C'est une information a priori réjouissante qu'est venue délivrer la chaîne de magasins de vêtements Zara : en 2019, enfin, l'enseigne de prêt à porter fait appel à un mannequin "plus-size". Et ce en la personne de Jill Kortleve, "model" Néerlandais emblématique aux quelques soixante-dix mille followers, qui ne cache pas son enthousiasme au sujet de cette collaboration. L'idéal pour faire évoluer les mentalités et bouleverser le champ si cloisonné de la mode et des canons de beauté. Seulement voilà, le petit hic, c'est que la taille de l'égérie n'excède pas...le 42. Soit la taille moyenne des Françaises.
De qui se moque-t-on au juste lorsqu'on qualifie ainsi de "plus size" un banal 40/42 ? C'est la question que se posent bien des internautes sur les réseaux sociaux suite à l'annonce de cette soi-disant révolution. Des réactions aussi exaspérées que légitimes qui soulèvent un véritable souci : le poids d'une imagerie fashion déconnectée de la réalité et de ses nombreux diktats sur les femmes. "Elle est plus-size, elle ? Mais alors taille normale, c'est du 10 ans ?", s'amuse une internaute. On est loin du coup de force body positive...
"Je viens de lire que cette femme est le premier mannequin plus-size de l'histoire d'une marque méga-connue de prêt-à-porter, alors du coup je me demande si on cherche pas tout simplement a toutes nous rendre dingues et être sûrs qu'on se déteste bien", tacle à ce titre l'autrice et dessinatrice féministe Pénélope Bagieu, lauréate d'un prestigieux Eisner Award pour son album de bande dessinée Culottées. "J'ai fait une phrase longue pour essayer de développer mon impression, alors qu'évidemment ma vraie réaction a été de souffler : mais niquez-vous !", poursuit l'artiste avec humour. Et ce n'est pas le premier fiasco façon "body-shaming" que s'offre Zara, loin de là.
En 2012 déjà, nous rappelle ABC, les citoyennes américaines s'attristaient de voir une marque si emblématique refuser de proposer des vêtements "plus-size" à leurs clientes - pour de soi-disantes raisons de coût. Et puis il y a la controverse "Love Your Curves ", cette campagne de 2017 prônant des valeurs apparemment body positive à grands coups...de mannequins taille slim. On en rirait presque si tout cela n'était pas si désolant. Car ce miroir aux alouettes fait du mal aux femmes. C'est là le discours de Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter féministe Les Glorieuses, qui paraphrase à juste titre les réflexions de l'autrice Naomi Wolf (Quand la beauté fait mal) : "une culture fixée sur la minceur des femmes n'est pas une obsession pour la beauté de ces dernières mais pour leur obéissance. Le régime est l'un des plus puissants sédatifs politiques dans l'histoire des femmes".
Car avec cette "grande taille", Zara ne fait qu'exacerber des complexes déjà bien nourris - par la mode, la publicité, l'industrie du divertissement - et va à l'encontre de valeurs comme la sororité, la confiance en soi, le respect des corps - comme de leur diversité - et la lutte pour l'égalité des sexes. "Car si on se déteste, on n'a plus la force de changer le monde", déplore en ce sens l'autrice et blogueuse afroféministe Kiyémis. L'on recommandera volontiers aux instigateurs de cette (pas si) étonnante campagne de s'intéresser une bonne fois pour toutes aux véritables "grandes tailles" (les vraies). Et d'en profiter pour lire l'opus de Mona Chollet, Beauté fatale, qui devrait être éclairant à plus d'un titre...