Culture
Harry Styles casse-t-il (vraiment) les codes de la masculinité ?
Publié le 28 août 2022 à 09:45
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Depuis son premier album solo et sa couverture de "Vogue" en robe, Harry Styles a été tacitement couronné comme un artiste révolutionnaire, qui fracasse à grand coup de paillettes des normes sociétales et vestimentaires oppressantes. Mais est-ce (vraiment) le cas ?
Harry Styles sur scène à Coventry, mai 2022 Harry Styles sur scène à Coventry, mai 2022© Abaca
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Difficile d'échapper à son nom et à la fame qui l'entoure.

Depuis le lancement de sa carrière solo en 2017, Harry Styles nous inonde de sons pop et doux comme une caresse un soir d'été. Voire plus, si affinités. Il n'y a qu'à assister à n'importe lequel de ses concerts pour comprendre le pouvoir de son érotisme incandescent sur les foules. Ou simplement (si on n'a pas la foi de se lancer dans un combat acharné sur le site de réservation de la Fnac, qui nous coûterait un bras et quelques précieuses heures) le clip de Watermelon Sugar, titre issu de son deuxième album, Fine Line (2019).

Assis à une table, lunettes bleues en forme d'énormes marguerites sur le nez, l'ex-leader du groupe One Direction y déguste une tranche de pastèque avec une passion débordante que des fans ont interprétée, probablement à juste titre, comme une ode au cunnilingus. Ode qui a raflé un Brit Awards en 2021, soit dit en passant. Et sûrement épuisé un stock de fruits considérable.

Dans la vidéo, il manie à merveille le style qui fait sa signature : un look gender-fluid, soit qui emprunte autant au vestiaire traditionnellement associé au féminin qu'au masculin. Comme lorsqu'il a fait la couverture de Vogue, en robe à dentelle, en décembre 2020.

A l'époque, l'image que le grand public a de l'artiste britannique est déjà bien loin de celle qu'il se traînait dans les années 2010 (un mec de boysband en slim avec un visage poupon), mais il n'est pas tout à fait encore l'icône qu'on connaît aujourd'hui. Et l'effet est retentissant. Ça applaudit, ça choque, ça transcende. Rapidement, on salue la façon dont Harry Styles casse les codes mode d'une masculinité restrictive (quand on ne le blame pas pour la même raison), en s'affichant fièrement avec des tenues qui n'y correspondent pas. Rupture qu'il perpétue dans son discours qu'il veut inclusif, respectueux, pro-thérapie, antisexiste. Nécessaire.

Seulement, pour certain·es, ça coince. Parmi les esprits les plus sceptiques, on s'interroge : le chanteur mérite-t-il vraiment de récolter ces (si nombreux) lauriers quand il ne fait que s'insérer dans une voie pavée par d'autres avant lui ? N'aurait-il pas plutôt sombré dans le queerbaiting ? Et en fin de compte, quels standards a-t-il réellement pulvérisé, en 2022 ? On fait le point.

Une défiance des normes masculines qui "reste légère" ?
© Youtube

D'après le magazine Rolling Stone, qui dédie sa Une à l'Anglais pour son numéro de septembre, Harry Styles est "l'homme le plus désiré du monde". Ni plus ni moins. Ce succès visiblement planétaire, Sylvie Borau, professeure de marketing à la Toulouse Business School, l'explique par le fait qu'il voyage avec agilité entre les codes du genre, justement, ce qui "plaît beaucoup aux filles" et à ses nombreux·ses fans. L'experte tient toutefois à émettre "un bémol" quant aux réactions émues autour de ses apparitions en jupe.

"On entend beaucoup de personnes louer le fait qu'il 'joue avec les codes de la masculinité', ce qui est vrai, mais cela reste léger. C'est un homme qui renvoie aussi beaucoup de virilité. De la féminité mais aussi de la masculinité, et c'est important de le souligner. La masculinité et la féminité ne sont pas des opposés sur un continuum : on peut être très féminin et très masculin à la fois. Sur la couverture de Vogue par exemple, Harry Styles a la mâchoire carrée, le torse poilu, de gros tatouages. Il porte des robes, mais il renvoie une virilité. Certes, celle-ci est moderne mais son apparence reste extrêmement virile."

Rien de mal là-dedans, précise-t-elle, mais un constat qui laisse penser que, peut-être, le piédestal et des comparaisons avec des icônes passées qu'on lui accole ne sont pas entièrement justifiées ?

"On le compare à David Bowie, seulement David Bowie était encore plus transgressif à son époque, car complètement en avance sur son temps. Comme Madonna dans les années 80. D'ailleurs, elle est encore copiée aujourd'hui. Après, il y a toujours la sexualité en toile de fond. David Bowie comme Madonna étaient bisexuel·les. Harry Styles exprime lui aussi une fluidité du genre et de l'orientation sexuelle, bien qu'il ne se soit pas prononcé clairement sur ce dernier point".

Une donnée dont le caractère inconnu n'est pas passé inaperçu au sein de la communauté queer. Et qui a tendance à déranger une partie des premier·es concerné·es.

Un flou autour de sa sexualité qui interroge, voire agace
La couverture de Vogue débattue, décembre 2020 © Abaca

"Queerbaiting". Un concept qui dénonce celles et ceux surfant sur l'identité queer et son esthétique sans y appartenir, à des fins marketing. C'est de cela dont est fréquemment accusé Harry Styles. Dans sa longue interview auprès du magazine américain, le chanteur répond précisément aux critiques qui épinglent le flou sur sa sexualité, supposément entretenu par ses soins.

"Je n'ai jamais parlé publiquement de ma vie en dehors du travail et j'ai constaté que ça m'a été bénéfique", explique celui qui s'affiche (plus ou moins officieusement) depuis janvier 2021 avec l'actrice Olivia Wilde. "Il y aura toujours une version d'un récit, j'ai juste décidé que je n'allais pas passer mon temps à essayer de le corriger." Et d'ajouter : "Parfois, les gens me disent : 'Tu n'as été publiquement qu'avec des femmes', et je ne pense pas avoir été publiquement avec qui que ce soit. Si quelqu'un prend une photo de vous avec quelqu'un d'autre, ça ne veut pas dire que vous choisissez d'avoir une relation publique", réplique-t-il.

On peut par ailleurs voir en cette ambiguïté, en ce silence, de la pudeur. Ou la volonté de ne pas s'enfermer dans une case "dépassée", de ne pas "tout étiqueter", comme l'artiste le disait en avril dernier.

Clément Laré, journaliste mode, nous confie "comprendre les critiques et les partager". "Parfois, on le place un peu trop haut, on le désigne comme celui qui fait bouger les codes alors que nombreux l'ont fait avant lui, et qu'il reste un homme blanc, qui ne se définit certes pas, mais qui est perçu comme hétéro", soulève-t-il. "Toute une partie de la communauté LGBTQIA+ (dont il est lui-même membre, ndlr), à juste titre je pense, est un peu énervée que l'on salue Harry Styles quand il porte des robes, alors que plein d'artistes queers le font depuis toujours et ne sont pas salué·es. Voire même, ont du mal à, elleux, pouvoir l'assumer dans la rue sans se faire tabasser." Pour rappel : en 2021, les agressions LGBTphobes étaient en hausse de 22 % par rapport à 2020.

Une réalité que Sylvie Borau évoque à son tour : "Il plus 'facile' de casser les codes dans la pop culture, en couverture de Vogue, ou sur scène - où de toute façon, on porte un costume - que dans la rue. Si vous voulez casser les codes, allez avec cette jupe faire vos courses à Carrefour", enjoint-elle en souriant, et en invitant à vérifier les tenues de ville du chanteur. Assez classiques, en fait.

Clément Laré nuance cependant : "En termes d'impact, effectivement, il n'est pas comparable à David Bowie. Mais ce qui est sûr et certain c'est qu'il y a un impact Harry Styles sur la société, sur la musique, sur la mode, qui est indéniable pour moi. Véritable, même. Malgré tout, il est le symbole d'une nouvelle génération qui s'affranchit des normes qu'on essaie de combattre depuis longtemps, à la manière d'une Billie Eilish. C'est un futur qui nous fait envie."

Une influence incontestable, quoi qu'on en dise
Harry Styles aux Grammy Awards, en 2021 © Abaca

Si on résume jusque-là, une chose semble limpide : Harry Styles ne casse pas les codes de façon inédite, ni révolutionnaire.

"Quand on réfléchit bien aux pop stars anglophones iconiques - comme Bowie, donc, mais aussi Mike Jagger ou Prince - cette idée d'utiliser son style de manière un petit peu exubérante, en allant chercher dans un vestiaire qui n'est pas traditionnellement pour son genre - notamment avec de la dentelle, des colliers de perle, de la 'douceur' - n'est pas nouvelle", insiste le journaliste. "Mais cela faisait longtemps qu'une personnalité comme Harry Styles, aussi écoutée, aussi aimée, n'avait pas utilisé le monde de la mode et la beauté de cette manière-là."

Car c'est bien là que se trouve la force de la "marque" Harry Styles, comme le qualifie la prof en marketing. Dans l'envergure de son public, des gens qu'il touche. Pour situer, Watermelon Sugar cumule quasi 1,9 milliards de streams depuis sa sortie sur Spotify, soit 30 000 de plus que Bohemian Rhapsody, l'oeuvre incontournable de Queen, et se place à la 21e place du classement des sons les plus écoutés sur la plateforme. Sa tournée se joue à guichets fermés. Les réseaux sociaux abondent de contenus qui lui sont dédiés. Il sera à l'affiche de 2 longs-métrages cette année : My Policeman, de Michael Grandage et Don't Worry Darling, d'Olivia Wilde.

En bref, on ne peut pas y échapper, et ça fait 12 ans que ça dure.

A noter, toutefois, que certains de ses engagements - l'antisexisme en tout cas - ne sont pas nés avec le succès. A peine âgé de 16 ans, Harry recadrait déjà les journalistes qui posaient des questions qu'il considérait objectifiantes et misogynes. Une réaction qu'on voudrait systématique, et qui ne mérite pas franchement de médaille, mais qui, force est de l'admettre, n'a malheureusement rien du réflexe en 2010 chez les jeunes garçons. Ni en 2022 d'ailleurs. La preuve d'une certaine sincérité, donc.

En cela, et aujourd'hui encore, il incarne sans aucun doute une figure de "rôle-modèle", affirment de concert Clément Laré et Sylvie Borau. Quelqu'un qu'on admire, qu'on imite, qui nous fascine, qui nous inspire à être meilleur·e. Et qui peut désormais se targuer d'être le sujet d'un cours à l'université d'Etat du Texas, intitulé Harry Styles and the Cult of Celebrity: Identity, the Internet and European Pop Culture. Rien que ça.

"La pop culture est une porte d'entrée vers de nombreuses réflexions, une manière bien réelle de faire bouger les mentalités", note à ce titre le journaliste. "De vrais mouvements de société trouvent un écho grâce à la pop culture. Et si Harry Styles peut aider la cause, c'est tant mieux."

Au-delà des avis sur cette question épineuse, il est un autre détail qui semble davantage fédérer : sa musique est entraînante, légère, travaillée, authentique. Elle fait du bien à beaucoup. Alors, peut-être devrait-on plutôt louer cette (immense) qualité ?

Harry's House, le troisième album d'Harry Styles, est disponible sur toutes les plateformes d'écoute

Mots clés
Culture Société News essentielles people Stéréotypes genre musique
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