Livres
5 jolis livres pour enfants qui s'engagent pour la cause animale
Publié le 28 novembre 2019 à 17:32
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La littérature jeunesse constitue l'un des rares lieux où les animaux ont vraiment droit de cité. Personnages à part entière, individus singuliers, sujets principaux... Logique donc de voir les livres pour enfants défendre la cause animale. Petit panorama d'opus engagés et ludiques.
La littérature jeunesse et la cause animale : "Libérez-nous !" La littérature jeunesse et la cause animale : "Libérez-nous !"© L'Ecole des loisirs
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Terre d'expérimentations, de poésie et d'irrévérence, la littérature jeunesse n'a de cesse de fasciner petits et grands. Au sein de ces bels écrins que sont les albums illustrés ou les contes décalés et satiriques, auteurs et autrices n'ont jamais hésité à glisser (ni vu ni connu) un regard volontiers contestataire sur notre monde. Et aujourd'hui, le ton semble d'autant plus se politiser. Pour notre plus grand plaisir.

La preuve ? Cette année, le vaste Salon de la littérature et de la presse jeunesse de Montreuil, qui se tient du 25 novembre au 2 décembre 2019, consacre une flopée de conférences et ateliers à des thèmes archi-stimulants et actuels : l'anti-sexisme, la question du genre dans les livres pour enfants, l'évocation des réfugiés... Et aussi, ce n'est pas rien, la façon dont la condition animale s'illustre dans ce champ culturel bien précis.

Normal : les livres pour kids débordent depuis des lustres de tigres, de chiens, de chats, d'éléphants, d'oiseaux. Mais désormais, ceux-ci ne sont plus seulement figurants de l'histoire, ils sont sujets. Respect de leur individualité et focus sur leur exploitation sont les deux grands thèmes qui traversent toutes sortes de récits colorés et ludiques.

"La cause animale est de plus en plus frontalement abordée dans la littérature pour enfants avec des albums et des romans qui ne cachent pas leurs intentions et parlent de la relation à l'animal, de l'antispécisme, du végétarisme", nous affirme d'ailleurs Coline Pierré, autrice très inspirée de livres pour enfants engagés (La révolte des animaux moches, Je peux te manger ?, Le jour où les ogres ont cessé de manger des enfants).

Romancier végétarien et papa, Martin Page, qui a autant écrit pour les enfants que pour leurs parents, explique cela par le fait que de très nombreux noms de la littérature jeunesse sont végétariens, voire vegans. "On essaie donc de faire passer nos idées, d'une manière ou d'une autre : l'on veut montrer que les animaux sont des individus, et pas simplement de la chair à saucisses !", nous raconte l'auteur de Les Animaux ne sont pas comestibles.

Pour l'écrivaine Alice Brière-Haquet, à la fois autrice de livres pour enfants et spécialiste de la littérature jeunesse (des contes de Charles Perrault, entre autres choses), "la littérature jeunesse est la chambre d'écho des grands enjeux de société, et la question animale y entre petit à petit". Et pour s'en convaincre, il suffit juste de parcourir les rayons bien fournis de sa médiathèque ou librairie préférée. La preuve en 5 bouquins engagés qui abordent la cause de nos amis les bêtes avec une grande inventivité.

Libérez-nous
"Libérez-nous" de Patrick George : liberté ! © Pastel-Ecole Des Loisirs

Le pitch : Une suite de séquences de la vie quotidienne où fantaisie et amertume s'enlacent intelligemment. Un ours enfermé en cage, un éléphanteau expédié sur la scène d'un cirque, un crocodile transformé en chaussures, un requin qui se retrouve dans une soupe au poisson... Tel est le "destin" de ces animaux pris au piège. Mais le jeune lecteur (à partir de 3 ans) ne peut-il rien faire contre ça ?

L'oeil des expert·es : Et si. C'est d'ailleurs ce qui plaît à l'auteur Martin Page. "C'est malin : Libérez-nous fonctionne suivant un système de calques. Lorsque l'enfant tourne les pages transparentes, l'animal enfermé se retrouve libéré ! C'est le jeune lecteur qui les renvoie dans leur environnement naturel, avec leur famille", raconte-t-il. Ou comment combiner l'attractivité des livres "pop-up" (ces bouquins interactifs dont les pages se déplient et/ou nécessitent une action quelconque de l'enfant) avec un vrai message.

Un discours qui ne laisse pas Coline Pierré indifférente, bien au contraire. "C'est un livre très jouissif pour les enfants, et en même temps hyper frontal. Mine de rien, il montre l'élevage des animaux, mais également le cirque, le zoo, dépeints comme des moyens d'emprisonnement et d'exploitation de l'animal". Le tout se retrouve brossé avec cette tonalité joyeuse si caractéristique de la littérature jeunesse. On aime, on lit.

Libérez-nous, par Patrick George.
Ecole des Loisirs. Où le trouver ?

Le jour où les ogres ont cessé de manger des enfants
"Le jour où les ogres ont cessé de manger des enfants", une utopie ? © Editions du Rouergue

Le pitch : Imaginez... Imaginez un monde où les ogres carnassiers - ceux de nos contes de fées préférés - cesseraient de dévorer nos chères petites têtes blondes. C'est ce que propose Coline Pierré avec cette drôle d'histoire illustrée par Loïc Froissart. Une terrible épidémie "condamne" ces géants carnivores à un régime strictement végétarien. Et ce n'est pas pour déplaire aux enfants, leur "happy meal" favori...

L'oeil des expert·es : "La littérature jeunesse a le pouvoir de questionner le monde, mais aussi de remettre en question nos habitudes et ce qui nous parait normal... sans forcément verser dans le didactisme ! Notamment avec ce décalage permanent qu'on retrouve dans bien des livres. Car lorsque l'on décale la réalité, on la rend toujours plus visible...", nous explique avec enthousiasme son autrice. En l'occurrence, ici, le parallèle avec notre propre consommation de viande (ou celle de nos proches) est limpide.

C'est une allégorie claire, qui divertit les enfants, mais fait aussi grincer quelques dents. "Sur ce genre de thèmes, à la lecture, les parents peuvent être un peu plus frileux !", s'amuse Coline Pierré. L'allégorie de l'ogre est maligne puisqu'elle incite les kids à s'interroger un peu plus sur ce que l'on sert à déjeuner, à la cantine et ailleurs. "Les enfants veulent comprendre comment fonctionne le monde, alors ils s'intéressent forcément à ce qui se trouve dans leur assiette !", explique en ce sens l'autrice.

Le jour où les ogres ont cessé de manger des enfants, par Coline Pierré et Loïc Froissart
Editions Le Rouergue. Où le trouver ?

Jefferson
"Jefferson", une société d'animaux. © Gallimard jeunesse

Le pitch : Derrière ce nom très "american dream", un beau récit de Jean-Claude Mourlevat, illustré avec style par Antoine Ronzon. Jefferson n'est pas un ancien président des USA, mais un simple hérisson. Enfin, "simple", pas tant que ça, puisqu'il évolue dans une société alternative où les animaux se livrent à des activités d'humain (comme aller chez le coiffeur par exemple)... alors que le monde des humains (le nôtre) existe bel et bien. Accusé de meurtre, Jefferson va d'ailleurs s'y rendre afin de mener l'enquête. Et ce qu'il découvrira dépasse les limites de l'entendement : des animaux d'élevage ! Un roman aventureux à découvrir à partir de onze ans.

L'oeil des expert·es : Voilà un pitch très "série noire" qui, c'est certain, ne laisse pas indifférent. C'est l'un des grands coups de coeur d'Alice Brière-Haquet, qui salue son audace. Et sa cruauté sous-jacente. "Jefferson est une histoire très maligne qui s'appuie sur la tradition de la fable animalière pour la confronter à la réalité des abattoirs... C'est très fin, excellemment écrit, et on en sort pas indemne !"

Faire comprendre aux enfants l'existence des abattoirs, et savoir comment leur en parler - avec finesse et doigté - ce n'est pas vraiment une mince affaire. Et c'est pour cela que ce livre est à retenir. "On ne pourrait pas sortir un livre pour enfants focalisé sur une question type "D'où vient la viande ?" car le tabou est encore trop grand chez les éditeurs et les auteurs", nous explique en ce sens Martin Page. "Une façon de contourner ces tabous est encore de créer des figures animales qui ont de la personnalité, un discours, de l'inventivité". Comme Jefferson le hérisson, par exemple.

Jefferson, par Jean-Claude Mourlevat et Antoine Ronzon
Editions Gallimard Jeunesse. Où le trouver ?

Comme toi
"Comme toi" : l'animal et l'enfant. © Gallimard jeunesse

Le pitch : Non, ce livre n'est pas juste une bonne excuse pour casser les oreilles de vos enfants à grands coups de Jean-Jacques Goldman. Comme toi met à l'honneur le discours d'un animal (vache, singe, lapin...), qui nous relate son existence en la comparant à celle d'un enfant. Et figurez-vous que les similitudes ne sont pas rares. Surtout en ce qui concerne les émotions...

L'oeil des expert·es : L'enfant et l'animal, c'est un duo qui dépasse de loin le simple cadre des situations abracadabrantesques ou de la complicité farceuse. L'union entre ces deux êtres à part, volontiers ignorés par les adultes, est de l'ordre du spirituel. Voire du politique. "Les enfants sont aussi victimes de l'oppression. Ce n'est peut être pas la même oppression que pour les animaux bien sûr mais eux aussi ne sont pas libres à plein de niveaux (on les force à faire des choses, on leur impose toutes sortes d'injonctions). C'est pour cela que cette identification avec les animaux marche aussi bien", décrypte l'écrivain Martin Page. Tous deux pourraient se révolter...

Et le livre de Jean-Baptiste Del Amo (par ailleurs auteur d'un essai sur l'association L124 et lauréat du prix du Livre Inter avec Règne animal), "aussi doux que son message est clair et grand public" dixit Coline Pierré, de faire passer son engagement pour la cause animale en insistant sur cette liaison fondamentale entre ces "drôles de bêtes". Comme l'enfant, l'animal s'exprime, a une conscience, des affects.

De quoi enchanter Alice Brière-Haquet, pour qui la prise en compte de l'animal dans les livres pour enfants ne peut pas être une mauvaise chose, loin de là. "L'apparition des animaux-en-tant-qu-animaux dans le champ littéraire marque le début de leur reconnaissance", se réjouit-elle.

Comme toi, par Jean-Baptiste Del Amo et Pauline Martin.
Editions Gallimard Jeunesse. Où le trouver ?

On est pas du bétail !
"On est pas du bétail !", ou le bien être animal en cases. © Editions Delcourt

Le pitch : Voilà un titre qui a tout du slogan vindicatif. Mais cette bande dessinée, loin du tract, est avant tout une chouette exploration de la condition animale. Le temps d'une expérience, une classe d'élèves curieux se penche sur le sujet. Et ces jeunes étudiants s'avèrent être parés à remettre en question leur petit confort alimentaire. Loin de la leçon professorale, c'est l'humour qui traverse cet album jamais bête.

L'oeil des expert·es : Faire découvrir aux kids la condition animale, ce n'est pas si anodin. Car, comme le raconte Coline Pierré, même lorsque l'animal est au coeur d'un livre pour enfants, "il lui arrive parfois de manger... de la viande !". Anthropomorphisme oblige, un animal qui parle et se comporte comme un "humain" peut très bien déguster un steak. Une vraie "dissonance cognitive" pour l'autrice, qui préfère en rire qu'en pleurer. Faire de ces habitudes alimentaires le sujet d'une bande dessinée est donc plutôt malin.

Car en instruisant les enfants, la littérature jeunesse en profite toujours pour interpeller les adultes. Un double effet Kiss Cool qui fait toute la force de cet imaginaire jubilatoire. "Les livres pour enfants peuvent interloquer les gens qui, au départ ne se sentaient pas du tout concernés, et ça c'est formidable", affirme Martin Page. Pour faire "passer la pilule", On est pas que du bétail met en scène une classe d'élèves, forcément animée et divertissante.

Idéal pour captiver, mais aussi pour délivrer une jolie ode aux nouvelles générations. "Lorsque l'on parle de cause animale, de consommation de viande ou d'écologie, on a parfois l'impression que les adultes ont déjà abdiqué", déplore Martin Page. "Alors que les jeunes d'aujourd'hui se battent pour le climat, décident de devenir végétariens, ne sont pas encore broyés par le système", remarque notre interlocuteur.

Le bétail n'est pas du bétail, et les enfants ne sont pas "que" des enfants. Ils sont l'avenir. Et leur éveil passe toujours - d'une certaine manière - par les animaux, présents dans le jardin/l'appart de leur parents... comme dans ces livres qu'ils dévorent depuis toujours. Et ce n'est pas près de s'arrêter.

On est pas du bétail !, par Le Cil Vert et Jean-Fred Cambianica,
Editions Delcourt. Où le trouver ?

Mots clés
Livres enfants animaux Bien-être animal feminisme ecologie parentalité
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