Les chiffres sont glaçants : près de 98% des femmes en Somalie sont victimes de mutilations génitales selon le rapport du 22 juillet 2013 de l'Unicef. Ces mutilations génitales sont diverses : ablation du clitoris, des petites et grandes lèvres, ou la couture du vagin, aussi appelée infibulation. Ces pratiques barbares sont pratiquées sur des fillettes pré-pubères, le plus souvent entre leurs 4 et 11 ans, afin de garantir leur virginité et de contrôler leurs envies.
Et ce n'est pas chose aisée. L'excision, sous toutes ses formes, est une coutume ancestrale profondément ancrée dans les us de la société somalienne. Dans ce pays encore très peu développé, détruit par la guerre civile de 1990 et miné par le terrorisme, il est difficile de lutter contre ces sanglants rituels : une loi ne suffit pas à stopper des usages en rigueur depuis des siècles et qui jouent un rôle primordial dans la construction de l'ordre social somalien. En effet, ce sont les droits de propriété traditionnels dans des sociétés où les femmes sont vendues comme du bétail, largement sur la base de leur qualité de reproductrices, qui sont en jeu. Les familles sont presque systématiquement complices de ces mutilations car elles craignent que sans, leurs filles soient "impossibles à marier".
L'excision est devenue un rite d'intégration. La pression est énorme sur les femmes non-mutilées et leurs familles : elles sont considérées comme "impures" et traitées comme des prostituées. L'anthropologue Lightfoot-Klein titrait très justement son ouvrage sur les mutilations génitales féminines "Prisoners of Ritual", soit "prisonnières du rituel" : cela résume parfaitement le fléau que représentent les mutilations génitales des femmes. Ce qui était une coutume barbare s'est progressivement transformé en un piège que les femmes africaines sont contraintes de refermer sur elles-mêmes pour trouver leur place dans la société.
Sahra Ali Samatar, ministre des femmes et des affaires familiales de Somalie, se bat depuis sa nomination en février 2015 contre cette atroce coutume "qui viole les droits humains". Elle sait qu'elle ne peut pas vaincre le problème des mutilations génitales féminines (MGF) simplement en les interdisant. Le véritable enjeu réside en fait dans l'amorçage d'un changement des mentalités. "Il faudra qu'un jour tous les employés, les cheikhs, les commerçants aient été sensibilisés, que les dommages de l'excision soient évoqués dans les écoles, que le code pénal sanctionne durement ceux qui s'y livrent", expliquait Sahra Ali Samatar au Guardian le 13 août 2015.
Rendre illégale l'excision est la première pierre du long chemin de croix de la ministre pour sauver les femmes des mutilations génitales qu'on leur inflige. Pour cela, elle est parvenue à convaincre durant l'été 2015 les membres du gouvernement de soutenir un projet de loi en faveur de l'abolition partielle de l'excision : seules les formes les plus graves étaient condamnables, et pas l'excision "minimale" dite "sunna" du clitoris. Sahra Ali Samatar espère maintenant parvenir à amender ce projet afin de rendre toute forme d'excision illégale, comme c'est le cas en Gambie depuis novembre 2015 par exemple . Elle mise pour cela sur les anciens de la diaspora qui sont désormais au pouvoir, c'est-à-dire ceux qui ont fui le pays pendant la guerre civile de 1990 et ont étudié à l'étranger. Cette élite intellectuelle, qui s'est nourrie des valeurs occidentale, demeure moins conservatrice que le reste des hommes politiques somaliens et est favorable à l'abolition des MGF : elle est le pilier principal d'Ali Samatar. Elle a récemment reçu d'autres soutiens de poids : celui du Premier Ministre, Omar Shermarke, et l'appui des 1.3 millions de personnes qui ont signé la pétition en ligne d'Avaaz pour en finir avec les MGF.
Une pratique meurtrière qui demeure très rurale
L'excision est légèrement en baisse dans les grandes villes somaliennes. Lors des réunions organisées pour débattre du sujet, mères et grands-mères seraient de plus en plus à redoubler de courage pour s'opposer à l'excision de leurs filles : "Beaucoup de celles qui l'ont fait se disent aujourd'hui résolues à épargner leurs petits-enfants", souligne la ministre. Elle-même a refusé de mutiler sa fille.
C'est dans les zones rurales, plus pauvres et donc plus traditionnelles, qu'il est le plus dur de stopper ces pratiques selon Edna Adan. La première sage-femme de Somaliland et ex-ministre des affaires étrangères de cette République indépendante autoproclamée au nord de la Somalie milite depuis 40 ans contre l'excision. Elle est à la tête de la clinique de Hargeisa où elle forme des sages-femmes et son témoignage est désespérant : elle raconte que près de 97% des femmes qui y accouchent ont subi des mutilations, dont des infibulations pour les trois-quarts, entraînant des accouchements extrêmement douloureux et compliqués, souvent mortels pour la mère mutilée. L'excision est en effet loin d'être inconséquente sur la santé des femmes : en plus des dégâts psychologiques, du violent traumatisme qu'induit cette pratique dépossédant la femme de son corps et de son désir, elle est la porte ouverte à de graves infections, la mutilation étant le plus souvent effectuée avec un éclat de verre brisé ou une lame de rasoir, sans anésthésie et sans aucune mesure d'hygiène. Elle peut aussi entraîner la stérilité et plonge les femmes dans un quotidien de douleur : uriner, avoir ses menstruations et bien évidemment avoir des rapports sexuels peuvent devenir de véritables tortures pour les victimes. C'est pour cela que dans son interview du 20 juin 2011 pour l'association "Osez le féminisme", le chirurgien Pierre Foldès, qui s'emploie à la réparation des organes génitaux des victimes de MGF dénonce l'excision comme étant "un crime multiple fait de viol collectif, d'inceste, de mutilations et d'ignorance" contre lequel il est urgent de lutter.
Certes, le bilan demeure effrayant : proscrite par le droit international, l'excision toucherait néanmoins près de 200 millions de femmes dans la trentaine de pays d'Afrique et du Moyen-Orient où elle demeure couramment pratiquée. La lutte contre cette coutume est loin de toucher à sa fin, mais on ne peut en nier les progrès : 18 Etats africains, dont le Nigeria en juin 2015, ont interdit définitivement les mutilations génitales féminines. Le combat de la ministre somalienne Sahra Ali Samara pour interdire légalement toute forme de mutilation génitales féminines dans un des pays érigeant cette pratique violente et barbare comme tradition sociétale est un pas en avant conséquent qui devrait permettre progressivement à la Somalie de rompre avec cette coutume, triste symbole de l'oppression sexuelle, sociale et économique que subissent les femmes en Somalie et dans toute la corne d'Afrique.