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Faut-il espionner ses enfants comme Angelina Jolie ?
Publié le 19 décembre 2014 à 12:41
Par Ariane Hermelin | Journaliste Terrafemina
Dans un entretien au magazine « People », Angelina Jolie a confié qu’elle avait engagé quelqu’un pour encadrer l’activité de ses enfants sur la Toile afin de mieux les protéger. Une déclaration qui relance le débat sur la surveillance généralisée des mineurs - sur Internet et dans la vraie vie - et sur l’avènement des parents « Big Brother ».
Faut-il espionner ses enfants comme Angelina Jolie ? Faut-il espionner ses enfants comme Angelina Jolie ?© Agence / Bestimage
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Angelina Jolie fait surveiller ses enfants et l’assume. La star de 39 ans a confié récemment au magazine People qu’elle et Brad Pitt, son compagnon, avaient engagé quelqu’un pour contrôler les agissements de leurs six enfants sur Internet. Expliquant qu’elle était elle-même très « old school », Angelina Jolie avoue en outre être reconnaissante d’être née à une époque où la technologie était moins évoluée, évoquant à demi-mots ses propres excès adolescents, qui auraient sans doute fait l’objet d’une médiatisation supplémentaire.
Loin de choquer outre-atlantique, l’aveu de l’actrice et réalisatrice a été accueilli dans une indifférence quasi-générale, comme si cet espionnage de l’activité des enfants et des adolescents sur les réseaux sociaux était d’ores et déjà admis.

Des parents obnubilés par la sexualité de leurs enfants

Et pour cause, la semaine dernière, CNN a publié sur son site une liste de vingt-huit acronymes ou chiffres codés utilisés par les jeunes sur Internet pour échapper à la surveillance de leurs parents, notamment lorsqu’ils chattent. Une sorte de manuel de la langue secrète des adolescents en ligne pour parents vigilants. Parmi ces acronymes, nombreux sont ceux qui témoignent, ironiquement, de la volonté des ados de protéger jalousement leur intimité de leurs géniteurs un peu trop intrusifs. On trouve ainsi « 7.9 », qui signifie « Un de mes parents me surveille », « POS », soit  « Parent Over Shoulder » (« Un de mes parents est en train de lire par-dessus mon épaule »), ou encore « KPC »,  « Keeping Parent Clueless », qui veut dire « Laisser ses parents dans l’ignorance ».
Dans une note sarcastique, le Guardian tourne d’ailleurs en dérision la démarche de CNN, pointant du doigt au passage l’obsession autour de la sexualité des teenagers qui se dégage de cette liste d’acronymes : « Quand un adolescent tape le chiffre 8, cela veut dire qu’il veut pratiquer le sexe oral. A chaque fois ! Même quand il fait un exercice de maths ! », peut-on lire sur le site du journal britannique.

L’angoisse démesurée des parents à l’égard de l’activité de leur progéniture en ligne est justement illustrée avec humour dans 40 ans mode d’emploi, la comédie de Judd Apatow. Lors d’une scène, les héros, Pete et Debbie espionnent le compte Facebook de leur fille Sadie et découvrent non seulement que celle-ci est victime de harcèlement de la part d’un camarade de classe, mais qu’elle sait très bien se défendre. Ce qui ne les empêche pas d’intervenir auprès dudit adolescent et surtout auprès de la mère de celui-ci lors d’une confrontation géniale, que vous pouvez redécouvrir ci-dessous. Loin du discours alarmiste au sujet des dangers de la Toile, Judd Apatow fait très justement de cette obsession parentale une source de comédie.



L'avènement des techniques de surveillance dénoncées par Orwell

Pour de nombreux spécialistes, surveiller les enfants ne servirait à rien, puisque ceux-ci sont bien plus familiarisés avec les réseaux sociaux que leurs parents. En outre, ce contrôle excessif peut avoir des effets délétères. A l’occasion du lancement en France de blousons dotés d’un système destiné à permettre aux parents de suivre les déplacements de leurs enfants, L’Obs a consacré un article à ces « cordons ombilicaux high tech » qui font leur apparition dans le commerce : balises GPS, applications de géolocalisation ou de surveillance des smartphones, l’offre est de plus en plus large pour les parents inquiets.

Contacté par le newsmagazine, Michael Stora, psychanalyste à l'Observatoire des Mondes numériques en Sciences humaines, exprime son inquiétude vis-à-vis de ces systèmes de surveillance, qui non seulement empêchent les enfants d’acquérir de l’autonomie, mais cassent la confiance au coeur de la relation parents-enfants. « Ces objets induisent un paradoxe. Les parents disent à leur enfant : “Je te fais confiance, mais parce que je te surveille” », déclare-t-il à L’Obs.

Mais dans une société profondément anxiogène, comment surmonter la peur qu’il arrive quelque chose à son enfant ? Dans un article intitulé « Comment nous sommes devenus les Big Brother de nos enfants », la journaliste de Slate Nadia Daam évoque de manière détaillée la façon dont les  « parents-drones » rognent de plus en plus sur l’autonomie de leurs enfants alors que, paradoxalement, la société n’a jamais été aussi sûre. Evoquant sa propre expérience de mère, elle avoue néanmoins qu’elle n’est elle-même pas prête à laisser sa fille âgée de huit ans sortir seule dans la rue. Cet aveu honnête illustre l'ambivalence des parents d’aujourd’hui : tout en étant conscients que l’espionnage généralisé rendu possible par les nouvelles technologies évoque les techniques de surveillance dénoncées dans le livre 1984 de George Orwell, ceux-ci peinent à lâcher le contrôle. 

Internet, nouvel espace de liberté pour les enfants ?

Aux Etats-Unis, la presse rapporte régulièrement les cas de parents arrêtés pour avoir laissé leurs enfants jouer seuls. Pour beaucoup, il est en effet impensable de laisser son enfant, même quelques minutes, seul dans un espace public. Et, si quelques voix s’élèvent parfois pour protester contre ces accusations de négligence, ces faits divers témoignent néanmoins de l’évolution des comportements.
C’est dans ce contexte que le psychologue américain Peter Gray a donné une conférence sur TEDx (que vous pouvez découvrir ci-dessous en anglais) cet été. Il y explique comment l’érosion du temps de jeu libre autorisé aux enfants par leurs parents de plus en plus effrayés à l’idée de les laisser sans surveillance influe sur les troubles dépressifs infantiles. 



Cette impossibilité pour les enfants de flâner à leur guise dans le monde physique explique l’attrait des enfants pour Internet, qui représente pour eux un espace de liberté, comme l’explique la chercheuse danah boyd. cette chercheuse américaine (qui a choisi d’écrire son nom en minuscules, Ndr) s’est fait le chantre de la liberté des adolescents sur Internet. Elle considère en effet qu’Internet leur permet de faire l’expérience du monde extérieur et d’appréhender les relations sociales.
Dans une tribune publiée sur le site du magazine Time en mars dernier, elle enjoint les parents à lâcher la bride tout en créant les conditions d’un échange avec leurs enfants au sujet de leur activité en ligne. « Les adolescents ont besoin de bénéficier de la liberté de vadrouiller dans la rue digitale, mais ils ont aussi besoin de savoir que des adultes bienveillants sont derrière eux et les soutiennent où qu’ils aillent. Le premier pas consiste à éteindre les logiciels qui traquent leurs activités. Demandez-leur ensuite ce qu’ils font quand ils sont connectés, et pourquoi c’est important pour eux ». 

La lecture du texte de danah boyd éclaire d’une nouvelle manière les propos d’Angelina Jolie. On comprend en effet que ce ce n’est pas tant le fait que la star se soucie de l’activité de ses enfants en ligne qui dérange, mais qu’elle ait engagé quelqu’un pour les surveiller, se privant ainsi d’un dialogue aussi nécessaire que constructif.


>> Angelina Jolie brise le tabou : oui, être une maman célèbre, c'est plus facile <<

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