"Je suis venue te dire que je m'en vais, et tes larmes n'y pourront rien changer...".
Jane Birkin s'est éteinte ce 16 juillet 2023 à l'âge de 76 ans. Alors que certains semblent avant tout la dépeindre comme "la muse de", quitte à placer Serge Gainsbourg au-dessus d'elle (ce que certains dessinateurs de presse semblent suggérer avec beaucoup de subtilité ), on se souviendra surtout de l'artiste, la femme, unique et plurielle à la fois...
Interprète qui savait si bien dire le spleen, la solitude, la confusion des sentiments, en associant par les tonalités de sa voix gaieté et gravité, Jane Birkin était aussi une femme d'engagements, une icône de mode, admirée à travers le monde, sans oublier, une actrice obsédante qui a su concilier comédies populaires et films d'auteur, captée sous le regard fasciné d'Agnès Varda, Alain Resnais, Jacques Rivette, Jacques Doillon... Mais encore : une habituée des planches (qui a joué Shakespeare, Sophocle, et fut même nommée aux Molières), une réalisatrice de cinéma...
Autant de raisons de lui rendre hommage. Mais alors, pourquoi les photographies mises en avant ne privilégient-elles qu'une période de sa vie ? Disons le cash : pourquoi les gens ne voient-ils que Jane... jeune ?
C'est un fait : dans nos timeline, comme à travers les Unes des médias, c'est le plus souvent l'image figée d'une Jane Birkin des sixties qui nous apparaît. La Jane de Melody Nelson, de La piscine, ces photos massivement relayées d'un compte Instagram "rétro" à l'autre. Comment l'expliquer, alors qu'il est question d'une artiste septuagénaire qui, il y a peu, se retrouvait encore au coeur d'un bouleversant documentaire nommé aux César ?
Réalisé par Charlotte Gainsbourg, Jane par Charlotte s'est effectivement retrouvé nommé dans la catégorie Meilleurs documentaires de la cérémonie, l'an dernier. C'est un film qui magnifie, à travers la relation mère/fille, une artiste qui justement n'est pas muséifiée, dont la voix est restée vectrice d'émotions, et de sens, jusqu'au bout. Une Jane qui se narre au présent.
Pas toujours agréable alors d'observer une certaine "rétromania" au gré des hommages. "Toujours intéressant de voir les choix icono des médias pour annoncer la disparition d'une femme célèbre d'un certaine âge dont la carrière a perduré jusqu'à la fin de sa vie", ironise en ce sens la journaliste Elodie Safaris (CTRLZ, Arrêt sur Images) sur Twitter. Un bon résumé de la chose.
On pourrait voir là l'énième démonstration d'un sexisme qui ne dit pas son nom. Et bien plus encore, d'un âgisme prononcé : cet ensemble de discriminations et préjugés qui visent les individus passé un certain âge, et plus encore les femmes - discriminations bien souvent perceptibles dès la quarantaine, ou la cinquantaine. Un dérivé flagrant du sexisme.
Car au fond, que déduire de cela ? Que la vieillesse, ce n'est pas assez "sexy" ? Pas assez glamour ? Est-ce vraiment à cela que l'on souhaite réduire Jane Birkin ? Et avec elle, ses déclarations, son demi siècle d'acting dans des films, sa discographie riche, qui s'étend... Jusqu'en 2020 ? (et même 2022, si l'on compte la version live de son album "Oh ! pardons tu dormais...")
L'espace d'un post percutant, l'autrice féministe Fiona Schmidt a étudié la chose. Et tacle : "La quasi totalité des hommages rendus depuis hier à Jane Birkin sont illustrés par des photos d'elle jeune, avec ou sans Gainsbourg (beaucoup avec). Pour évoquer l'histoire d'une femme et d'une artiste qui a vécu 76 ans, on évoque sa beauté quand elle était jeune, ses fringues, ses ex, et ses enfants. Oh, et son accent aussi !".
"Bref, on ne parle pas de Jane Birkin comme d'une personne à part entière, mais comme d'un objet à la surface immuable (la définition même d'une icône). En la célébrant non pas pour ce qu'elle a fait et/ou dit mais pour ce qu'elle a été, on l'ampute de son histoire à elle, et ce d'autant plus que les photos d'elle où elle a plus de 50 ans sont rarissimes. Pourtant, c'est durant le dernier tiers de sa vie qu'elle s'est affranchie de son statut de muse pour produire ses oeuvres les plus personnelles", déplore encore Fiona Schmidt dans sa tribune.
Dans les pages de Terrafemina, Jane Birkin elle-même revenait sur ce poids éprouvé lorsque l'on vous associe spontanément à des images, ou à une personne, de votre passé, à l'heure de tourner la page : "La difficulté a été de savoir si je valais quelque chose sans Serge, en fait. Parce que j'ai tellement fait corps avec lui que c'est un peu vertigineux de marcher seule, avec cette réelle crainte que tu ne vaux rien".
Raison de plus pour (mieux) rendre hommage aujourd'hui à celle qui n'hésitait pas à s'exprimer sur le temps présent, mais aussi l'avenir, l'évolution d'un monde, le nôtre, comme la lutte contre les violences patriarcales : "Le mouvement #MeToo a fait que les femmes peuvent se sentir davantage en sécurité- en principe. Elles peuvent dénoncer les hommes qui les menacent. L'éducation des petit garçons, leur façon de traiter les filles comme leurs égales, devrait déjà changer les choses", témoignait-elle encore sur notre site.
Un regard actuel, qui devrait être valorisé, par-delà l'icône et la nostalgie.