Il va s'écouler plusieurs mois (voire plusieurs années) avant qu'un bébé ne prononce ses premiers mots. Et avant deux ans, il est rare qu'un petit soit en mesure d'utiliser des phrases de plus de deux mots. Et si certains se montrent précoces, d'autres tardent à communiquer oralement, sans que cela soit forcément inquiétant. Le pédopsychiatre Rafi Kojayan, co-auteur de l'ouvrage "Éduquer sans crier" publié aux éditions Leduc.s, a accepté de nous apporter son éclairage concernant le développement du langage chez l'enfant.
Rafi Kojayan : C'est très variable d'un enfant à l'autre, la fourchette est vraiment très large. Les premiers mots peuvent commencer aux alentours de huit ou neuf mois. Généralement, avant sa première année, il saura prononcer des mots simples, en deux syllabes comme les fameux 'Papa' et 'Maman'. Pour autant, s'il babille et varie les sons sans avoir sorti aucun mot distinct avant un an, il n'y a pas forcément lieu de s'inquiéter. Un bébé peut prendre son temps pour parler, préparer son répertoire et communiquer autrement, comme en pointant du doigt pour nous montrer ou nous demander un objet ou dire au revoir de la main. En revanche, si à un an, l'enfant n'a pas non plus mis en place de langage gestuel, on commencera à se poser des questions. Cela signifie qu'il a peut-être du mal à entrer en communication. Aussi, avant de se demander pourquoi son bébé ne parle pas encore, la première chose est de voir s'il y a une communication, une interaction.
Vers 15 mois, le langage ne s'est pas forcément mis en place, mais l'enfant est censé comprendre des consignes simples constituées d'un verbe et d'un mot, telles que 'donne-moi la main', 'amène-moi tes chaussures'.
R. K : À dix-huit mois, un bébé utilise au moins une dizaine de mots.
Vers deux ans, en moyenne, on s'attend à ce qu'il associe deux mots formant ainsi une courte phrase du type 'Maman partie'.
Autour de 3 ans, l'enfant est en mesure de faire des phrases courtes et cohérentes de trois mots. Mais encore une fois, s'il a babillé, communiqué avec des gestes et qu'il utilise un mot par-ci, par-là, il prend sûrement juste un peu plus son temps. Il emmagasine très probablement tout et puis, du jour au lendemain, il se mettra à parler normalement. Généralement, l'entrée à l'école et la sociabilisation suffisent à débloquer le langage.
R. K : Si passé dix-huit mois, l'enfant n'a pas commencé à faire d'association de mots, on peut l'amener chez le médecin de famille ou le pédiatre. Il a suivi l'enfant depuis sa naissance et connaît son développement global, car les troubles du langage peuvent avoir différentes causes. Cela peut-être associé à une pathologie comme l'autisme ou à un trouble du développement psychomoteur. L'enfant peut aussi souffrir de dysphasie. Il a alors du mal à parler, à faire des phrases construites à partir de trois ou quatre mots, à exprimer sa pensée qui n'est pas toujours bien organisée, à comprendre certaines choses que l'on lui explique. Le diagnostic de la dysphasie ne peut pas être effectué avant trois ou quatre ans. Des séances d'orthophonie pourront l'aider, mais l'enfant conservera une certaine particularité dans sa façon d'exprimer sa pensée.
L'alimentation de l'enfant peut aussi être un signe dans la difficulté de mise en place du langage. Si celui-ci a aussi du mal à manger, pendant l'allaitement puis lors de la diversification, il a peut-être une hypersensibilité au niveau de la sphère orale. Et si c'est ça, on va effectuer une désensibilisation lors d'une séance d'orthophonie afin de débloquer les difficultés alimentaires mais aussi linguistiques.
En effet, il existe un lien important entre le développement du langage et le développement de l'enfant. Au niveau de l'évolution de l'humanité, le langage oral est apparu quand l'homme s'est redressé. C'est la verticalisation de l'homo-sapiens qui a permis la mise en place de la parole. Les bras et les mains se sont libérés et la bouche a pu prendre un autre usage. Ce changement de position de l'homme a aussi contribué au grossissement de son cerveau facilitant le développement de sphères pour le langage. Ainsi, les bébés parlent généralement plus aisément, une fois qu'ils tiennent debout.
Nous sommes justement en train de réaliser une étude sur ce sujet visant à effectuer un parallèle entre le développement du bas du corps de l'enfant et celui de la parole. En effet, certains bébés n'intègrent pas bien le bas de leur corps. Soit, ils mettent beaucoup de temps à se tenir debout et à marcher - aux alentours de 18 mois - sautant généralement la case 'quatre pattes' pour ramper en s'aidant de leurs bras. A l'inverse, certains vont se verticaliser trop tôt. A sept mois, ils se tiennent déjà debout et commencent à marcher vers 11 mois sans passer par le quatre pattes. Ils se déplacent sur la pointe des pieds et courent plutôt que de marcher, c'est-à-dire qu'ils ne font pas le déroulé du pas. Or, dans les deux cas, qu'ils se lèvent trop vite ou tardent à marcher, ce sont des enfants qui ne mobilisent pas suffisamment le bas du corps. De fait, le haut du corps est surinvesti de tout un tas de fonctions. Et souvent, la bouche est utilisée comme troisième main. L'enfant peut alors éprouver des difficultés alimentaires et linguistiques. Des séances de psychomotricité pourront s'avérer utiles pour l'aider à mieux intégrer le bas de son corps.
En conclusion, si votre enfant a eu un bon développement moteur, se déplace à quatre pattes puis sur ses deux jambes, mange bien, babille et communique avec ses mains, inutile de s'alarmer s'il ne dispose pas d'un vocabulaire très développé avant l'entrée en maternelle. Cela ne devrait pas tarder à arriver et d'ici quelques mois, il se transformera peut-être en une adorable pipelette !