L'histoire : Dans ce roman autobiographique, Joachim Meyerhoff raconte sa jeunesse entre les murs d'une vaste propriété abritant un hôpital psychiatrique pour enfants. Dirigée par son père, un pédopsychiatre obèse, cultivé et flamboyant, la clinique devient un terrain de jeu pour Joachim et ses deux frères aînés. Entourés de personnages fascinants, les enfants de la famille Meyerhoff grandissent en transformant chaque situation ordinaire en moment extraordinaire. Fasciné par les lubies et les obsessions de son paternel, l'auteur livre un portrait tout en finesse du chef de famille et de ceux qui ont gravité autour de lui.
Pourquoi on aime : La jeunesse de Joachim Meyerhoff a tout de suite quelque chose de captivant, d'enviable même. Car le romancier allemand a grandi dans une famille originale, atypique, de celles qu'on pensait réserver à la fiction. Sous sa plume, chaque moment de vie devient complètement burlesque, comme lorsqu'il raconte la découverte de son premier mort. Découverte que certains jugeraient macabre, mais que l'auteur va vivre comme une aventure très cocasse. Et puis il y a le cadre de vie, les patients étranges mais terriblement attachants, les grands frères qui titillent votre patience, et les parents attentionnés, qui mènent tambour battant cette existence aux frontières du fabuleux. Avec beaucoup d'humour et de finesse, Joachim Meyerhoff dresse une chronique familiale lumineuse et truculente, même lorsque le tragique et le désenchantement pointent le bout de leur nez.
Ed. Pocket, 416 pages, 7,80 euros
L'histoire : Alysia Abbot est âgée de 2 ans quand sa mère décède dans un accident de voiture. Son père, Steve Abbott, un jeune poète homosexuel, décide alors de leur offrir une nouvelle vie dans le San Francisco bohème des années 70. "San Francisco était notre monde, notre royaume enchanté, notre Fairyland"... écrit Alysia dans son premier roman éponyme. Des mémoires bourrées de souvenirs, de photos, de dessins et de poèmes qui retracent cette existence auprès d'un père tendre, complexe, égoïste parfois, mais d'une intelligence rare. En toile de fond de cette intimité aussi bien fusionnelle que conflictuelle, Alysia Abbott dresse le portrait d'une époque où se croisent Harvey Milk et politiques réactionnaires, poètes vagabonds et épidémie du Sida. Épidémie qui emporta tout sur son passage, même le père tant adoré...
Pourquoi on aime : Steve Abbott aimait la poésie, mais il aimait aussi remplir son journal intime, se raconter, et raconter sa fille, Alysia. Un jour de 1975, il se mit même à rêver d'un roman intitulé "La fille du gitan", écrit à travers les yeux de sa progéniture qui raconterait "comment ç'a été de grandir avec moi comme père". Steve Abbott n'a jamais écrit ce livre, et sa prophétie, il la doit à Alysia. Dans Fairyland, la fille du poète utilise les écrits intimes de son père pour retracer leur vie en duo. Un récit autobiographique narré à deux mains donc, extrêmement intime et touchant. L'auteure y dresse le portrait de cette figure paternelle pas comme les autres, poète homosexuel obsédé par l'amour, activiste et chef de file du mouvement New Narrative. De cette enfance peu ordinaire, Alysia garde de précieux souvenirs, et démontre aussi à quel point la beauté de cette vie de bohème ne l'empêchait pas de se sentir perdue. Ces deux points de vue accolés émeuvent et transportent. Sofia Coppola ne s'y est d'ailleurs pas trompé puisqu'elle devrait adapter Fairyland sur grand écran.
Ed. 10/18, 432 pages, 8,40 euros
L'histoire : Quand un grain de sable s'insinue dans une mécanique parfaitement huilée, c'est la tempête de sable qui guette. La mécanique ici, c'est un quartier bien tranquille de Melbourne. Cecila, reine des réunions Tupperware et maman modèle, trouve un jour une lettre écrite par son époux. Un courrier à n'ouvrir qu'après la mort du dit époux, sauf que celui-ci est bien vivant. Piquée par la curiosité, Cecila ouvre l'enveloppe et se retrouve emportée dans une tempête qui va bousculer sa vie, et celles de ses voisins. Roman choral façon Desperate Housewives, Le secret du mari donne la parole à des femmes trahies mais pas découragées pour autant.
Pourquoi on aime : Une petite communauté soudée et bien tranquille qui cache en fait un secret sordide, un thème qu'on aurait cru usé jusqu'à la corde. Mais si Liane Moriarty prend la même recette, elle la remet au goût du jour, y ajoute une bonne dose de cynisme et une belle pincée d'humour. Le secret du mari quel est-il ? Il faudra attendre quelques chapitres pour le découvrir. Mais ce secret, cette erreur funeste, va en tout cas avoir un impact sur les vies de quelques personnes qui se croyaient pourtant à l'abri des drames. Liane Moriarty ne passe pas seulement la banlieue au scalpel, elle s'attaque aussi au mariage, à la rédemption et à ce fameux effet papillon dévastateur.
Ed. Le livre de poche, 501 pages, 7,90 euros
L'histoire : En 1941, la jeune Elna enfourche sa bicyclette et s'offre pour la première fois des vacances au côté de son amie Vivi. Alors que les deux jeunes Suédoises longent la frontière norvégienne, elles rencontrent deux soldats et décident de passer la soirée avec eux. L'aventure se transforme en drame lorsqu'Elna est violée et revient chez elle enceinte d'une petite fille, Eivor. Saut dans le temps, Eivor a 18 ans et cherche à tout prix à ne pas reproduire les mêmes erreurs que sa mère. Elle se rêve en femme libre mais son infortune va lui faire comprendre qu'on ne renie pas son passé comme ça.
Pourquoi on aime : Bien avant de créer le personnage torturé du policier Kurt Wallander, Henning Mankell avait dressé le portrait d'une mère et d'une fille pas beaucoup moins tourmentées dans Daisy Sisters, roman dense paru en 1982 en Suède mais qui aura dû attendre 2015 pour se voir offrir une traduction française. Ces années qui passent, cette attente qui s'étire, sont justement au coeur de ce roman. On y trouve cinq longs chapitres qui s'étalent entre 1941 et 1981 et qui loin de permettre à la mère et la fille d'avancer, semblent les ramener à chaque fois à leurs frustrations et leur amertume. Elna a construit une vie qu'elle n'a pas choisie, elle est prisonnière. Eivor, elle, rêve de modernité et d'émancipation, elle est prête à tout pour ne pas vivre la même vie que sa mère. Mais quelques mauvais choix vont la ramener à une existence difficile. En dressant le portrait de ce duo mère/fille, Henning Mankell dépeint aussi une Suède en pleine mutation avec ses avancées sociales (apparition des congés payés et développement des syndicats) qui permettent enfin aux femmes de rêver à une vie un peu moins étriquée.
Ed. Points, 538 pages, 8,50 euros
L'histoire : Nikki Eaton, 31 ans et journaliste, regarde sa famille avec un brin de complaisance. Elle est la fille cool, un peu rebelle et indépendante de la famille. Nikki est proche de sa mère, Gwen, mais elle la juge trop douce, trop conventionnelle et peu confiante. Quant à sa grande-soeur, Clare, comment être proche d'elle ? Avec sa famille parfaite et ses jugements en pagaille, elle est particulièrement irritante. Mais le jour où la mère de Nikki est assassinée, les deux soeurs doivent faire face au deuil chacune à leur façon. Submergée par un chagrin très violent, la benjamine va conjurer sa peine en redécouvrant sa mère à travers des souvenirs, des photos, des lettres et les témoignages de leurs amis et de leurs proches.
Pourquoi on aime : Paru en 2008 en format poche chez Points, ce beau roman de Joyce Carol Oates s'offre une nouvelle vie grâce à l'éditeur Philippe Rey. Très prolifique, l'auteure américaine n'est pas du genre à éviter les sujets qui font mal, qui mettent mal à l'aise même. Mais Mère disparue est un roman différent, très intime, qui décrit avec subtilité l'expérience brutale du deuil. Comment continuer à vivre, et surtout, comment supporter le chagrin d'autrui (ici de la soeur) ? Pendant presque 500 pages, Joyce Carol Oates va raconter avec pudeur le combat de Nikki pour garder la tête hors de l'eau. Doucement, la jeune femme va se reconstruire, mais ce décès va la changer durablement. La fille en marge va reconsidérer ses choix, tenter de comprendre sa soeur, et surtout, elle va enfin vraiment faire connaissance avec sa mère. Une histoire de reconstruction bouleversante, mais jamais larmoyante.
Ed. Philippe Rey, 496 pages, 11,50 euros
L'histoire : Dans ce récit autobiographique à peine dissimulé, Nancy Huston convoque Dorrit, son double de papier, une enfant non désirée qu'elle choisit de tutoyer. Frontale, la romancière relate sa petite enfance, entre un grand-père pasteur, une grand-mère féministe, et des parents qui ne comprennent pas encore très bien les rôles qu'ils doivent tenir. Alison, la mère, veut être une femme moderne et émancipée. Mais ses envies d'une vie plus libre pousseront Kenneth, le père, à lui demander de quitter le foyer. Et c'est avec cet abandon brutal et total, que Dorrit – Nancy va devoir composer, s'inventer. Enfance, adolescence, entrée dans l'âge adulte... Nancy Huston fait défiler sa jeunesse de bad girl amoureuse des mots et de la musique. Une jeunesse heureuse malgré tout.
Pourquoi on aime : Qui connaît l'oeuvre de Nancy Huston sait que la romancière a quelques thèmes de prédilection, dont la famille, les traumatismes, le destin et la musique. Avec Bad Girl : classes de littérature, elle puise dans ses inspirations littéraires phares pour construire un récit autobiographique sous forme de petits fragments. Abandonnée par sa mère alors qu'elle n'a que 6 ans, Nancy Huston tente de comprendre ce geste, sans jamais juger celle qui l'a laissée. Obligée de correspondre avec sa mère par lettres, elle évoque avec ce livre comment cette habitude l'a finalement amené à tomber amoureuse des mots, jusqu'à devenir une femme de lettres. Si Bad Girl traite de l'abandon et de son impact, il y est donc aussi question de construction. Un récit très personnel, construit d'une manière assez inhabituelle, mais qui se lit d'une traite, qu'on soit familier du travail de Nancy Huston ou non.
Ed. Babel, 272 pages, 7,80 euros
L'histoire : Sylvia Shute, sexagénaire plongée dans le coma après avoir chuté de son balcon, se retrouve à l'hôpital. Et si elle ne peut pas s'exprimer, les autres vont s'en charger à sa place. Autour d'elle, se pressent un ex-mari dont elle a divorcé avec une grande facilité, sa soeur, une mystique loufoque et déboussolée, sa fille, qu'elle a mis à la porte du jour au lendemain, sa meilleure amie et amante très possessive, et même sa femme de ménage, surtout là pour lui raconter les derniers potins. Qui est vraiment Sylvia Shute ? Au fil des confessions, des reproches et des rancoeurs, ses proches vont raconter celle qui est désormais sans défense.
Pourquoi on aime : Personnalité du petit écran très apprécié en Grande-Bretagne (elle est la co-créatrice de la série à sketchs French and Saunders), Dawn French est aussi l'auteure de trois romans. Doit-on s'attendre pour autant à un enchaînement de scènes comiques ? Pas vraiment. Dans Cette chère Sylvia, l'auteure préfère s'attaquer au tragique. Alors oui, cette galerie de personnages hauts en couleur qui se retrouvent autour de Sylvia prêtes franchement à rire par moment. Mais plus ces mêmes personnages évoquent celle qui se trouve dans le coma, plus on se rend compte que la souffrance et le poids des secrets l'emportent sur la fantaisie. Qu'à bien pu faire cette chère Sylvia pour susciter autant d'émotions contradictoires ? Et surtout, les plus à plaindre méritent-ils vraiment notre pitié ? Seul le grand final orchestré par Dawn French vous le dira.
Ed. Archipoche, 380 pages, 7,80 euros
L'histoire : Toutes les familles ont leurs petits secrets, et celle de Mina et Nest n'est pas étrangère à cette tradition. Alors que les deux soeurs septuagénaires vivent leur retraite ensemble dans demeure de leur enfance, au sud-est de l'Angleterre, leur soeur aînée, Georgie, débarque, troublant ainsi leur paisible quotidien. Car Georgie glisse doucement vers la démence et menace de révéler des secrets que tout le monde préférerait voir enterrés. Arrive alors Lyddie, la nièce, déprimée par sa vie amoureuse compliquée, et qui va se retrouver bien malgré elle au coeur des révélations. Comme quoi, on peut être une vieille dame respectable et avoir quelques squelettes dans le placard...
Pourquoi on a aimé : Avec son atmosphère désuète, ses landes à perte de vue et ses héroïnes so British, ce roman de Willa Marsh devrait ravir les amatrices de littérature anglo-saxonne. D'autant plus que l'histoire qui prend forme est aussi alléchante que la toile de fond. Pourquoi Mina et Nest paniquent quand leur soeur aînée revient à la maison ? Pour y répondre, l'auteure crée des passages entre le passé et le présent. Nous voici ainsi transporté vers les années 30, quand les vieilles dames étaient des jeunes femmes amoureuses, bien décidées à prendre leur vie en main. Mais les choix et les erreurs de jeunesse vont bien évidemment se répercuter sur leur futur. Quelques décennies plus tard, l'harmonie fragile entre Mina et Nest va donc se craqueler avec l'arrivée de Georgie, et l'emprise du passé peut être enfin s'atténuer. Envie d'un petit voyage dans la campagne anglaise sans passer par la case Eurostar ? Alors plongez-vous dans une famille délicieuse, servez-vous une bonne tasse de thé, et savourez.
Ed. J'ai Lu, 414 pages, 8,40 euros