Qui ne connaît pas Violette & Co ? 18 ans durant, cette librairie parisienne située 102 rue de Charonne dans le 11e arrondissement de Paris, et dont le nom fait hommage à la sulfureuse autrice Violette Leduc, est restée un modèle sur la capitale : la première librairie française spécialisée dans les questions féministes, lesbiennes et LGBTI+, de son panel de livres à ses expos, rencontres et clubs de lecture. Seulement voilà, la retraite de ses fondatrices, Christine Lemoine et Catherine Florian, en février dernier a abouti à sa fermeture.
Au grand désarroi de la communauté LGBTQ, mais pas seulement. Fort heureusement, une association de jeunes femmes féministes notamment issues du milieu de l'édition, Violette and Coop, a lancé avec le soutien de ses fondatrices une campagne de financement participatif sur Hello Asso afin d'assurer la réouverture du lieu dans les prochains mois.
Nouveau lieu, nouveau local, mais mêmes ambitions : proposer aux personnes queer, et notamment aux femmes lesbiennes, un lieu de convivialité et de savoir. "Ensemble, réouvrons Violette & Co !", est leur mot d'ordre. Ses repreneuses désirent redonner vie à ce lieu de passage "pour toute lesbienne arrivant dans la capitale", afin de s'assurer d'une chose : "que nous ne sommes pas seul·es ni isolé·es dans le temps, que l'histoire féministe, lesbienne, a existé et perdurera", relatent-elles dans leur communiqué Hello Asso.
Issue de l'édition d'essais féministes, bénévole aux archives lesbiennes de Paris et co-instigatrice de ce projet de réouverture, Loïse Tachon est revenue pour nous sur cette initiative aussi essentielle que stimulante.
Loïse Tachon : On a récemment fini plusieurs chantiers concernant la réouverture de Violette & Co. Ses créatrices Christine Lemoine et Catherine Florian ont rendu leur local, qui était situé au sein de la rue de Charonne. On a finalement signé le rachat du fonds de commerce le 31 mars dernier.
A la base nous partions simplement d'un accord de confiance entre les fondatrices et nous pour devenir les repreneuses de Violette & Co, mais on l'est donc désormais officiellement devant la loi ! On a également envoyé une demande de subvention au CNL, le Centre national du livre.
On a pu permettre ce rachat grâce à la campagne de financement participatif sur Hello Asso, qui a très bien fonctionné - le premier palier de 40 000 euros a été franchi, ce qui a permis d'acheter le fonds de commerce de la librairie. La campagne est encore très partagée sur les réseaux sociaux, même auprès d'un public qui à la base n'était pas celui de Violette & Co.
Aujourd'hui, on en est à près de 59 000 euros récoltés. Notre deuxième palier, 65 000 euros, permettra d'avoir les fonds nécessaires pour avancer le premier loyer d'un local, la caution, mais aussi faire de travaux. L'idée d'un financement participatif est quant à elle née car nous avions de l'énergie mais pas d'apport personnel, en raison de notre âge et de notre situation professionnelle- au sein de la coopérative Violette & Coop nous sommes un collectif de femmes féministes de moins de trente ans, issues du milieu du livre.
De plus, si beaucoup de projets de reprises ont été proposés aux créatrices depuis l'annonce de leur départ à la retraite en 2019, la barrière était toujours la même : les financements. Et même si les mentalités ont évolué depuis la création de Violette & Co en 2004, les banques sont encore très réticentes quand il s'agit d'accepter des prêts pour des projets lesbiens.
On était donc pas certaines du tout d'obtenir le soutien des banques, ni celui des institutions. Et puis parfois, l'on peut juste avoir au bout du fil le mauvais interlocuteur, ou la mauvaise interlocutrice... C'est un frein. D'où le financement participatif pour le contourner !
L.T : Si Violette & Co était une librairie très connue à Paris, on s'est vite rendu compte qu'elle ne l'était pas forcément de toutes et de tous. Notamment en se rendant à des événements militants et associatifs comme le Printemps des Assoces de l'Inter LGBT. Je parle de toutes ces personnes qui ont la vingtaine et ne connaissent pas encore cette librairie. Il y a eu comme une rupture générationnelle entre différentes vagues militantes.
Et c'est cette jeune génération que l'on est justement en train de toucher, celle qui est très présente sur Twitter et Instagram. C'est pour cela aussi que ce projet de réouverture nous tient tant à coeur.
L.T. : On peut effectivement observer une évolution de ce côté-là depuis trois-quatre ans. Les maisons d'édition ont compris que les enjeux de féminisme et les questions LGBTQ pouvaient vraiment trouver leur public, un public en demande. On observe moins cette angoisse des maisons d'édition face aux sujets gays, lesbiens, trans, féministes... Maisons qui autrefois étaient très réticentes, voyant là des sujets tout sauf universels, des "sujets de niche".
Cette évolution, on l'observe notamment au sein des grands éditeurs. Je pense par exemple au retentissement d'un livre comme Le Génie Lesbien d'Alice Coffin. Les questions générationnelles sont davantage présentes. Même dans les librairies, les "tables féministes" ne se limitent plus au 8 mars... (sourire)
Si bien que l'on peut se demander : quelle serait la plus-value de Violette & Co par rapport aux librairies qui proposent déjà une sélection de livres féministes ? Il y en a plusieurs. Comme garantir une quasi exhaustivité des livres francophones sur le féminisme, les questions de genre, queer, lesbiennes, gay, trans. Et donc, trouver là des livres qu'on ne trouverait pas ailleurs.
Mais aussi, profiter de l'expertise des libraires sur ces sujets, qui peuvent vous conseiller au mieux. Violette & Co propose cette érudition, et pas juste les nouveautés "qui marchent" ou les classiques comme Trouble dans le genre de Judith Butler ou Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir.
L.T. : Oui, en plus du public déjà familier de Violette & Co, on a déjà pu compter sur plusieurs médias, mairies (comme celle du 11e, du 12e arrondissement) et associations. Et je ne parle pas simplement des médias queer : des publications réputées du milieu du livre comme Livres Hebdo et ActuaLitté sont également très intéressées par le futur de la librairie.
Et ce alors que Violette & Co, pendant très longtemps, a eu beaucoup de mal à s'implanter dans le milieu du livre, en raison notamment de l'homophobie... En plus d'essuyer, à l'époque de l'installation, des refus de toutes les banques de Paris. Au début des années 2000, Christine Lemoine et Catherine Florian éprouvaient des difficultés à trouver des locaux, certains quartiers craignant même à travers l'installation de Violette & Co... celle d'une librairie porno !
On a également reçu des soutiens d'auteurs ou d'autrices comme Juliet Drouar (Sortir de l'hétérosexualité), Irene (La terreur féministe), et Alice Coffin, que l'on a rencontré, et qui nous a proposé de l'aide pour trouver un local. Des revues militantes comme Well Well Well nous ont bien épaulé ainsi que des librairies parisiennes comme Les Mots à la Bouche, spécialisée sur les thèmes LGBT.
L.T. : Le choix d'une coopérative n'est pas né de rien. Nous cherchions une alternative à la structure que l'on avait que trop connu dans nos précédents métiers (au sein de l'édition notamment), autrement dit une organisation hiérarchique horizontale des tâches, un environnement de travail pas vraiment en phase avec nos valeurs.
A l'inverse, la coopérative permet une structure horizontale, sans boss, où toutes les décisions sont prises par vote. C'est une structure d'économie sociale et solidaire qui permet l'absence d'investisseurs, mais se compose uniquement de coopératrices et coopérateurs. En somme, une structure en phase avec les besoins des salarié·es avant tout et non les exigences des patrons.
Dans le milieu LGBT, on a d'ailleurs pu observer beaucoup de coopératives et d'associations, en France comme aux Etats-Unis. Je pense notamment au bar lesbien La Mutinerie à Paris, qui a fait le choix de la coopérative. Mais aussi à la librairie féministe et LGBTQ L'Euguélionne à Montréal, ou à Bluestockings à New York. Violette & Coop s'inscrit donc dans toute une tradition.
L.T. : Oui, on souhaite ajouter un espace-café pour que les gens puissent s'y attarder. Mais aussi un espace accessible aux personnes à mobilité réduite. Enfin, rester dans le même esprit que l'ancienne librairie, mais agrandir certains rayons, comme le rayon BD, Jeunesse, Mangas, où l'offre sur les questions de genre est foisonnante. Proposer également un fonds plus fourni sur le racisme, la sociologie...
Une librairie, c'est un commerce, mais aussi un lieu de partage, de découverte, de connaissances. C'est le lieu du collectif : c'est ce que l'on a l'esprit. On veut proposer aux personnes LGBTQ de Paris un espace safe qui ne soit pas simplement un lieu de fête – que les personnes puissent simplement venir, échanger, découvrir, au fil des rayons mais aussi des ateliers d'écriture, des rencontres avec des autrices...
L.T. : A l'heure actuelle, les prochaines étapes sont : pouvoir franchir le second palier du financement participatif afin de s'installer dans un local et d'y faire des travaux (on est déjà aidées en ce sens par différentes mairies et structures), mais également reconstituer le catalogue, puisque quand une librairie ferme, elle renvoie les livres aux éditeurs.
On aimerait dans le meilleur des cas rouvrir au moins de juin, c'est-à-dire pour le Mois des Fiertés, même si c'est un délai vraiment très serré. On croise les doigts. En attendant, nous organisons des soirées de soutien. Le 15 avril notamment, au Point Éphémère !
La campagne de financement "Ensemble, réouvrons Violette and Co !" est à retrouver ici.