La ménopause reste un sujet tabou dans la culture occidentale : on ne trouve quasiment aucune trace du sujet, que ce soit dans les films, les séries, les livres, les journaux ou les émissions télévisées. Quant aux sites internet français, ils se cantonnent à lister les symptômes de la ménopause, et à expliquer comment mieux la vivre grâce aux traitements médicaux et homéopathiques. On vous indique qu'il faut vous reconnecter avec vous-même et de vous gaver de soja (qui contient des oestrogènes naturels) en attendant que ça passe, et c'est à peu près tout. Plutôt que de leur proposer des informations ou un dialogue ouvert sur le sujet, on assomme les femmes d'une quantité effrayante de clichés et de stéréotypes sans doute censés être "rassurants" et dans lesquelles elles sont supposées se reconnaître. Mais il est ridicule de penser qu'on peut réduire une transformation physique et psychologique aussi majeure à une simple crise de bouffées de chaleur.
C'est en partant de ce constat qu'est né le groupe fermé "Menopause Misery" ("le cafard de la ménopause" en anglais) sur Facebook. Exclusivement réservé aux femmes passant par les affres de la ménopause, ce groupe sur lequel plus de 10 000 femmes se parlent quotidiennement semble être l'un des premiers où la langue de bois n'est plus de mise. Il encourage les femmes à poster vos expériences : "Anecdotes, histoires d'horreur et humour, on prend tout", précise la page d'accueil du site.
Car en effet, le bouleversement hormonal induit par la ménopause n'est pas toujours glamour. Cela correspond en fait à la fin de la période reproductive de la femme, habituellement vers l'âge de 50 ans. Ses règles s'arrêtent: elle n'ovule plus et ne produit plus d'oestrogène et de progestérone (hormones sexuelles). Une femme n'est ménopausée qu'après que ses règles aient cessé pendant 12 mois consécutifs. Et contrairement à ce qu'on croit, c'est souvent un soulagement, comme le rappelle Femme Majuscule : ce n'est pas la ménopause qui est difficile à vivre mais la période qui la précède et peut durer de deux à sept ans, la périménopause. Au cours de cette période, l'ovulation devient plus irrégulière, la taux d'oestrogène varie de manière très importante et provoque les symptômes désagréables que l'on associe à la ménopause : irrégularité des règles, bouffées de chaleur, perturbations du sommeil, sautes d'humeur etc.
Sur "Menopause Misery", des femmes fatiguées, excédées, inquiètes ou amusées partagent tout : "Ce matin je me suis rasée une seule jambe", dit l'une d'elle, qui tourne ses trous de mémoire en dérision. "Le son de la voix de mon beau-fils de 9 ans m'agace à en pleurer", confie une autre, abordant le très délicat sujet de la dépression que la ménopause peut entraîner, et sur lequel le blog américain The Perimenopause Blog a écrit un billet très instructif. Plusieurs femmes renchérissent en expliquant qu'elles ne supportent plus la présence de leur mari dans la même pièce ou le même lit, parce "qu'il dégage trop de chaleur et d'agitation". Certaines craignent de se transformer en "mégères", à force d'être hyper-irritables.
Les symptômes les plus tabous sont aussi passés au crible, comme l'explique Rue89 : "La sueur du vagin et sous la poitrine, les seins qui se remettent à produire du lait sous l'effet du traitement hormonal" ou même la sensation "d'avoir un téléphone en train de vibrer dans [le] vagin" après avoir arrêté une crème à la progestérone. Elles s'attaquent aux poils disgracieux qui poussent à des endroits inattendus à cause de la diminution du taux d'hormones féminines dans le sang, aux kilos qui s'incrustent à cause de la perte de tonus musculaire et au cauchemar des fuites urinaires : "J'étais assise en train de déjeuner, je mangeais un oignon, et il est passé du mauvais côté, je me suis mise à tousser tellement fort que je me suis pissé dessus. Mais que c'est génial de vieillir !".
Elles échangent aussi leurs petites astuces pour soulager les symptômes, comme la mélatonine ou l'huile de coco dans le vagin, et s'interrogent sur la nécessité ou non de prendre des anxiolytiques dans les cas les plus sévères (10 à 20% des femmes) ou les problèmes de sécheresse vaginale.
Partager ces expériences parfois honteuses ou gênantes, réussir à en parler avec d'autres permet aussi de relativiser et de se soutenir. Beaucoup de femmes souffrent en effet du silence qui entoure la ménopause parce qu'elles ont le sentiment d'être laissées pour compte à partir du moment où elles perdent leur capacité à enfanter. En postant "Est-ce que l'une d'entre-vous a aussi l'impression que ses meilleures années sont derrière ? Les années de grossesse me manquent", l'une des membres a mis le doigt sur un sentiment très largement partagé : la sensation que ces symptômes sont en fait le début de leur "déchéance" en tant que femme. Valérie, professeur dans le Nord de la France, participe activement au groupe puisque c'est "sa seule source d'information". "Peut-être qu'en France, les femmes pensent n'être plus rien quand elles vieillissent, plus que dans les pays anglo-saxons. Ici, on a la sensation d'être laissées dans notre coin. On a le livre 'J'élève mon enfant', mais on n'a pas 'Je deviens moche, grosse et insupportable'", confie-t-elle à Rue89.
Sur le groupe, les femmes se rassurent, ironisent ou s'indignent : l'essentiel est qu'on leur rend la parole sur ce sujet si délicat. La gynécologue et auteur du roman Les passeuses d'histoire , Danièle Flaumenbaum explique que le tabou qui pèse sur la ménopause est un héritage de notre passé : avant 1965, date de la première contraception, la sexualité n'est pas liée au plaisir mais à la nécessité pour une femme d'être mère : "Comme [elles] étaient interdites de jouir fondamentalement, la ménopause était la fin de leur vie de femme". Mais ce n'est plus le cas, et il est important d'aider les femmes à détacher féminité et enfantement. En leur offrant un espace d'échange, "Menopause Misery" aide à briser le silence aux relents d'archaïsme qui entoure la ménopause et réduit la femme à son utérus. Et on espère voir cette initiative se propager en France : le groupe reste exclusivement anglo-saxon et compte seulement 5 Françaises. C'est pourtant si important, ces "histoires de bonnes femmes" ...