Les Fêtes - des pères comme des mères - ne sont pas forcément connues pour les buzz finauds qu'elles engendrent. Et cela n'a pas manqué cette année, avec l'ambiguë plan promo d'Auchan destiné à célébrer les paternels. Voyez plutôt : une affiche épinglée dans le métro, représentant un enfant aux côtés de deux hommes aux regards complices, respirant à l'unisson la sérénité - l'un d'entre eux porte même un t-shirt "Daddy Forever". Au sommet, un slogan : "pour le meilleur des papas". En pleine Pride Week, difficile de ne pas voir là une belle représentation de l'homoparentalité.
Pourtant, le chargé de communication du groupe Auchan nie l'intention. Interrogé par le Huffington Post, il modère : "Nous ne nous engageons pas dans des combats de société, sauf ceux qui concernent l'alimentation. Cette image montre trois générations. Nous voulions montrer le côté intergénérationnel de la fête des pères. Et dire que chez Auchan, il y a le choix pour toutes les générations de la famille. Chacun peut s'y retrouver", explique-t-il.
Pour le coup, rien n'est moins certain. Sur les réseaux sociaux, cette explication tarabiscotée suscite les réactions les plus caustiques. Et pas seulement parce que le prétendu grand-père ne fait vraiment pas son âge. Si les campagnes de pub estampillées Fête des mères s'avèrent riches en pépites sexistes (dont le déjà fameux "Merci maman de ne pas être papa"), Auchan nous rappelle que nulle célébration n'échappe à la maladresse.
"Chez Auchan, on ne dit pas "gay", on dit "colocataire" s'est ainsi amusé le twitto @ParisPasRose avant de poursuivre : "Ils ont bien pris soin d'attendre APRÈS la fête des pères pour le dire".
Curieux volte-face en effet que celui opéré par l'enseigne de grande distribution. Doit-on y voir un geste "gay unfriendly" ? Ou, par ce court silence, une tentative de "pink washing" ? L'emploi du mot daddy - qui griffe l'un des t-shirts - n'a ainsi pas manqué de susciter les railleries : dans le langage courant, cette expression désigne la différence d'âge entre deux compagnons homosexuels qu'une flopée d'années sépare - et le sex appeal dudit "papa". Un internaute cingle en ce sens : "Faut qu'on pense qu'ils soient gays pour attirer les LGBTQ au magasin mais pas trop non plus pour que les fachos viennent....c'est compliqué la pub". Plus diplomate, une voix anonyme parle elle d'une "libre interprétation".
Libre interprétation ou pas, ce déni roublard pose la question - forcément problématique- de la mise en lumière de l'homoparentalité dans le petit monde de la publicité. Spoiler alert : elle est insuffisante. En 2016, un couple lesbien apparaissait dans une pub italienne pour Toyota, le "Changes" de David Bowie en fond sonore (tout un symbole)...avant de mystérieusement disparaître de la version française. "Une question de format", s'était alors expliqué Toyota France.
Rebelote dans une pub d'Apple datée de la même année et imaginée en l'honneur de la Fête des mères - "toutes" les mères. Bien que présente dans le spot original, la famille homoparentale n'a toujours pas droit de cité dans le montage hexagonal. "De la censure" s'était exclamée Delphine Aslan, porte-parole de l'association féministe Fières.
Trois ans plus tard, c'est la même question qui demeure du côté d'Auchan et de ces explications floues : pourquoi ? Car le souci au fond n'est pas d'être dans "la libre interprétation" vaguement opportuniste - ou d'avoir peur des arcs en ciel - mais de participer à cette invisibilisation de l'homoparentalité au sein des contenus culturels et populaires. Alors que cinéma et séries télévisées s'exercent à combler ce manque, et malgré quelques exemples salutaires (comme cette pub de Google Home et les papas gays qu'elle valorise), il semble encore loin le jour où la publicité contribuera à cette normalisation. On croise les doigts pour la prochaine Fête des pères ?