Qui a dit qu'écrire sur et pour les enfants n'avait rien de militant et de politique ? Depuis des décennies, la littérature jeunesse se plaît à déboulonner les tabous, préjugés et clichés. En éveillant son jeune public (et leurs parents) aux luttes écologistes, à la cause animale, aux discriminations raciales... Mais aussi aux stéréotypes de genre.
A ce titre, elles sont de plus en plus nombreuses, les fictions à aborder la diversité des orientations sexuelles, mais aussi la complexité de l'identité de genre, et la réalité de sa fluidité - n'en déplaisent aux transphobes. Albums et romans, pour enfants et ados, n'en finissent pas de creuser ce sillon. Et de bousculer les codes.
La preuve en sept lectures LGBTQ ludiques, audacieuses et profondément sensibles.
D'un côté Louve, jeune lycéenne comme les autres, de l'autre Jonas, son grand frère. Et entre les deux, un nouveau venu au bahut, mystérieux au possible : William, dont Louve tombe folle amoureuse. Mais si William... aimait Jonas ? Sous couvert d'un postulat universel - le temps troublé de l'adolescence et sa confusion des sentiments - le premier roman attachant de Lily Arcoeur évoque une France discriminatoire (celle de la Manif pour tous, que soutient la famille conservatrice de l'héroïne) où la tolérance semble faire office de page blanche.
Ecriture limpide, ton générationnel et conflits familiaux constituent la force de ce récit abordant l'homosexualité par le prisme le plus réaliste et doux amer de la littérature young adult. De quoi donner de la voix aux principaux concernés et sensibiliser les autres. Malgré la haine et les crises de coeur, un signe utopique plane au-dessus de cette histoire : un papillon aux couleurs pacifiques de l'arc-e- ciel, figurant sur la Une du livre.
Derrière cet intitulé en forme d'assertion, un album particulièrement remarqué, abordable dès l'âge de 8 ans. Egalement réalisateur et animateur de films d'animation, Jean-Loup Felicioli narre ici l'histoire de la jeune Camille, "une petite fille née avec un corps de garçon", telle qu'on nous la présente. Comment dès lors affronter sa rentrée des classes quand l'on est enfermée dans un corps et une identité qui ne vous correspondent pas ?
Thématique trop rarement abordée dans les albums pour enfants, la transidentité gagne cependant de plus en plus en visibilisé dans ce champ littéraire depuis quelques années. Et l'on ne peut que s'en réjouir. Je suis Camille aborde le sujet avec pudeur et application, évoquant les difficultés que rencontre Camille auprès des autres enfants, mais aussi l'importance de sa précieuse singularité - une singularité à protéger plus que tout.
Le nom de Lisa Mandel vous est peut-être familier, dans la mesure où il envahit depuis vingt ans vos librairies. On aime les univers délurés déployés par l'autrice, notamment à travers la série à succès des Nina Patalo (les nostalgiques du magazine Tchô! en savent quelque chose). Mais aussi la faculté qu'a la dessinatrice à investir des sujets diversifiés et sensibles. Preuve en est, sa bande dessinée Les Nouvelles de la jungle de Calais (Editions Casterman), qui témoigne du quotidien des migrants au sein desdits espaces habités.
Dans le bien-nommé Princesse aime princesse, la co-instigatrice des éditions Exemplaire fait une nouvelle fois preuve d'audace en délaissant princes charmants et autres bellâtres aux sourires ultra-bright pour une approche plus réaliste - et plus queer également - de schémas narratifs bien connus. En racontant la délivrance toute symbolique de la jeune Végétaline, 16 ans, par l'intrépide ado Codette, Lisa Mandel propose une vision remaniée et délibérément inclusive des sempiternels contes de fées. Et beaucoup plus drôle aussi.
Vous connaissez certainement Le monde de Charlie, le teen-movie rafraîchissant au possible de Stephen Chbosky sorti en 2012. Un petit bijou de sensibilité porté par un casting plus générationnel tu meurs (Emma Watson et Ezra Miller y flamboient notamment). Mais avez-vous lu Pas raccord (depuis rebaptisé Le monde de Charlie), le best-seller dont s'inspire ce film pour ados, que l'on doit par ailleurs au même auteur ? Si non, il n'est jamais trop tard pour corriger ses erreurs.
Si cette modeste histoire d'amis teenagers en quête de sérénité a tant marqué le lectorat, c'est notamment par son écriture libre des sexualités. En plus de normaliser une expression du désir par ses protagonistes adolescents, Stephen Chbosky met en avant un personnage passionnant : Patrick, ami de Charlie, ouvertement homosexuel. Puisqu'elle témoigne des difficultés d'être un jeune homme gay dans une société ultra hétéronormée, sa voix importe plus que tout. Par sa force, comme par les obstacles auxquels elle se confronte violemment.
Publié pour la première fois en 1976, au sein d'une littérature jeunesse en pleine révolution des codes, cette logiquement intitulée Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon est un véritable classique du genre - dans tous les sens du terme. On la doit à l'auteur et éditeur Christian Bruel, dont les ouvrages remplissent nos bibliothèques et médiathèques depuis des décennies - Les chatouilles, Ce que mangent les maîtresses, Jérémie du bord de mer...
Comme bien souvent, la littérature jeunesse interroge les stéréotypes de genre avec ce récit avant-gardiste dédié à la jeune Julie, soit ce que l'on appelle (très vulgairement) "un garçon manqué". Julie est une petite fille, mais son ombre, elle, est un petit garçon. De quoi troubler la notion si complexe d'identité - et tous les préjugés qui vont avec. Un album résolument queer, à (re)découvrir dans sa récente réédition aux éditions Thierry Magnier.
Cela fait des années déjà que romans jeunesse et albums pour enfants s'exercent à illustrer un thème destiné à ne plus être tabou : l'homoparentalité. Parmi les florilèges d'exemples, citons Mes deux papas de Juliette Parichini-Deny et Marjorie Béal, récit d'adoption brisant les non-dits par le prisme de la fable animalière, l'un des registres les plus familiers au jeune public s'il en est. Ici, ce sont oiseaux et oisillons que l'on suit.
A travers une fiction joyeuse, bienveillante et minimaliste, autrice et illustratrice s'exercent à normaliser pour de bon un schéma familial qui fait encore grincer les dents des partisans de La Manif pour Tous. En découle un ouvrage épuré au possible, ludique et nécessaire, propice à divertir la plus jeune audience.
A la fois autrice, comédienne et illustratrice, Jessica Love est une touche-à-tout enthousiasmante. Julian est une sirène est sa première incursion dans le panorama du livre jeunesse. Et pas la plus conventionnelle, puisque la Californienne assume ici un ton queer. Dans ce court récit, elle nous présente l'attachant Julian, petit garçon new-yorkais qui, un jour, l'affirme : "Je suis une sirène". Car pourquoi un jeune garçon ne pourrait-il pas l'être ?
Un recours à l'imaginaire pour évoquer un questionnement du genre, de ses représentations comme de sa binarité, on ne peut plus actuel. Un choix artistique atypique, cohérent dans sa vision de l'enfance, et applaudi par la critique comme par le public : depuis sa parution en 2019, Julian est une sirène a notamment reçu des honneurs outre-Atlantique, dont le Stonewall Book Award, présenté comme le premier prix des livres LGBTQIA, récompensant chaque année les lectures les plus inclusives depuis déjà un demi-siècle.