"Le patriarcat est un juge qui nous reproche d'être nées". "Notre punition, c'est les féminicides". "C'est le viol" . "Et le coupable ce n'était pas moi, ni où j'étais, ni comment je m'habillais...". Ces paroles sont puissantes, justes, éloquentes. Elles constituent un chant de révolte fédérateur, entonné le 25 novembre dernier par des dizaines de manifestantes chiliennes. Au Chili, les femmes dénoncent les violences sexistes et sexuelles, mais aussi le nombre toujours plus élevé de féminicides. Alors, réunies, un bandeau sur les yeux, main dans la main, elles scandent ces mots, chorégraphie à l'appui.
Impossible de rester de marbre face à cet "happening" qui fout les frissons. Comme le détaille le journal national El Pais, cette manifestation a été initiée par le collectif de femmes Lastesis. Au coeur de ces performances spectaculaires et sonores, une nécessité : celle de dire l'impunité des agresseurs sexuels et des assassins, mais aussi l'inaction des autorités compétentes et de la Justice face à cette situation alarmante. Car le "responsable", entonnent encore ces manifestantes, ce sont également "les policiers les juges, l'État, le président". Intense.
Abondamment relayées sur Instagram, ces "danses", organisées à l'occasion de la Journée nationale de prévention des violences faites aux femmes, ont fait grand bruit. Du côté de Twitter par exemple, les captations de ces happening ont été partagées et commentées des milliers de fois. Les internautes ne manquent pas d'applaudir le geste de ces femmes indignées. "Quand des dizaines de femmes se retrouvent dans la rue, masquées, pour scander ces mots avec puissance et détermination, les frissons sont garantis", écrit l'un d'eux. Pour la journaliste Rose Ameziane, c'est le signe qu'il faut "ne plus avoir peur de dénoncer les crimes et la complaisance de ceux qui n'agissent pas". Car la peur, justement, doit changer de camp.
"Soutien et sororité avec les femmes du Chili !", abonde encore l'historienne Mathilde Larrere. Au gré des rues, les manifestantes fustigent la passivité du président Sebastián Piñera. Il faut dire qu'il y a de quoi être en colère. Depuis le début de l'année, 41 féminicides ont été enregistrés au Chili. C'est "six de plus par rapport à la même période l'an dernier", déplore encore El Pais. De plus, selon les chiffres de l'Observatoire de l'égalité des sexes en Amérique latine (OIG) ce sont pas moins de 3 529 femmes qui ont été assassinées en 2018 dans 25 pays d'Amérique Latine. Tragique record.
Si des mots scandés comme "le violeur, ce sont les policiers, l'Etat" émeuvent autant, c'est qu'ils font écho à un drame encore tout récent : la découverte du corps de l'artiste Daniela Carrasco, retrouvée pendue à une grille, dans un parc de Santiago, en octobre dernier. Certains disent qu'elle aurait été torturée à mort et violée par les forces de l'ordre chiliennes. D'aucuns associent cette situation à celle d'autres morts suspectes. Plus récemment encore, c'est la photo-journaliste Albertina Martínez Burgos qui a été retrouvée morte, à son domicile.
Une partie du peuple, précise la RTBF, envisage en ces affaires une "réponse" de l'armée à toutes celles qui, au Chili, se révoltent contre toutes les formes d'oppression. A leurs protestations vives rétorque la violence policière et patriarcale. Ainsi, comme le relate Mathilde Larrere, les dépositions recueillies ces derniers jours par l'Institut national des droits de l'homme dans le cadre des dernières manifestations chiliennes "font froid dans le dos". Elles comprennent, entre autres choses, "une plainte pour tortures déposée par une adolescente de 15 ans, frappée au niveau du vagin avec la canne de service d'un policier place de Maipú"...
Mais les femmes chiliennes ne se laissent pas faire. A l'image de la chanteuse Mon Laferte qui, à la dernière cérémonie des Grammy's Awards Latinos, n'a pas hésité à dévoiler sa poitrine, présentant aux photographes le message qu'elle y a inscrit : "Au Chili on viole, on torture, on tue". Un acte qui a marqué les consciences. A l'instar des chants sororaux du collectif de femmes Lastesis, qui, aujourd'hui, n'en appellent qu'à une chose : que leurs "soeurs" du monde entier, elles aussi, sortent dans les rues...