C'est LE film événement de cette rentrée.
Avec Emilia Perez, l'histoire d'un chef de gang désireux d'être la femme qu'il a toujours été, Jacques Audiard bouscule les genres. Dans tous les sens du terme : il entremêle portrait de femme queer à la Almodovar, thriller et comédie musicale, tout en délivrant une furieuse ode à la transidentité...
Comédie musicale, oui, on oublie trop souvent de le préciser : et les chansons qui viennent booster les enceintes rivalisent d'émotions paradoxales. Tantôt dégainées comme des uppercuts émancipateurs (celles de Zoe Saldana, dans la peau d'une avocate hyper motivée) tantôt comme des introspections douces, voire des chants sororaux. Cohérence du projet, le cinéaste applaudi à Cannes - où son quatuor d'actrices est reparti couronné - donne le la à une comédienne et chanteuse, Selena Gomez, pour le plus grand plaisir de ses fans...
Mais l'une des grandes stars de ce projet est restée dans l'ombre : la femme artiste derrière toutes ces musiques, et leurs paroles... Vous la connaissez pourtant très bien.
Emilia Perez, portrait de femmes au pluriel, femmes fortes, émancipées, battantes, en quête d'elles-mêmes, cherchant à se libérer d'une masculinité toxique qui s'insinue insidieusement... Porte en son coeur une autre femme, que le public hexagonal connaît bien ! Car l'autrice derrière les chansons de cette comédie musicale n'est autre que Camille.
Camille, sacrée en 2005 et à seulement 27 ans pour son cultissime album Le fil, opus où elle déployait toute l'étendue de ses expérimentations vocales (on a jamais oublié son tube, Ta douleur), composant une oeuvre décalée et mélancolique, fantaisiste - traversées d'onomatopées - et grave, où la musicalité de la voix se fait tour à tour détonnante et épurée (sur Pâle septembre, chef d'oeuvre de poésie)... Du tragicomique aux redoutables mélodies. Un ovni de la chanson française.
Ces vingt dernières années la chanteuse n'a eu de cesse de dévoiler l'éclectisme de ses talents, d'un album gospel/soul constitué de chansons en anglais à un opus à l'intensité toute féministe - le bien nommé Ouï - en passant par quelques reprises très singulières dont elle seule a le secret - il faut écouter sa version toute personnelle de "Que je t'aime".
Mais la chanteuse aux 22 ans de carrière s'est aussi dévoilée avec d'autant plus d'éloquence à l'écran.
En signant la chanson de fin du Ratatouille de Pixar (elle y prête sa voix au personnage de Colette), en faisant la comédie (chez Emmanuelle Bercot, dans la série Capitaine Marleau...), lorsque Xavier Dolan a repris l'une de ses plus belles chansons dans son film Juste la fin du monde ("Home Is Where It Hurts") ou quand l'artiste a eu la bonne idée de composer la bande originale du dessin animé Le petit prince. La chanteuse aux traits de caractère bien connus (marcher pieds nus sur scène par exemple) est également - ou plutôt, sa grossesse ! - au centre d'un documentaire autobio, Comme un poisson dans l'air.
Sur Emilia Perez, elle privilégie une écriture toujours plus poétique et audacieuse pour dire le chaos des sentiments et l'intensité des introspections. Camille a écrit et composé les chansons avec Clément Ducol, son partenaire, musicien, compositeur, arrangeur et orchestrateur français, que l'on retrouve à la musique de plusieurs films, des Chatouilles d'Andréa Bescond au Peter von Kant de François Ozon, en passant par le Césarisé dessin animé Linda veut du poulet ! (où l'on retrouve également la voix d'une certaine Juliette Armanet).
Travail à quatre mains et en couple, au résultat joyeusement polyphonique, absolument moderne.
Et plein d'émotions, comme le relate ce reportage de Télérama, en plein coeur des studios d'enregistrement : "Camille se souvient avoir regardé quelques comédies musicales avec Jacques Audiard. Elle a aimé Les Chansons d’amour de Christophe Honoré, détesté Moulin-Rouge de Baz Luhrmann. L’important est de faire table rase et d’inventer. Camille est habitée par le personnage d’Emilia Pérez. La chanteuse garde tout contre elle sa répétitrice mexicaine [qui l'accompagne dans ses compositions, ndlr] et se laisse emporter par la folie du tableau. Elle finit en pleurs dans un silence sidéré. Le personnage d’Emilia Pérez la hante"
"Les discussions sont pointilleuses. Pendant la lecture des scènes, assise en tension, les genoux repliés sous le menton, presque entièrement dissimulée sous un plaid rouge, Camille multiplie les propositions et les notations psychologiques. Elle vit immergée depuis deux ans dans le monde des personnages, elle avance avec eux, parle comme eux, voix d’homme, voix de femme, elle pense en espagnol, écrit en espagnol"
Une musique très incarnée, donc. Et ca se sent à l'écran !