Il fait froid, il fait sombre. Mais Alex empoigne sa petite fille de 3 ans, la cale dans sa voiture et file dans la nuit noire. La veille, c'était le choc de trop. Le verre a éclaté contre le mur, à quelques centimètres de sa tête. Cette fois-ci, elle fuit. "Je sais à quel point je suis seule et dans la merde. Mais au moins, Maddy n'aura plus de verre dans les cheveux", dit-elle. Alex n'a nulle part où aller, mais elle refuse les mains tendues. Jusqu'à finalement échouer dans un oasis de douceur et de sororité, un refuge pour femmes battues. Elle qui estime ne pas être "vraiment maltraitée" va tenter de se relever, se battre pour échapper à l'emprise financière de son ex et pour conserver la garde de son enfant.
Maid est l'adaptation du récit autobiographique de Stephanie Land, Maid : Hard Work, Low Pay, and a Mother's Will to Survive (2019). Cette mini-série suit le calvaire de Sisyphe de cette jeune femme de 25 ans, son immense solitude, son désespoir, son courage et sa volonté aussi. Comment nourrir sa gamine lorsqu'on n'a plus que quelques piécettes en poche ? Quand on a perdu son boulot ? Quand on est aux prises d'un homme qui ne cogne pas, mais contrôle et terrorise ?
A partir du sursaut de survie décisif d'Alex, Maid nous plonge dans cette Amérique des invisibles, celle qui calcule son essence ou ses courses alimentaires au centime près, qui vivote de petits boulots précaires, dort dans sa voiture ou entre deux murs rongés par le moisi. Des âmes cabossées, des êtres broyés par le système, des galériens prisonniers du labyrinthe administratif des aides sociales, en apnée permanente, qui peinent à sortir la tête hors de la mouise.
Sortie en toute discrétion, Maid est en en passe de battre un exploit historique grâce au bouche-à-oreille : atteindre 67 millions de foyers au cours de ses quatre premières semaines de diffusion sur Netflix, dépassant le record établi par le phénoménal Jeu de la dame en 2020 (62 millions d'abonnés). Un succès aussi étonnant que réjouissant. Car cette série est loin d'être un énième plaisir coupable à binge-watcher paresseusement sur son canapé. Cette immersion en dix épisodes nous confronte à cette réalité que nous refusons trop souvent de voir, celle qui nous pousse à détourner le regard. Parce qu'elle fait peur, qu'elle est inconfortable.
Sans pathos, avec une infinie sensibilité, la mini-série signée Molly Smith Metzler examine les mécanismes insidieux des violences conjugales (qui amènent tant de victimes à retourner dans les griffes de leur bourreau), décortique l'engrenage qui mène à la pauvreté. Et touche au coeur. Notamment grâce à la magistrale interprétation de Margaret Qualley, déjà repérée dans le chef-d'oeuvre The Leftovers. Sobre et toute en détresse contenue, la fille d'Andie MacDowell (qui joue elle-même la mère perchée et défaillante d'Alex) trimballe sa frêle silhouette d'un bout à l'autre de la ville, droite comme un i, mais prête à chavirer dans le vide à tout instant.
Une performance de funambule, à l'image de ce récit qui ne se vautre jamais dans le "poverty porn" misérabiliste, veillant à conserver quelques touches de légèreté bienvenues et prenant soin de développer les nuances de ses personnages. Ainsi, parmi les plus jolies scènes, on trouve les interactions entre Alex et l'une des riches clientes (Anika Noni Rose) chez qui elle fait le ménage. Deux mondes qui entreront en collision lorsqu'Alex deviendra autre chose qu'une "petite main" anonyme aux yeux de sa patronne.
Maid n'est pas une oeuvre feelgood. Elle est âpre, rude, poignante. Mais elle offre une représentation digne de ce monde en marge que l'on préfère ignorer par commodité. Et nous pousse à interroger nos privilèges. Nécessaire donc, surtout à l'heure où le Covid a creusé tant de fossés.
Maid
Disponible sur Netflix
Une série de Molly Smith Metzler
Avec Margaret Qualley, Nick Robinson, Andie MacDowell...