légal... C'est tout un réseau solidaire qui se développe pour outre-passer les fermetures de cliniques et les interdictions ou restrictions déjà instaurées dans 21 Etats. Parmi ces canaux devenus "clandestins", la plateforme TikTok sur laquelle se déploie depuis quelques semaines un drôle de langage codé.
Ainsi, dans une vidéo repérée par le site Dazed et vue plus de 300 000 fois, on peut entendre : "S'il vous plaît, n'achetez pas de thé d'armoise si vous êtes enceinte, car il provoquera une fausse couche !". Ou encore "herbes que vous ne devriez pas considérer si vous ne voulez pas avoir une fausse couche". Autant de recommandations à peine masquées dans ces courts clips aux apparences fun et légères. Et qui se multiplient ces derniers temps sur le réseau.
Alors que la panique et le désespoir ont gagné les femmes désireuses de mettre fin à une grossesse non-désirées, les fausses informations pullulent sur les réseaux sociaux, comme souvent en période de crise. Et parmi ces pourvoyeurs de désinformation se trouve "WitchTok", comme le signale Input. La communauté virtuelle des sorcières de TikTok n'est jamais avare en recettes DIY miraculeuses. Mais lorsqu'il s'agit de délivrer la composition de breuvages aux vertus supposément abortives, ces remèdes peuvent se révéler dangereux.
Comme le pointe Dazed, "de nombreuses vidéos encouragent les femmes à ingérer des herbes telles que l'armoise, l'actée à grappes bleues, la menthe pouliot ou la racine d'angélique - qui, dans certains cas, peuvent être toxiques et entraîner la mort. Au cours du mois dernier, les recherches Google pour "pennyroyal" (menthe pouliot) ont augmenté de 62 %, "mugwort" (armoise) de 68 % et "diy abortion" (avortement maison) de 86 %."
Des décoctions maison, dont les recettes sont souvent divulguées par les TikTokeuses avec bienveillance et sans volonté de nuire, mais vivement déconseillées par la communauté médicale : "Les avortements à base de plantes ne sont que partiellement efficaces, et il n'existe aucune donnée précise sur leur efficacité. Les seules méthodes efficaces sont la pilule abortive ou l'interruption chirurgicale de grossesse", avertit ainsi la Dr Adeeti Gupta, gynécologue-obstétricienne à New York et fondatrice du groupe Walk In GYN Care, un centre pour femmes sans rendez-vous, interrogée par Input.
"Je les déconseille fortement", ajoute la Dr Gupta. "Même si c'est en début de grossesse, cela peut entraîner des saignements abondants, des infections et la mort. Chaque procédure d'avortement devrait être supervisée par un prestataire médical qualifié."
Ces méthodes d'avortement "DIY" ne sont pas malheureusement nouvelles. Selon une enquête de 2015 relayée par The Atlantic, entre 100 000 et 240 000 femmes âgées de 18 à 49 ans ont essayé de mettre fin à une grossesse par elles-mêmes dans le très conservateur Etat du Texas. La méthode privilégiée ? Ingérer du misoprostol- un médicament pour faciliter une fausse couche- obtenu illégalement, ainsi que "des herbes ou des remèdes homéopathiques, se faire frapper ou donner un coup de poing dans l'abdomen, consommer de l'alcool ou des drogues illicites, ou prendre des pilules hormonales."
Mais comme le montre la viralité de ces tisanes sur TikTok, ces "astuces" nocives pourraient se développer en ces temps désespérés. Car on le sait : l'interdiction de l'avortement ne fera pas disparaître l'IVG. Elle mettra des femmes, souvent les plus précaires, les plus vulnérables, en danger de mort.