Dans un mois, Rosa part à Minorque. Une semaine "entre potes" qui a un goût d'inédit. Pas pour la destination, bien que ce soit la première fois qu'elle s'y rende aussi, mais plutôt pour la résolution qu'elle a prise cet été : ne plus s'épiler. "Après 15 ans à débourser une tonne de fric en bandes de cire, rasoirs et passages occasionnels chez l'esthéticienne pour 'être tranquille', j'ai réalisé que la tranquillité se trouvait plutôt dans le fait de ne pas me soucier de mes poils", nous raconte-t-elle.
A 33 ans, elle a compté, la somme qu'elle a dépensée dans cet entretien pileux qu'elle juge sans détour "super sexiste" aurait pu lui payer une voiture. Et clairement, en faisant le calcul de notre côté, on confirme : rien qu'en envisageant un budget de 150 euros par an d'épilation (en partant du principe qu'elle le fait chez soi plutôt qu'en institut), rapporté à 15 ans de soins, le total grimpe à 2250 euros. Le prix d'un petit modèle qui tient la route - et qui l'emmènera plus loin que Veet.
En 2022, de plus en plus de jeunes filles franchissent ce pas. La proportion de Françaises ne touchant plus du tout au duvet logé sur la zone du maillot est d'ailleurs passée de 15 % en 2013 à 28 % en 2021, révèle un sondage Ifop pour le compte de la plateforme de sexologie Charles.co. C'est dire l'engouement.
Le message général qu'on discerne derrière le geste (ou son absence, en l'occurrence) : la célébration de sa silhouette 100 % naturelle, qu'elle corresponde ou non à ce que la société attend d'elle. Mais voilà, la société, justement, n'avance pas aussi vite que les esprits qui la bousculent.
Avec cette décision en apparence émancipatrice, ne peuvent s'empêcher de tomber des réflexions rétrogrades de la part de proches ou moins proches, voire même des concernées elles-mêmes. "Il faut du cran pour s'accepter, et du cran pour s'accepter en public", résume Léandra, 25 ans. Résultat : nos interlocutrices estiment devoir "s'armer" pour affronter le monde poilues.
"Je suis très heureuse de laisser pousser mes poils mais parfois, j'ai l'impression de devoir constamment justifier mon choix ou appréhender les potentiels commentaires étonnés, choqués des un·es et des autres", s'agace Joséphine, 27 ans. Elle nous livre une anecdote qui illustre parfaitement son propos.
"J'ai commencé à ne plus m'épiler il y a 2 ans, en plein confinement. Quand est venu l'été, alors même que mes ami·es sont plutôt progressistes, le sujet n'a pas arrêté d'être mis sur la table. On me demandait pourquoi j'avais laissé tomber la peau de bébé - j'ai presque 30 ans, c'est quand même dingue ! - si mon geste était politique, si je comprenais celles et ceux qui n'étaient pas confortables avec l'idée..."
La jeune femme analyse : "Je devenais la porte-parole du mouvement de libération des poils, comme si ma mission était d'éduquer la Terre entière à cette thématique. Alors que j'avais juste envie de siroter mon verre au soleil sans qu'on dissèque mes choix de vie en public, sans prendre aucune pincette qui plus est."
Léandra, elle, s'énerve d'une question particulièrement infantilisante et patriarcale qu'on lui pose fréquemment quand on se rend compte qu'elle n'a jamais touché à un mode d'épilation de sa vie : "et ton mec, il en pense quoi ?".
"Je crois qu'une fois sur deux, on me le demande ! Jamais en revanche on ne ne s'inquiète de savoir si les poils qui dépassent de son slip - parce que monsieur a 'peur que la tondeuse dérape' - me dégoûtent. Pourtant croyez-moi, je m'en passerais bien. Mais s'il est mieux comme ça, je m'en fiche. Et lui d'ailleurs, s'en fiche aussi, si je dois vraiment répondre à cette insupportable question."
Bien que ces interactions leur hérisse les poils (sans mauvais jeu de mots... quoique), les avantages qu'elles évoquent à l'unisson valent le coup de se taper les critiques des grincheux·ses. Et à les écouter, on leur emboiterait bien le pas.
"Il y a une scène hyper érotique dans le film de Paolo Sorrentino sorti sur Netflix il y a peu de temps (La main de Dieu, ndlr)", nous raconte Rosa, des étoiles dans les yeux.
"La tante du héro (jouée par Luisa Ranieri, ndlr) est allongée dans son plus simple appareil sur un bateau, entourée des membres de sa famille qui semblent interloqués par sa nudité. Dans l'Italie napolitaine des années 60, ce n'était peut-être pas la coutume locale, c'est vrai. Mais l'actrice est sublime, et ses poils sont hirsutes. Alors certes, elle a un corps qui correspond trait pour trait à l'idéal de beauté local et occidental. Mais ce détail a quand même quelque chose d'indompté. Et c'est comme ça que j'aime me sentir quand je me vois nue".
"Moi, c'est pareil", rebondit Joséphine quand lui mentionne le témoignage de Rosa. "Je ne suis jamais sentie aussi femme que depuis que j'ai des poils qui recouvrent entièrement mon pubis et mes aisselles. Je sais pas vraiment en quoi ça a changé la donne, mais j'apprécie beaucoup plus mon reflet dans le miroir ainsi. Comme si mon corps était tel qu'il doit être : puissant, beau, sans retouches".
A quelques semaines de s'exhiber sur les plages, elles nous expliquent espérer que les mentalités auront un peu évolué par rapport à l'an dernier. Qu'on ne les reluquera plus "comme des extra-terrestres" lorsqu'elles oseront lever un bras ou s'asseoir en tailleur. Qu'on ne les assènera pas de coups d'oeil dubitatifs ou d'interrogations déplacées. Qu'un jour enfin, le naturel que cette décision incarne ne sucitera plus aucune remarque, ni tabou. Vivement.
Quoiqu'il arrive, elles ne veulent aucun retour en arrière. Et comme nous le lance Léandra quelques minutes avant la fin de notre échange : "mon été sera avec des poils ou ne sera pas". Un slogan qui nous suivra, assurément.