Remplir son panier en un clic. C'est la promesse de Shein, le géant chinois de l'ultra fast fashion. Chaque jour, des commandes sont passées sur le site internet de la marque, sans que l'utilisateur n'ait à lever le petit doigt, ni à faire un trou dans son budget. Mais que se cache-t-il derrière cette facilité apparente et ces vêtements à 5 euros ? Des conditions de travail inhumaines, des horaires impossibles et un salaire de misère. C'est ce que révèleUntold : Inside the Shein Machine, un documentaire diffusé le 17 octobre dernier par la chaîne britannique Channel 4.
Depuis sa diffusion, le documentaire ne cesse de faire parler de lui, au-delà de la Manche. Ainsi, le eurodéputé Raphaël Glucksmann, qui avait déjà accusé Shein en janvier 2022 de "non respect des droits sociaux", de "fausses déclarations" et de "catastrophe écologique", a fait référence à Untold dans une série de tweets.
Il faut dire que les révélations du documentaire sont accablantes.
Pour les besoins de son enquête, Iman Amrani, la journaliste qui a signé le documentaire, s'est infiltrée chez Shein. Les images filmées en caméra cachée dans les usines de Guangzhou, une ville du sud-est de la Chine, dépeignent un environnement de travail abominable. Les ouvriers travailleraient ainsi 18 heures par jour, sept jours sur sept dans cette chaîne d'approvisionnement. Des cadences infernales qui permettraient au géant chinois de produire 500 vêtements par jour.
"Le dimanche, ça n'existe pas ici", témoigne ainsi une employée de la chaîne de fast-fashion. Un seul jour de repos par mois leur serait accordé.
La rémunération, bien entendu, ne permet pas de compenser toutes ces heures volées : elle serait médiocre, les ouvriers étant payés 4 000 yuan par mois, soit environ 550 euros. D'autres seraient payés au vêtement produit, touchant 0,27 yuan par pièce, soit environ 0,03 euro.
Mais ce n'est pas tout : les travailleurs se verraient infliger une amende qui représente deux tiers de leur salaire journalier s'ils commettent la moindre erreur...
De plus, les ouvriers sont privés du droit à la liberté d'association. Enfin, ils ne peuvent pas espérer grand-chose des organisations syndicales. En effet, les syndicats indépendants, qui ne sont pas associés à la Fédération des syndicats de Chine, un subordonné du Parti communiste, sont interdits et leurs dirigeants emprisonnés, comme le souligne l'Organisation internationale du travail (OIT).
Les images fortes diffusées par Channel 4 rappellent l'enquête de l'ONG Public Eye, qui avaient déjà permis de mettre en lumière ces conditions de travail déplorables et l'absence de contrat de travail et d'assurance pour un grand nombre des ouvriers.
Face aux réactions indignées suscitées par la sortie d'Untold, Shein a déclaré au site d'information Business Insider : "Nous sommes extrêmement préoccupés par les affirmations présentées par Channel 4, qui violeraient le code de conduite accepté par chaque fournisseur de Shein. Tout manquement à ce code sera traité sans délai, et nous mettrons fin aux partenariats qui ne répondent pas à nos normes", a ainsi affirmé un porte-parole.
Fondée en 2008, Shein s'est rapidement fait une place sur le marché de la fast fashion. Le renouvellement quotidien de ses produits toujours à la dernière mode, sa présence sur les réseaux sociaux et ses prix défiant toute concurrence ont fait son succès, analyse l'ADN. Grâce à cette stratégie, le géant chinois a su conquérir les jeunes acheteurs : il est ainsi devenu le premier site d'achat de vêtements des 15-24 ans en France, comme le rapporte Le Monde.
Shein a même réussi à créer une véritable addiction chez certains consommateurs. La marque met ainsi en place des compte à rebours concernant des offres limitées dans le temps pour inciter les visiteurs à l'achat, révèle le documentaire Untold. Et ce qui fait la force de la marque, c'est également son application.
Ainsi, selon Matthew Brennan, spécialiste de la tech chinoise interrogé par l'ADN, Shein a "développé de nombreuses fonctionnalités pour rendre l'application hyper addictive". Les clients amassent ainsi des points à chaque connexion sur l'application qui leur permettent à terme de gagner des bons d'achat. Ils peuvent également jouer à des jeux, assister à des livestreams et participer à des concours pour tester des produits.
"Cela coûte très cher à Shein, mais c'est ce qui leur permet d'avoir une très bonne rétention des utilisateurs, d'avoir accès à leurs heures de connexions, savoir quels articles ils consultent. Il y a toujours à faire sur l'application, elle ne devient jamais ennuyeuse", explique Matthew Brennan.
Mais comment Shein possède-t-elle toutes ces données ? L'entreprise applique tout simplement une politique de récolte des données massive et intrusive tout en ne protégeant pas assez, d'ailleurs, ces données. Elle va devoir d'ailleurs régler une amende de 2 millions de dollars pour n'avoir pas prévenu ses usagers d'un vol de données bancaires en 2018 suite à une cyberattaque, indique Capital.
Campagnes agressives qui créent des addictions, récolte de données abusives, non-respect des droits humains... L'ardoise de Shein est déjà très lourde. Mais les mauvais points s'accumulent : la marque d'ultra fast fashion a également été accusée de plagiat de la part de plusieurs autres entreprises, comme Levis Strauss & Co, Ralph Lauren et Dr Martens, qui lui reprochent notamment la mise en vente de contrefaçons.
Des petits créateurs, à l'image du dessinateur français Quibe, auraient également victimes de la marque chinoise.
Les vêtements Shein mettraient aussi en danger la santé de leur clientèle. Selon une enquête menée par Marketplace, des niveaux élevés de plomb et d'autres produits chimiques qui pourraient représenter un risque pour la santé ont été découverts dans les produits commercialisés par le géant chinois. Le plomb peut en effet endommager le cerveau, le coeur, les reins et le système reproducteur.
Juste après la sortie de Untold, Shein a dévoilé une nouvelle campagne "green" et s'est exposée à une controverse supplémentaire. L'entreprise chinoise a en effet annoncé le lancement d'un nouveau site de revente d'articles de seconde main, ce qui n'a pas manqué de faire grincer des dents.
"Ils produisent et fabriquent ces vêtements, puis essaient d'offrir une petite solution au problème beaucoup plus important qu'ils créent. C'est de l'écoblanchiment, faire croire aux gens qu'il est acceptable d'acheter ces déchets alors que ce n'est pas le cas", se désole auprès de Buzzfeed News Maria Chenoweth, présidente de Textile Reuse and International Development, une ONG qui souhaite rendre l'industrie de la mode plus durable.
De plus, grâce à son marketing agressif, Shein pousse à la surconsommation et à la surproduction, qui nuisent à l'environnement. Comme le rappelle l'association Oxfam, "l'industrie textile est le troisième secteur le plus consommateur d'eau dans le monde. [...] La production de textile utilise 4% de l'eau potable disponible dans le monde. 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre sont émis chaque année par le secteur du textile, ce qui représente jusqu'à 10% des émissions de gaz à effet de serre mondiaux". De quoi vous passer l'envie d'ajouter une robe à 5 euros dans votre panier.