Le 3919 a été ouvert en 1992 par la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), afin d'aider les femmes victimes de violences. Un numéro qui naît après plusieurs décennies d'histoire militante, entre plateformes d'écoute de fortune et actions concrètes pour sauver ces dernières des griffes de leur bourreau. Aujourd'hui, il est porté par 73 associations de terrain présentes partout en France.
Au bout du fil, des opératrices qui proposent un accompagnement personnalisé, et ne comptent pas les minutes passées derrière le combiné. C'est justement cette expertise et ce dévouement, cruciaux, que le 3919 promet. Et que nombreuses craignent de voir disparaître avec la mise en concurrence annoncée par le gouvernement.
A l'occasion du Grenelle contre les violences conjugales, tenu à l'automne 2019, Solidarités Femmes demandait au gouvernement davantage de moyens qui permettraient d'ouvrir leur service 7j/7 et 24h/24. Ce, afin de faire face à un accroissement dramatique des appels. Une demande qui s'est révélée d'autant plus urgente avec la crise sanitaire du coronavirus. Depuis janvier, 100 000 appels ont été recensés, dont la moitié pendant le confinement. C'est 20 % de plus qu'en 2019.
Seulement, la réponse de l'exécutif inquiète : plutôt que de mettre à disposition la somme requise, le gouvernement a annoncé vouloir "arrêter de subventionner Solidarité Femmes pour la gestion du 3919 et de lancer une mise en concurrence", explique le collectif féministe #NousToutes. "Une mise en concurrence entre une association féministe qui fait face depuis des mois, sans réels moyens supplémentaires, à l'augmentation des demandes et des entreprises privées". En d'autres termes, l'Etat souhaite lancer une procédure afin de désigner la structure qui sera en charge de ce service essentiel.
Pour les signataires d'une tribune publiée dans Le Monde (parmi lesquel·le·s les anciennes ministres Najat Vallaud-Belkacem et Laurence Rossignol), cette décision "pourrait aboutir tôt ou tard à confier le 3919 à un opérateur plus soucieux de la rentabilité économique que de la qualité du service rendu aux femmes", condamnent-elles.
"Un marché public réduirait la qualité du 3919 qui apporte écoute, soutien psychologique, conseils, premières informations juridiques et sociales au service des appelantes et de leurs proches", s'alarme à son tour la Fédération Nationale Solidarité Femmes, dans le texte qui accompagne une pétition de protestation contre le projet. Au Parisien, Françoise Brié, directrice générale de la FNSF, également : "La question de la concurrence et du marché est corrélée à une question de coûts. Or cela va forcément jouer sur la réponse apportée aux femmes par un opérateur".
A Franceinfo, Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), évoque quant à elle la perte d'une "lecture féministe" des violences faites aux femmes. "La compréhension des mécanismes (de violences), des stratégies de l'agresseur, une lecture du patriarcat... Les hommes violents envers les femmes, ce sont des histoires de domination, avec des stratégies pour les isoler, inverser la culpabilité", énumère-t-elle. "Si l'on n'est pas capable d'avoir cette lecture critique de ce qui se passe, que va-t-on faire ? Ne pas comprendre que les victimes ne sont pas responsables ?"
Et les signataires de s'interroger : le 3919 sera-t-il, cette fois-ci ou lors du prochain appel d'offres, "confié à un opérateur qui présentera des coûts moindres, plus de rendement, mais sans engagement pour les droits des femmes ?"
Les militant·e·s proposent une solution toute trouvée dans la tribune du Monde : "Nous enjoignons donc au gouvernement français de renoncer à ce projet de marché public, et demandons à ce que la FNSF reçoive une subvention complémentaire pour le passage du 3919, 24h/24 en 2021." Une alternative qui garantirait également l'indépendance du numéro d'écoute.
"Nous exécutons un service étatique, mais les subventions nous permettent d'avoir une indépendance quant aux choix, à la manière de procéder, quant à l'éthique", précise Dominique Guillien-Isenmann, présidente de la FNSF, à Franceinfo. A ce jour, l'Etat finance 80 % de la ligne, les 20 % restant venant de collectivités locales et de mécènes.
Le cabinet de la Secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno, répond toutefois par la négative à ce nouveau financement, admettant au Parisien que le cahier des charges, dans le cas de l'appel d'offres, devra être "très exigeant et vigilant à la qualité des projets présentés". Et que le dossier de la FNSF est "de qualité, puisqu'elle gère déjà la ligne depuis des décennies, qu'elle a un savoir-faire, une expérience, et des écoutants formés". Un argument qui n'apaise en rien les inquiétudes légitimes des associations féministes.
Reste le poids de la mobilisation et de la pétition.