Entre représentations inexistantes ou clichés déplacés, l'homoparentalité n'est pas toujours le sujet le mieux traité au sein de l'espace médiatique. Et parfois, elle n'est même pas traitée du tout. On se rappelle par exemple de ces pubs Auchan toutes nulles. C'est bien dommage, car il est important de visibiliser les couples homosexuels. Et même, d'en parler le plus tôt possible aux enfants, histoire de briser le tabou dans l'oeuf.
Et cela, les autrices et auteurs pour enfants d'aujourd'hui le savent bien. C'est avec beaucoup de sensibilité, mais aussi de fantaisie et d'humour, qu'ils donnent le la à une littérature jeunesse moins hétéronormée, plus authentique et diversifiée, entre histoires réalistes du quotidien et fables allégoriques. Car si elle fait grincer des dents bien des parents aux esprits trop étroits, l'homoparentalité a droit de cité dans ce paysage éditorial précis.
La preuve en huit récits qui ne demandent qu'à squatter la bibliothèque de votre ou vos mini(s)-moi.
Encore une belle découverte estampillée L'école des loisirs. Jean est un petit loup à salopette, jusque là rien de très insolite me direz-vous. Mais petit détail : contrairement à ses petits camarades, Jean a deux mamans. Et là encore, rien d'anormal ! En narrant le quotidien de Jean, Marie et Jeanne, l'illustratrice et autrice Ophélie Texier (spécialiste des animaux anthropomorphes) délivre une fable limpide et tendre, idéale pour normaliser ce schéma parental qui suscite bien des réflexions déplacées.
Une question rhétorique qui en dit long. Derrière ce "Pourquoi pas ?", une histoire insolite imaginée par Béatrice Boutignon (d'après un fait divers, dixit l'autrice). Nous suivons, à travers les yeux d'un petit garçon, la vie de couple de Roy et Silo, deux manchots mâles enfermés dans un zoo new-yorkais. Une union amoureuse touchante qui aboutit même à l'adoption d'un bébé manchot (très cute). Rien de tel que l'allégorie pour faire passer un message. Et au sein de la littérature jeunesse, c'est bien souvent le registre animalier qui se déploie pour mieux sensibiliser. Quitte à chatouiller les âmes (adultes) les plus conservatrices.
"Aujourd'hui le schéma papa et maman est certes traditionnel mais loin d'être le seul qui existe. J'estime que chaque enfant a le droit d'avoir des histoires avec des héros auxquels il peut s'identifier". Difficile de ne pas saluer ces mots d'Anna-Victoria Val. A travers ses livres auto-édités, l'autrice offre à son jeune lectorat des représentations plus diversifiées et authentiques, aux antipodes des pépites sexistes habituelles.
L'artiste explique d'ailleurs cette dimension non seulement inclusive mais féministe dans les pages du magazine Néon : "Dans mon livre c'est le papa qui fait le gâteau, pas la maman. Je veux montrer que ce ne sont plus seulement les femmes qui s'occupent du foyer". Une littérature moins hétéronormée donc, et divertissante à souhait, où les papas amoureux prennent l'apparence de pandas ou de koalas. Ludique.
Autre opus, autres papas : ceux de Violette. L'espace d'une trentaine de pages, l'écolière aux oripeaux pourpres nous explique à quel point ses deux papas assurent ("Je les aime tous les deux, et puis c'est tout"). Un amour tendre mais pas toujours facile à vivre quand ses camarades ne cessent de la pointer du doigt. Sous ce portrait de famille s'immisce une lecture solaire et colorée signée Émilie Chazerand, à qui l'on doit également l'un des meilleurs titres de la littérature jeunesse 2019 : La société des pépés à adopter.
Un intitulé en forme de proverbe, pour une évocation légère de l'homoparentalité. Quand les poissons rouges auront des dents met effectivement en scène une "maîtresse aux grosses lunettes", un poisson (tombé dans les toilettes), un jeune garnement (malgré lui), mais aussi un couple constitué de deux papas. Ou comment normaliser une réalité trop peu mise en lumière sous couvert de fantaisie, de péripéties et d'humour tout public. Les illustrations séduisantes de l'artiste belge Philippe de Kemmeter (Depuis que mon père est au chômage, La grande fabrique de bébés) servent avec délicatesse cette fiction.
Rien de très "festif" dans ce récit de Chadia Loueslati et Ingrid Chabbert, mais une vérité tristoune : les tourments qu'éprouvent les enfants quand il s'agit d'évoquer leur situation familiale à leurs profs et camarades, lorsque celle-ci diffère légèrement de celle des autres. C'est ce qu'éprouve Prunelle au sein de son centre aéré, alors qu'elle doit préparer des cadeaux pour ses deux mamans - fête des mères oblige. Un sujet sensible qui méritait bien que l'on s'y attarde, d'autant plus que les personnages lesbiens manquent encore cruellement à la littérature jeunesse. Et une lecture qui devrait, on l'espère, décomplexer bien des jeunes lectrices et lecteurs.
"Mon papa a un amoureux. Mais moi, j'veux pas qu'il soit homosexuel". Au coeur de l'ouvrage bienveillant d'Ingrid Chabbert et Lauranne Quentric, cette théma qu'explorent au fil de leurs livres auteurs et autrices pour enfants : l'homosexualité, mais surtout la difficulté éprouvée à l'énoncer, et, pour certain·e·s, à l'accepter. C'est le cas de la protagoniste, la jeune Amandine, conscience qui ne demande qu'à s'éveiller davantage. Depuis quelques années, l'amour au masculin est de plus en plus présent au sein de la littérature jeunesse, et c'est tant mieux. On pense à des récits comme Deux garçons et un secret d'Andrée Poulin ou Jérôme par coeur de Thomas Scotto.
Destiné aux enfants un peu plus âgés, le roman de Josette Chicheportiche dénote par son histoire : ce que ressent un jeune garçon lorsque son père divorce... pour se mettre en couple avec un autre homme. Une situation ô combien réaliste et pourtant si tabou au sein de la littérature, et même de notre société. Salutaire, donc. Celles et ceux qui ont apprécié cette lecture audacieuse pourront toujours tester Le jour où papa s'est remarié, ouvrage de l'auteur réputé Thierry Lenain, grand nom des éditions Nathan jeunesse.