Terrafemina : Vous traitez le sujet de la recherche d’emploi et des difficultés qui l’accompagnent avec beaucoup d’humour. Un moyen de dénoncer mais une catharsis aussi ?
Martine Le Gall : Je voulais tout simplement témoigner et exorciser mes démons. Je me suis mise en scène pour montrer la côté caricatural et la comédie humaine qui se joue lors d’un entretien d’embauche. Il s’agit de dénoncer de manière drôle des pratiques qui n’ont pas lieu d’être. Le sujet n’est pas sérieux mais grave. L’humour est une façon de prendre de la distance et de dénoncer justement l’absurdité. Comment réussir à traverser les épreuves liées à l’entretien si l’on ne sait pas prendre de la distance et avoir de l’humour ? Sinon vous craquez.
TF : Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui vivent ce moment délicat ?
M.G. : Croire en soi et être pragmatique. Il faut savoir dire non et se faire respecter. Ne pas avoir peur de rester sur la touche et ne pas rentrer dans le jeu en étant prêt à tout accepter parce que vous avez peur. Les exploiteurs jouent dessus. Mais cela suppose d’être fort mentalement. Au-delà de la catharsis, le livre est pragmatique. Je donne des conseils un peu à l’américaine, très positifs, parce qu’il n’y a pas de solutions miracles. L’appel rêvé arrive toujours au moment où vous êtes au plus bas. Ce n’est pas évident mais il faut essayer de profiter de cette période pour se découvrir une passion, s’ouvrir à autre chose.
TF : Quel message essayez-vous de faire passer ?
M.G. : Pourquoi un chômeur n’est-il pas sur un pied d’égalité avec quelqu’un déjà en poste ? La mentalité française doit évoluer. Dans le système anglo-saxon, on peut être chauffeur de taxi un jour, et directeur commercial le lendemain. En France, vous êtes chômeur, vous devez recommencer à zéro et vous êtes exploitable à merci. Par ailleurs, on demande aux gens d’être flexibles et d’être capables de changer de secteur d’activité. Mais les employeurs ne jouent pas le jeu. Jouer le rôle de consultant gratis, être embauché sur la base d’un salaire variable...
TF : Parmi les anecdotes que vous livrez laquelle vous a le plus marqué ?
M.G. : J’en ai tellement vécu… Sans doute en Suisse où au bout d’une dizaine d’entretiens et trois déplacements, on a jugé que je n’étais pas assez motivée. Chaque fois, on doit être plus enthousiaste que la moyenne. Mais comment y croire et donner le meilleur tout en étant détaché ? Par contre, celle qui a donné naissance au livre, c’est lorsque qu’on m’a rétorquée : « On me paie pour débaucher des personnes compétentes, pas pour recruter des chômeurs » Les larmes me sont montées aux yeux. J’ai un poste aujourd’hui. Je n’en avais pas il y a trois mois, je suis pourtant la même personne.
TF : Pensez-vous que les femmes sont réellement discriminées ?
M.G. : On attend plus des femmes. On nous attaque très facilement sur notre look. Les femmes sont dures entre elles. Je ne suis pas sûre que les hommes y prêtent autant d’importance. Bizarrement, je me demande si au fond je ne préfère pas un entretien avec un homme. Tout cela est fait d’a priori qu’il faut dépasser. Et c’est tout l’objet de ce livre. Le côté discriminatoire lié au fait d’être une femme ressort souvent par ce cheminement dans la tête des recruteurs : vous êtes une femme, si vous n’avez pas d’enfant, vous allez en avoir. Si vous en avez, vous n’êtes pas disponible, sinon vous êtes frustrée. La manière de faire est parfois surprenante. Lors d’un énième entretien, en plein milieu d’une discussion technique de professionnel à professionnel, on me dit « écoutez, avez-vous l’intention d’avoir des enfants ? ». La question n’intervient pas en fin d’entretien et c’est volontairement déstabilisant. Je l’ai pris avec humour et répondu « je suis célibataire alors à part faire appel à une banque de sperme… » C’est aussi une façon de ne pas répondre à la question .
"Vous êtes trop qualifiée pour le poste..."
Martine Le Gall
éditions Albin Michel, 176 pages, avril 2010
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