Société
Faut-il déconstruire le couple pour mieux s'aimer ?
Publié le 13 octobre 2021 à 10:37
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Avec "Nos amours radicales", 8 plumes militantes, dont celles d'Emanouela Todorova et d'Axelle Jah Njiké, décrivent leur vision de l'amour. Des vécus bruts et bouleversants, qui épinglent tous l'injonction au couple telle qu'elle est imposée dans notre société. Interview croisée.
"La sphère intime est le premier champ du politique" "La sphère intime est le premier champ du politique"© Adobe Stock
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Porter un regard nouveau sur l'amour, c'est tout l'enjeu de Nos amours radicales, ouvrage puissant aux voix multiples, pavé de récits personnels et de réflexions féministes - et inversement.

Au fil de huit chapitres, chacun signé par l'un·e des huit auteur·ice·s qui ont participé au projet (Léane Alestra, Anaïs Bourdet, Sabrina Erin Gin, Lou Eve, Axelle Jah Njiké, Sharone Omankoy, Emanouela Todorova, Nanténé Traoré), les relations hétérosexuelles mais aussi la façon dont elles sont fantasmées, idéalisées, considérées comme but ultime de notre existence, font l'objet d'un audit aussi sévère que nécessaire.

"L'amour amoureux est-il le seul qui importe ? Couple hétérosexuel et féminisme sont-ils compatibles ? Quel est le poids des inégalités sociales ou raciales sur le couple ? Qu'est-ce que notre manière d'être avec l'autre veut dire de nous ?" Autant de questions que dissèquent tour à tour leurs plumes justes et incisives, encourageant les lecteur·ice·s à déconstruire leurs propres acquis, leurs propres blessures, leurs propres biais. Toujours avec amour.

Pour décrypter plus encore leur propos, on a longuement discuté avec deux des écrivaines militantes qui s'y sont livrées, Axelle Jah Njiké et Emanouela Todorova. Echange.

"Nos amours radicales" © Les Insolentes
Terrafemina : L'amour est une thématique dont les militances féministes s'emparent particulièrement en ce moment. Pourquoi, selon vous ?

Axelle Jah Njiké : C'est le sentiment sur lequel on bâtit nos liens. Celui à partir duquel, pour certain·e·s d'entre nous, on conçoit nos enfants. Il s'agit de se montrer lucide quant aux liens qu'on tisse, y compris le lien amoureux. Cela n'échappe pas à une remise en question, et vu toutes les choses dont on se libère de manière très visible depuis l'émergence du mouvement #MeToo, je ne vois pas pourquoi ce secteur-là, celui de l'amour, n'aurait pas fait l'objet d'un examen.

L'envers de la violence qu'on dénonce, c'est l'amour. Le côté solaire de cette histoire, c'est l'amour. Il faut qu'on fasse preuve de lucidité, encore une fois. De franchise, aussi. Et qu'on étudie l'environnement culturel qui a façonné notre rapport à l'amour. La culture dans laquelle on baigne et ce que cela révèle du patriarcat qui est à l'oeuvre, cela permet de comprendre en quoi l'amour contribue davantage à nous asservir qu'à nous émanciper. Cela dit aussi beaucoup de choses des normes que nous avons incorporées au cours de notre socialisation de genre en tant que femmes.

Et puis, de toute façon, s'interroger sur sa vie, sur ses relations amoureuses et parentales, c'est important, non ?

Emanouela Todorova : Je rejoins tout à fait ce que dit Axelle. Souvent, quand on parle de féminisme, c'est péjoratif. Les féministes sont "méchantes", "hystériques", "radicales", "extrémistes". Alors que dans le combat féministe, ce que l'on veut, c'est pouvoir trouver la paix de vivre normalement, pouvoir laisser la place à de l'amour et ne pas donner toute notre énergie dans des luttes.

De plus, aujourd'hui, beaucoup de féministes commencent à se poser la question de comment allier son hétérosexualité- qui est quelque chose qu'on ne contrôle pas- à la lutte qu'elles mènent au quotidien. Beaucoup de personnes se demandent ainsi : "Comment est-ce que je fais pour être crédible avec moi-même, pour coucher avec mon mec et en même temps, me dire que les hommes sont le patriarcat, et lutter contre ça?" C'est primordial de dire qu'on peut mener ce combat et être hétérosexuelle, et de parler de comment on fait pour s'y retrouver.

A. J. N. : Ce qui compte, c'est la cohérence vis-à-vis de soi. Il ne faut pas qu'une injonction en remplace une autre.

Repenser nos rapports hommes-femmes et mettre fin à la dynamique de domination qui y règne passe-t-il par la déconstruction de l'amour et des relations telles qu'on nous les inculque dans notre société patriarcale ?

A. J. N. : Si on veut durablement transformer les choses, on est obligé·e·s de passer par là. On ne peut pas les déconstruire si on ne fait pas d'abord l'état des lieux de nos relations. Il s'agit de comprendre sur quel socle on édifie ce qu'on appelle l'amour. C'est important d'étudier l'environnement culturel, mais aussi le contexte familial et parental qui façonne notre rapport à l'amour, comme je l'explique dans ma nouvelle. L'intime est évidemment politique, il ne peut pas en être autrement.

E. T. : Pour donner un exemple, j'ai grandi dans une société hétéronormée avec les dessins animés Disney où les femmes sont sauvées par des hommes. Et c'est ça, l'objectif de vie qui y est inculqué : trouver un prince charmant, de préférence blanc, avec un château stylé, un cheval plutôt cool, et ensuite, on aura des belles robes et on sera contentes. Et surtout, on aura plein d'enfants.

Je trouve que c'est important de revenir là-dessus et sur le fait que l'amour, à écouter ces contes, c'est uniquement entre un homme et une femme. Je crois vraiment que l'amour de demain sera un terme beaucoup plus abstrait, on sera davantage sur une notion de pansexualité et de relations amoureuses sans diktats ni normes imposées par la société.

Toutefois, pour arriver à cela, il faut remettre en question ce qu'on nous a appris à travers les films, les publicités, l'éducation, à l'école... Aller aussi fouiller dans les constructions familiales, comme le disait Axelle. Casser toute cette normalité qui pose déjà des briques autour des enfants dès le plus jeune âge, et empêche de les laisser s'exprimer comme ils·elles le veulent, d'aimer la personne qu'ils·elles veulent.

A. J. N. : J'ajouterais que l'on est circonscrit·e·s à une certaine signification de l'amour. Dans certaines langues par exemple, il y a différents mots qui qualifient l'amour, qui n'incombent à uniquement à une relation homme-femme. On est atrophié·e·s en la matière, on est sclérosé·e·s et on tourne en rond. Et les interprétations qui peuvent en être faites, de l'amour, peuvent cloisonner celles et ceux qui vivent ces relations. Personne n'y gagne, finalement.

Il faut agrandir le champ de définition de ce terme, et se le réapproprier. Cette idée qu'on parle de rapport amoureux à partir de la carence ou du manque, que l'on doit être complété·e par l'autre, aussi, est complètement folle.

Axelle Jah Njiké © Olivier Ezratty/DFDN.Tous droits réservés
Est-ce un moyen d'insister sur le fait que le féminisme doit absolument se mener aussi dans la sphère privée ?

E. T. : C'est extrêmement important de commencer dans la sphère privée, car parler à une seule personne, c'est déjà être militant·e. En revanche, il faut aussi rappeler la charge mentale que cela représente. Avec tout ce qu'on fait en dehors de chez soi, les écrits, les podcasts, les interviews, si lorsqu'on rentre, on doit faire la même chose, alors qu'on est censé·e être dans un endroit safe, c'est épuisant.

A. J. N. : La domination s'instille aussi dans les rapports intimes entre hommes et femmes. J'ai été longtemps étonnée qu'on ne semble pas vouloir faire le lien entre nos relations privées et la domination dans la sphère publique. L'amour parle aussi de notre rapport au pouvoir. A qui on confère le pouvoir, comment on consent à renoncer à notre agentivité. Et les conséquences dont on peut faire les frais lorsqu'on ne nous a pas donné les outils pour la faire valoir. La sphère intime est le premier champ du politique.

Pourquoi le choix du terme "radicales" dans le titre ?

A. J. N. : Cela me semblait essentiel de prendre les choses par la racine. La racine, ce sont les liens. On est l'espèce qui, si elle ne les avait pas tissés, aurait disparu. Cela atteste de leur valeur. Je pense qu'il y a encore quelque chose de profondément radical, quand tu dis "je", que tu prétends t'affirmer comme sujet, et que tu as l'audace, ici, de reprendre à ton compte l'amour qu'on te vend depuis toujours, afin de le réfuter et d'énoncer de nouveaux préceptes en la matière. Pour les femmes qui ne sont pas hétérosexuelles, la prise de risque est encore plus grande.

E. T. : On le comprend toutes et tous différemment, ce terme. Je trouve par ailleurs le fait d'avoir inscrit dans le même titre l'opposition des mots "amours" et "radicales" très beau. Ce sont nos convictions et contradictions qui vont nous aider à en parler, de l'amour. En fin de compte, ce que l'on transmet dans ce livre, c'est la beauté de ce sentiment et l'idée qu'il ne peut apporter que quelque chose de positif. Je trouvais ça beau de parler de cet amour, de cette puissance et de la puissance du combat qu'on mène. De notre radicalité à ne plus avoir envie d'accepter les compromis, ni de tergiverser pour vivre la vie comme on le veut.

A. J. N. : L'amour mérite mieux que ce qu'on en fait. Que ce soit clair dans l'esprit des gens : on promeut l'amour. Cet ouvrage est un moyen de dire : faisons-le mieux et soyons à la hauteur du concept. Personnellement, c'est parce que j'y crois profondément que je n'accepte pas que l'amour soit perverti comme il l'est dans beaucoup de relations aujourd'hui.

Pourquoi vous était-il important de témoigner de vos vécus ?

A. J. N. : C'est essentiel que les gens sachent d'où l'on s'adresse à eux. L'endroit d'où on leur parle est crucial. En tant que lectrice, j'aime savoir qui s'adresse à moi, pour quelles raisons, ce qu'a traversé cette personne pour écrire cela aujourd'hui ? Rien ne fait plus écho chez les gens que le récit de soi. Cela leur permet de confier le leur, ou au moins, de s'autoriser à considérer la valeur de leur récit à eux. Et c'est ça, le propos. En intervenant, on renvoie les gens à eux.

E. T. : Ce que je trouve intéressant dans le fait de partager son vécu, c'est de montrer comment on s'est construit·e et comment notre féminisme a évolué. En ce qui me concerne, ce n'est pas le même qu'il y a dix ans et que dans dix ans.

Aussi, voir les niveaux de déconstruction très différents entre toutes les auteur·ice·s, peut donner du courage aux personnes qui entament leur propre déconstruction. Cela montre qu'on peut y arriver, et aussi par où commencer. Moi, il y a quinze ans, je n'étais pas aussi engagée. Aujourd'hui, je le suis davantage par mon vécu, et parce que j'ai décidé de voir le monde autrement.

Emanouela, tu mentionnes à la fois le "bad boy" à la Chuck Bass (Gossip Girl) et la figure du protecteur viril et dévoué à sa famille comme Charles Ingalls (La petite maison dans la prairie). Malgré les apparences, dirais-tu que le dernier est aussi toxique que le premier, par l'infantilisation et la supériorité qu'il exerce et incarne de façon peut-être moins diabolisée, donc plus insidieuse ?

E. T. : Bien sûr. Ce sont deux façons différentes d'être paternaliste, dominateur et d'avoir un comportement toxique. Charles Ingalls, si on le prend tout seul, c'est un personnage travailleur, sentimental, honnête, qui veut aider tout le monde. Sauf qu'à côté de ça, il ne laisse pas sa femme travailler. Tous les métiers autour de lui sont ultra-genrés. Cette série n'est pas du tout progressiste et elle continue de passer à la télé à une heure de grande écoute. Ma mère, par exemple, a appris le français devant La Petite maison dans la prairie et Amour, gloire et beauté.

Alors oui, il y a ce côté attachant de cette famille qui s'aime. Mais il y a un message toxique, ancestral pour la société d'aujourd'hui et ça ne correspond plus à celle que l'on est en train de bâtir. Cela prouve qu'on peut rendre un personnage toxique très sympathique. Un peu comme Chuck Bass, qui est en réalité un prédateur sexuel. Avec le piédestal sur lequel on a mis ce protagoniste, on a complètement occulté que dans le premier épisode, il tente de violer Serena van der Woodsen.

Ce sont deux personnages toxiques présentés de manière très positive à la société. Chuck Bass est l'homme de notre vie encore aujourd'hui selon certains médias féminins. Charles Ingalls est cette figure paternaliste du papa parfait, honnête, qui aime sa femme et ferait tout pour sa famille, mais qui instaure des comportements dominants et nocifs à la fois pour la famille et les enfants, justement, et la société.

A. J. N. : Il profite également de tous les privilèges de l'homme blanc qu'il a lui, dont il dispose à cette époque, en Amérique, et il n'est pas question pour lui de remettre tout cela en question.

Emanouela Todorova © Emanouela Todorova
Axelle, penses-tu que l'on puisse s'épanouir en couple avant de s'aimer entièrement soi-même ?

A. J. N. : Non. Pour moi, c'est une étape fondamentale et foncièrement vitale de s'aimer soi. Placer la source de son bonheur en dehors de soi-même et aux mains de quelqu'un d'autre, c'est toujours consentir à se délester tout ou partie de son pouvoir. Et quelque part, c'est aussi renoncer à la faculté et à la responsabilité de changer sa vie pour le meilleur, si la nécessité se présente.

Pour moi, c'est incontournable de partir de soi pour éventuellement accepter l'idée que, peut-être, on ne sait pas aimer, et reconnaître des signes qui seraient dangereux. Car on confond. Ce qu'on a pu prendre pour de l'affection, de l'amour, de la tendresse est en fait de la brutalité. Mais comme on a été accoutumé·e à rien d'autre, on ne sait pas.

C'est crucial de dire aux gens qu'ils·elles ont le droit d'énoncer ce qu'ils·elles attendent de l'amour. Que ce n'est pas juste quelque chose qui leur tombe dessus et qu'en face, l'autre aurait la formule magique qui correspond exactement à ce dont ils·elles ont besoin. C'est le fantasme dans lequel on nous entretient toutes avec les contes de fées, et il faut en sortir.

Le poète français Pierre Reverdy dit : "Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour". Et je souscris à 100 % à cette phrase. C'est un peu ce que signe aussi l'autrice bell hooks dans All About Love: New Visions. Elle y écrit qu'il ne faut pas penser à l'amour comme à un simple sentiment mais comme un ensemble d'actes qu'on réalise. Et moi, avec mon histoire, avec l'endroit d'où je viens, j'ai souscrit à cette vision-là. Il y a des actes qu'on dénonce à haute voix, qu'il s'agisse de violences conjugales ou faites aux enfants et adolescent·e·s, et on sait aujourd'hui qu'il n'y a aucun rapport avec l'amour.

L'amour se prouve, s'incarne, il doit faire du bien. Cela ne peut pas être des actes qui humilient, qui rabaissent. Et c'est ce qu'on a réussi à nous faire croire. bell hooks dit aussi que la famille est le premier endroit, la première école de l'amour, et ce, quelle que soit la forme qu'elle revêt. Cette structure a une vraie responsabilité, et c'est essentiel de le rappeler.

Vous évoquez toutes les deux les contes de fées et les messages nocifs dont ils regorgent. Peut-on mener une éducation féministe et les montrer quand même à nos enfants ?

A. J. N. : Je dirais qu'il n'y a pas de solutions par rapport aux histoires qui existent déjà, mais on pourrait procéder à une relecture critique à l'aune de ce qu'on sait sur les répercussions délétères d'une éducation genrée et sexiste sur la construction de tou·te·s. Mais il s'agit surtout d'écrire de nouveaux récits.

Le plus important, en tant que parent, est de ne pas priver et de discuter avec son enfant. A ces âges-là, on veut faire partie du groupe, regarder les mêmes choses que les autres à l'école. Il faut donc instaurer un dialogue à la maison. On a toujours le pouvoir de restructurer le récit et de le partager autrement avec l'enfant. Avec ma fille par exemple, j'ai pu avoir des conversations incroyables en regardant les films de sa génération.

E. T. : Même si on veut faire en sorte que les enfants ne regardent pas certaines choses, ils vont le faire. Je prends l'exemple de La Reine des neiges : il y a une telle surmédiatisation que si l'enfant ne l'a pas regardé, il y a des chances qu'il·elle se sente exclu·e. Au contraire, je pense qu'il est judicieux de laisser les plus jeunes voir pour ensuite leur demander : qu'en as-tu pensé ? Est-ce que tu trouves que tel élément est normal ? Pourquoi ? Est-ce que tu te reconnais dans ces personnages ?

Aujourd'hui, le conte de fée 2.0, c'est TikTok. C'est de bien danser, d'être bien foutue, de tout posséder. Les enfants vont forcément passer par là, par les réseaux sociaux, et on ne pourra jamais les enfermer dans les médias et films qu'on préférerait leur faire voir, donc c'est essentiel de faire les deux. Et comme disait Axelle, de revenir point par point sur ces séquences, sur les dessins animés.

Par ailleurs, le fait que les mamans d'aujourd'hui soient plus indépendantes, plus progressistes, si on généralise, va également permettre aux enfants de grandir avec une autre vision de la femme, une autre vision des couples.

Doit-on sortir de l'hétérosexualité telle qu'elle est dictée et pensée par la société pour arriver à l'égalité, ou plus précisément, pour sortir du patriarcat ?

A. J. N : Pour moi, il ne s'agit pas tant d'en sortir que de la réinvestir en des termes qui sont plus éthiques, plus épanouissants et plus émancipateurs pour chacune des parties. Plutôt que de la subir, devenir proactif·ve, y réfléchir et se l'approprier, tout en continuant à démanteler le patriarcat. Car faire ça participe à le démanteler.

E. T. : C'est une vraie difficulté, car ce serait parfois beaucoup plus simple de sortir de l'hétérosexualité, mais ce n'est pas un choix. Pour autant, la société doit arrêter de tout normer par rapport à l'hétérosexualité. Il faut en tout cas effectivement la redéfinir.

A. J. N. : Après, dans l'optique de l'hétérosexualité comme concept imposé à tou·te·s par la société, plutôt que l'orientation sexuelle, oui, il faut absolument en sortir. Pour nous, comme pour ma fille, comme pour les générations futures. Ce serait un sacré progrès de se débarrasser de cette perception de la conjugalité sous le prisme de la complétude et de la carence, et de dire à nos filles : tu peux être toi-même au sein du couple, et rien ne justifie que tu abandonnes ta vie à toi au profit de ton partenaire. Ce discours-là, il est subversif.

Finalement, sentez-vous qu'aujourd'hui, les femmes se libèrent de ces carcans, reprennent le pouvoir ? Les plus jeunes générations insufflent-elles un vent d'espoir pour nos amours ?

E. T. : Oui. Pour ma part, j'aurais aimé avoir 18 ans aujourd'hui avec les jeunes de 18 ans, car je me reconnais beaucoup plus dans leur façon de voir l'amour, de voir le corps, la différence. C'est probablement dû à ce qu'on fait, aux combats qui sont menés, mais aussi à des références culturelles qui voient le jour, comme les séries 13 Reasons Why ou Sex Education - un chef d'oeuvre que j'aurais aimé voir adolescente.

Je trouve que la nouvelle génération est très engagée, a confiance en ses idées, possède un engagement puissant. On va dans la bonne direction. Je ne dis pas que dans 20 ans ce sera réglé, mais je pense que de mon vivant, je verrai une société complètement différente entre celle que ma grand-mère m'a racontée et celle que, grand-mère, je vais voir.

Ça va vite, et même si on a tendance à critiquer les réseaux sociaux, et qu'il faut faire la part des choses avec ce qui s'y passe de grave, la génération d'aujourd'hui et leur utilisation de ces médias est géniale. Et je suis très optimiste.

A. J. N. : Absolument. Si les jeunes générations sont déjà dans cette posture-là de remise en question interpersonnelle, alors l'espoir est de mise.

Nos amours radicales, de Léane Alestra, Anaïs Bourdet, Sabrina Erin Gin, Lou Eve, Axelle Jah Njiké, Sharone Omankoy, Emanouela Todorova, Nanténé Traoré. Ed. Les Insolentes. 192 p. 19,95 euros

Mots clés
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