En 2021, alors que le contexte sanitaire sans précédent empêche le fonctionnement habituel des établissements du supérieur, la mobilisation étudiante pour les causes féministes va bon train. Elle perdure grâce aux réseaux sociaux, à la facilité avec laquelle de nombreuses et essentielles informations sont partagées et assimilées, et à la force d'engagement de nombreuses jeunes femmes dès le plus jeune âge.
Des étudiantes qui, par le biais de conversations et d'actions menées à l'échelle de leur campus, participent à sensibiliser au-delà de l'université et à enclencher des changements majeurs dans notre société.
A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, on a échangé avec plusieurs de ces militantes de la nouvelle génération. Des responsables d'associations, des collectifs, des instigatrices de projets, des libératrices de parole. Des activistes qui, dès les bancs de la fac, et pour certaines plus tôt encore, ont décidé de faire évoluer les mentalités à leur niveau, pour bâtir un monde qui leur ressemble davantage. Portraits.
Loriane Guidal est membre active du collectif féministe intersectionnel de Sciences Po Strasbourg Arc-en-Ci.Elles depuis 2017, et co-présidente depuis octobre 2020. Engagée depuis le lycée, sa militance ne date donc pas d'hier. Pourtant, l'étudiante en 4e année n'a jamais été aussi sollicitée que ces dernières semaines. Pour cause, le mouvement #SciencesPorcs, qui relate de violences sexuelles subies par des étudiantes de plusieurs IEP, a placé son travail et celui de ses camarades "sur le devant de la scène", nous explique-t-elle.
L'écoute et l'aide aux victimes qu'elles mènent depuis des années, en parallèle d'une collaboration suivie avec l'administration, ont pris une ampleur considérable depuis la publication, le 8 février, du témoignage d'une élève de Sciences Po Toulouse, qui raconte avoir été agressée sexuellement lors d'une soirée d'intégration. Un récit glaçant qui a eu un écho national.
"Pour moi, le militantisme est une évidence", lance-t-elle lorsqu'on la questionne sur ce qui l'a poussée à prendre part aux luttes de défense des droits des femmes. "C'est ma raison de vivre. Ça me prend aux tripes." Fière de ce qu'elle réussit à accomplir au sein de l'établissement, elle reste toutefois réaliste : "Si on n'avait pas besoin de nous à Sciences Po, on aurait besoin de nous ailleurs." Sous-entendu que malheureusement, le combat qui reste à mener est vertigineux.
Elle épingle un coupable à abattre : "Il y a quand même 10 % d'agressions sexuelles de plus dans les universités que dans la société, mais on ne vaincra pas les violences sexistes et sexuelles tant que le patriarcat ne sera pas tombé. On fait notre part ici, et quand on ne sera plus étudiantes de l'IEP, on la fera ailleurs". Un parcours à suivre, sans aucun doute.
Lorsqu'elles créent la Clitoliste en février 2020, ses fondatrices (qui ont préféré rester anonymes) ne se rendent pas réellement compte de la fréquence des violences sexistes et sexuelles qui sévissent au sein de l'IMT Mines à Alès, prestigieuse école d'ingénierie située dans le Gard. Et encore moins du sexisme banalisé qu'elles et leurs semblables subissent au quotidien.
A l'époque, les étudiantes souhaitent "parler de féminisme avec humour et légèreté". Devant la réalité qu'elles découvrent, elles décident finalement de monter un collectif permanent. Un groupe d'écoute, de soutien et de lutte exclusivement féminin, précisent-elles, où chacune peut se confier sur ces problématiques "sans jugement".
Pour ancrer leur combat, elles lancent une campagne de témoignage en avril, ainsi qu'un sondage. "Nous nous sommes pris un mur", se souviennent-elles. "Personne n'aurait pu imaginer une telle ampleur, nous avions tous et toutes banalisé les violences, le sexisme". Sur 49 témoignages reçus, 17 relèvent de l'agression sexuelle et 7 du viol, analysent-elles, desquels suivent 2 procédures judiciaires. D'autres, épinglent des comportements discriminants qui gangrènent même les heures de classe : "Nous sommes dans une école à majorité masculine et parfois le sexisme se retrouve même pendant les cours avec des remarques sexistes de certains intervenants", déplore la Clitoliste.
Ce constat dramatique, il leur "semble indispensable d'en parler, de mettre la lumière sur ces agissements. Sans cela, ils continuent indéniablement." Sur les réseaux sociaux, elles oeuvrent au quotidien pour sensibiliser les autres par le biais de posts efficaces abordant, entre autres, le consentement, les violences sexuelles et sexistes et l'alcool, ou la culture du viol. Une mobilisation qui a notamment permis la mise en place de responsables sécurité à chacune des soirées, où les agressions sont principalement recensées.
Pour autant, la route demeure longue et pavée d'indignation. "Un an après notre campagne de témoignage, notre administration n'a toujours rien mis en place. Aucune cellule d'écoute n'a été développée. Nous ne savons pas comment une victime serait reçue et quelles seront les actions consécutives", dénoncent les étudiantes. "[L'école] nous a promis des actions, nous n'attendons que ça. C'est un sujet dont personne ne veut entendre parler, et aujourd'hui, la société doit se remettre en question."
Elles espèrent : "Il faudrait une prise de conscience dans toutes les écoles supérieures, nous sommes persuadées que ce phénomène est partout et que la libération de la parole est essentielle." Une chose est sûre, à cette prise de conscience et à cette libération de la parole, leurs actions y contribuent largement.
Le 12 février dernier, l'antenne associative Taure'a Vahine Orama, qui se bat contre les violences et pour les droits des jeunes femmes à l'Université de la Polynésie française, située à Punaauia, à Tahiti, organisait une vente de roses. Des fleurs pour sensibiliser aux violences conjugales, qui s'immiscent jusque dans les relations étudiantes, et dont les bénéfices étaient reverser à l'organisation. "Beaucoup d'étudiants ont déjà connu quelqu'un ou sont eux-mêmes victimes de cela", expliquait sa présidente, Hinahere Vairaaroa, à La Dépêche de Tahiti.
"Ça peut être du stalking ou bien lorsque le copain refuse de laisser sa copine aller à l'université ou à ses activités parce qu'elle y côtoie d'autres garçons", développait-elle encore. "Ça peut aussi être lorsque le compagnon prive sa copine d'argent car on sait que pour beaucoup, c'est l'homme qui gagne l'argent. Et certains jouent de ça."
Quelques semaines plus tard, la jeune femme revient pour nous sur l'importance de ce combat et les raisons qui l'ont motivée à créer ce relais entre les étudiantes en souffrance et l'association féministe Vahine Orama Tahiti Nui, à laquelle appartient son antenne. "Les violences conjugales chez les jeunes restent encore un phénomène méconnu et pourtant bien plus fréquent qu'on ne l'imagine", nous affirme Hinahere Vairaaroa. "Grâce à l'antenne associative, nous avons pu réaliser diverses actions telles qu'une demi-journée d'initiation au self-defense ouvert gratuitement aux étudiantes, une récolte de don", ou encore des concerts.
Pour elle, l'engagement est une façon "indispensable" de "faire changer les mentalités" en temps qu'étudiantes, mais aussi "un moyen de créer des liens, un groupe d'appartenance". Et surtout, de passer le flambeau. "Sachant que chaque discours et acte peut prendre parfois plusieurs années pour se faire entendre et se voir accomplir, notre combat d'aujourd'hui est souvent pour la prochaine génération. Il est donc important de davantage s'engager pour continuer à diffuser un même message. Si nous sommes autant engagées aujourd'hui, c'est parce que [les générations précédentes] l'ont été aussi [avant nous]."
Le projet Primrose a vu le jour grâce à deux étudiantes en biologie marine de l'université de La Rochelle, Clémence Épinoux et Clara Garcia-Matos, en 2019. Une initiative inspirée par les actions d'autres établissements français (les facultés de Rennes et de la Sorbonne, entre autres), mais aussi par la décision de l'Ecosse de venir à bout du fléau qu'est la précarité menstruelle. Et ce, à échelle nationale. "Mis bout à bout, certaines étudiantes ne peuvent plus acheter des fruits ou financer leurs protections, c'est un gros budget, indéniablement", souligne Clara Garcia-Matos auprès de France 3 Nouvelle Aquitaine.
Pour y remédier, les instigatrices se lancent dans la création et la disposition de distributeurs à serviettes et tampons. Des produits "respectueux de l'environnement en accès libre et gratuit sur l'ensemble du campus de l'université", précisent-elles, qui permettent aux personnes menstruées de se fournir à leur guise - et de ne plus devoir sacrifier ces achats de première nécessité faute de moyens.
Aujourd'hui, le projet rassemble une équipe de 7 à 8 personnes composée de jeunes femmes et de jeunes hommes impliqué·e·s dans cette cause qui gagne en médiatisation. Une bonne chose, estiment ceux et celles qui oeuvrent également à sensibiliser à cette problématique via divers événements, à distribuer cups et culottes de règles aux concerné·e·s, et surtout à rassembler des fonds pour rendre leurs actions réalisables.
"Nous espérions que la multiplication des projets comme le nôtre permettrait de mettre en lumière aux yeux de tous la nécessité de cette lutte. C'est pourquoi nous sommes ravies des annonces récentes de la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal, et attendons impatiemment de les voir se concrétiser."
Le 23 février dernier, le gouvernement annonçait en effet rendre gratuites les protections périodiques dans les universités, en installant notamment 1 500 distributeurs dans les campus d'ici la rentrée. Un progrès colossal, auquel a clairement participé le projet Primrose.
Sciences Curls est née en 2016 sur les bancs de Sciences Po Paris. Une association formée, à l'époque, par quatre étudiant·e·s en dernière année de master : Réjane, Kémi, Loubna et Franck. Cinq ans plus tard, elle continue de venir "challenger les critères occidentaux de beauté et [redonner] de la place aux femmes noires et racisées", nous décrit Naïssa Kimbaza, l'une des membres du bureau actuel aux côtés de Lore-Pascale Alechou-Tacite, Flaviana Vilela Da Silva, Eyva Cibrellis-Octaville, Lucrèce Zamba et Coralie Desloumeaux.
"Le but est de discuter, éduquer, explorer et échanger autour du cheveu texturé (bouclés, frisés et crépus) pour comprendre les célébrations et les oppressions dont font l'objet ceux et celles qui le portent", poursuit la jeune femme. "Ça recoupe un large spectre."
Pour ce faire, en temps normal, Sciences Curls organise des conférences avec des universitaires ou des professionnel·le·s, des projections de films, des ateliers, des concerts ou même des festivals. Si son programme a forcément été bouleversé avec la crise sanitaire, son équipe continue d'aborder de nombreuses conversations sur les réseaux sociaux, par le biais de podcasts, de posts ou de rencontres virtuelles.
Colonialisme capillaire, impact des cheveux sur la vie sentimentale, représentation des femmes noires dans les médias, discrimination en entreprise... Autant de thèmes qui confirment que sa perception au sein de notre société a rendu le cheveu texturé éminemment politique.
A ce sujet, Naïssa Kimbaza précise, percutante : "Le cheveu texturé crépu ou bouclé par nature n'est pas plus politique qu'un autre type de cheveu. Il le devient dans l'interaction avec les autres car il fait intervenir des relations de pouvoir inhérentes à la société. Il le devient chaque fois qu'une femme se pose la question de la légitimité de son afro pour se rendre à un entretien. Il le devient chaque fois qu'une personne aux cheveux crépus doit se justifier. Il le devient dans l'espace professionnel, l'espace scolaire et dans la société en général."
Elle interroge : "Pourquoi ce cheveu n'est pas perçu au même titre que les autres ? Pourquoi il est tant décrié ? Le cheveu texturé devient politique lorsqu'il est oppressé, caché et infériorisé." Par ailleurs, l'engagement et la présence de l'asso et de ses membres, elle l'affirme, "trahissent un manquement sociétal". Et d'insister : "Il ne s'agit pas de Sciences Po uniquement mais bien de la société dans sa globalité. Il s'agit de changer les mentalités petit à petit dans l'esprit de chacun." Puissant et inspirant.
Depuis octobre 2020, Anaëlle Gateau est vice-présidente de l'AFNEUS (Association Fédérative Nationale des Etudiant·e·s Universitaires Scientifiques) en charge du projet Femmes en Science. Une initiative qui entend lutter contre la sous-représentation des femmes dans les milieux scientifiques et qui est également "une opportunité de rendre aux femmes toute la reconnaissance qu'elles méritent".
Afin d'inverser la tendance et de "sensibiliser directement les plus jeunes à cette problématique", Femmes en Science agit directement auprès des écolier·ère·s, collégien·ne·s et lycéen·ne·s. "Les stéréotypes de genre influencent notre façon de penser dès [l'enfance]", rappelle l'étudiante en master de microbiologie à l'université Paris-Saclay. "On essaie de leur montrer les diverses possibilités du monde scientifique, on explique aux jeunes filles qu'elles y ont leur place." Mais aussi sur les réseaux sociaux, en publiant des interviews de professionnelles "pour montrer que les femmes sont nombreuses dans la science".
Des inégalités de genre d'autant plus préoccupantes que leurs conséquences biaisent la recherche, pointe Anaëlle Gateau. "De nombreuses études montrent qu'une recherche effectuée uniquement par des hommes ou uniquement par des femmes portera des biais au sein des résultats car tous les aspects ne seront pas pris en compte. Il est important d'inclure les femmes, autant que les hommes, dans ces recherches afin de développer une méthodologie de travail exhaustive."
Et pour le gouvernement d'agir à son tour concrètement. "Les moeurs de notre société placent la femme comme la responsable de la vie de famille, or, rien n'est mis en place pour les accompagner à conjuguer vie de famille et vie professionnelle. Cet aspect doit être pris en compte, il s'agit de l'une des raisons majeures de ce faible pourcentage de femmes en sciences".
Ajouter à cela un manque flagrant de modèles féminins dans les manuels scolaires, et de formation des acteurs et actrices du monde de l'enseignement à la destruction des stéréotypes de genre, et le bilan est critique. "L'AFNEUS et le projet Femmes En Sciences sont en pleine rédaction d'une contribution 'Propositions pour une égalité des genres au sein des cursus et carrières scientifiques'", précise-t-elle alors. Des pistes qui, on l'espère, amèneront à des décisions concrètes.
L'étudiante appelle enfin les scientifiques masculins - et les hommes en général - à prendre, eux aussi, un engagement nécessaire. "Cette problématique de la place des femmes dans la science n'est pas qu'une affaire de femmes : il est essentiel que les hommes s'en saisissent également et aident leurs homologues à obtenir la reconnaissance à laquelle elles ont droit." A bon entendeur.
Gwendoline Marais a rejoint #NousToutes lors du premier confinement. Le 12 septembre 2020, lors de la manifestation contre les violences faites aux femmes organisée par le collectif Collages Féminicides au Mans, elle a pris la parole. Pour la première fois, rapporte Ouest France, elle a raconté le viol dont elle a été victime en public. Une façon de briser les clichés, évoque le quotidien.
Lorsqu'on la contacte, elle revient pour nous sur son engagement, et confie que, si elle se considère comme féministe depuis quelques années déjà, elle a préféré "mûrir [ses] réflexions et avoir les idées claires pour pouvoir les partager et affronter les débats".
"Mon parcours universitaire m'a donné de nouvelles clés pour comprendre davantage d'enjeux, principalement concernant les violences faites aux femmes, mais aussi aux enfants", détaille l'étudiante en psychologie. "En effet, je me spécialise en psychologie du traumatisme ; et j'appréhende ainsi la complexité des mécanismes à l'oeuvre lorsque l'on est confrontés à des actes qui nous dépassent. J'ai appris ce qu'étaient la sidération, la dissociation, la mémoire traumatique, et ça a tout éclairé pour moi. C'était la petite clé qui me manquait pour tout mettre en lien, pour lier mes convictions personnelles et mes savoirs."
Aujourd'hui, elle sort du silence. Pour témoigner de son histoire et se sentir utile. "C'est la façon que j'ai trouvée pour sublimer ma colère, pour mettre du sens à ce que j'ai vécu". Gwendoline Marais lance : "J'ai besoin que les lignes bougent. Pour moi, personnellement, mais aussi pour tous ceux et toutes celles qui m'entourent. Ma mère, ma soeur, mes copines. Mais aussi pour mes frères, mes amis, et tout ceux qui suivront. Femmes comme hommes. Parce que, selon moi, le patriarcat ne profite à personne."
Avec le collectif fondé par la militante Caroline De Haas, elle mène plusieurs actions : prévention, interpellation des pouvoirs publics, entraide. "On est également parvenu·e·s à faire en sorte que le gouvernement abandonne son projet de privatisation du 3919. C'était tellement important : vous imaginez, s'il était mis en concurrence et qu'il était géré par une entreprise qui n'a rien à voir avec les luttes que nous menons ?" Et puis, il y a le quotidien, où "le combat est plus personnel, plus intime aussi. C'est débattre avec mes proches et mes connaissances, essayer d'ouvrir les yeux à ceux qui m'entourent, revoir mes positions aussi, parfois."
Tout en bienveillance, elle prône un activisme à la hauteur des capacités de chacun·e, sans culpabilisation. Et avance : "quand on prend conscience de la réalité des choses, c'est impossible de faire comme si on n'avait rien vu. Je crois que c'est ça, la différence entre notre génération et les précédentes : on connaît la vérité, et on ne la supporte pas". Enfin, elle ajoute : "Les personnes victimes de violences sexistes ou sexuelles parlent, depuis longtemps. La seule différence, c'est qu'à présent, on les écoute."
Et à en croire nos interlocutrices, cette (r)évolution n'est pas près de s'arrêter là. Tant mieux.