Visionner à la chaîne les épisodes d'une série addictive, ou les films que proposent des plateformes comme Netflix ou Hulu, cela n'a rien d'un simple acte individuel, mais tout d'une pratique collective : le binge watching. Une consommation de contenus culturels que certains jugent néfaste. Pourquoi ?
Car binge watcher signifie pour beaucoup dévorer une oeuvre sans vraiment la savourer – comprendre, la faire durer dans le temps – et que cette pratique peut volontiers vriller à l'overdose pure et simple – des heures et des heures de télé à la clef. L'abus de "chill" sur le canapé serait mauvais pour la santé.
Pourtant, certaines voix discrètes mais pertinentes défendent le phénomène du binge watching, peut être pas si négatif qu'on ne pourrait le croire. Focus.
Puisque largement démocratisé avec l'avènement des plateformes de streaming, le binge watching traîne derrière lui les plus collants des préjugés. Binge watcher, ce ne serait pas vraiment se cultiver, mais consommer – au sens le plus vulgaire du terme. Une assertion que tient à renverser Morgan Ellithorpe, professeur adjoint au département de communication de l'université du Delaware.
Au média en ligne Mashable, ce spécialiste des effets des médias sur la psychologie l'affirme : le binge watching est une pratique culturelle véritable, et ses détracteurs font montre d'une "panique morale" certaine envers les nouvelles technologies. Plus encore, visionner avec générosité présenterait bien des avantages.
Par exemple ? La diminution du stress, relaxation oblige. Une sensation de détente non négligeable, surtout à une époque où la santé mentale est volontiers malmenée. Une quête de sens également : spectateurs et spectatrices seraient davantage engagés dans l'histoire qu'on leur raconte en l'accueillant ainsi.
La passion pour une série ou une fiction en règle générale, si elle peut être débordante, démontre que l'immersion au sein d'un récit est une pratique ancestrale dont l'intensité ne faiblit pas, des conteurs d'antan aux showrunners de vos feuilletons favoris. Ces histoires rassemblent.
Et c'est aussi sur ce point précieux qu'insiste auprès de Mashable l'anthropologue Eileen Anderson : "Beaucoup de gens emploient ce visionnage excessif comme forme de lien social". Pour l'experte, binge watcher est une manière comme une autre "d'avoir une expérience partagée". D'autant plus au gré de mois marqués par des confinements, couvre feux, et autres distanciations sociales qui, par définition, nous éloignent les uns des autres.
Les travaux relayés par le site de l'Université de Californie appuient ces réflexions. Ceux de la professeure Robin Nabi, qui rejette l'idée du binge watching comme "une perte de temps" et rappelle qu'il y a des moments "où vous avez besoin de faire quelque chose pour vous apaiser". Autrement dit, oublier temporairement ses préoccupations, ou les exorciser par la fiction. En somme, par-delà le fait de visionner des séries intéressantes, le visionnage intensif est un besoin psychologique comme un autre.
"En binge watchant nous nous disons : 'Je dois découvrir ce qui va se passer'. Il y a donc cette curiosité et cette anticipation intenses qui nous poussent à visionner – laissez-moi regarder le prochain épisode", décrypte encore Robin Nabi. Un besoin aussi naturel que celui de "vouloir nous détendre, nous évader afin que nous puissions revenir par la suite dans notre monde réel, auprès de nos familles, au sein de notre travail".
Le visionnage frénétique n'a donc rien d'anodin, bien au contraire.
Dans un tel contexte, on devine aisément le pourquoi du binge watching et de ses inattendues vertus. Tendance contemporaine d'un côté, réflexe humain de l'autre, acte individuel inhérent au cocooning (le fameux "netflix & chill") mais aussi rituel liant les individus entre eux par le biais des mêmes histoires... Pour certains, le binge watching est un comportement individualiste mais pour bien des voix expertes, c'est tout l'inverse.
Binge watcher, c'est aussi faire société. Et décliner sur d'autres formats des passions plurielles : qui n'a jamais passé des soirées entières à se plonger dans un livre, si addictif qu'enchaîner les chapitres semble nécessaire ? Oui mais voilà, tout comme les veilles tardives un Stephen King en mains, l'abus de binge watching n'est pas forcément un challenge à relever.
Bien que fasciné par ce phénomène, Morgan Ellithorpe recommande de se limiter à des plages horaires bien précises. Fixer un point limite histoire de ne pas accumuler une fatigue qui serait préjudiciable les heures et jours suivants. Fatigue qui, en plus de ses effets physiques, pourrait entraîner une augmentation de l'anxiété. Comme toute bonne chose, il faut savoir être raisonnable et penser à sa santé, surtout quand il est question de sommeil.
Un point sur lequel insiste le média The Talon : "J'ai entendu des gens comparer les six heures ou plus qu'ils ont passées à regarder la télévision le week-end dernier aux trois heures qu'ils ont passées à dormir. Avec le binge watching, la dépendance à la télévision et la privation de sommeil des adolescents augmentent également de manière spectaculaire", déplore la journaliste Isabella Borkovic.
Une sonnette d'alarme tirée à l'adresse "des ados qui ont peu de maîtrise de soi et presque aucune patience, pour qui les intrigues prennent trop souvent le pas sur les devoirs et le sommeil". Le plus important est encore de ne pas négliger son cadre de vie, quel que soit son âge d'ailleurs. Sans pour autant mettre tous les maux de la Terre sur le dos de ce visionnage intensif.