Toulouse, Strasbourg, Lille, Lyon... Depuis quelques jours sur les réseaux sociaux, les témoignages de viols et d'agressions sexuelles au sein des instituts d'études politiques (IEP ou Sciences Po) abondent. Des récits glaçants délivrés par de nombreuses étudiantes mettant en cause leurs camarades. Accolé à chaque post, le hashtag #Sciencesporcs, utilisé plus de 17 000 fois sur Twitter.
Un terme qui dénonce à la fois les actes odieux des élèves accusés, mais aussi l'omerta entretenue par une administration qui privilégie sa réputation à la protection des victimes.
Parmi celles qui ont décidé de prendre la parole, il y a Juliette, une étudiante de l'IEP de Toulouse. "Je m'appelle Juliette, j'ai 20 ans et aujourd'hui je vous écris car à Toulouse aussi, on est violé·es, à Toulouse aussi on est humilié·es et à Toulouse aussi on peine à être écouté·es", écrit-elle en introduction d'un texte bouleversant, relayé par la journaliste Anna Toumazoff samedi 6 février.
Elle raconte d'abord comment, après avoir trimé pour intégrer l'école, elle a été insultée et dénigrée par les deuxième année, "les bizuteur·rice·s". "Puis t'es arrivé", poursuit Juliette qui parle d'un "rêve [qui] s'est transformé en cauchemar". "Au début tu m'insultais comme les autres, même beaucoup plus et tu m'as violée". Elle continue : "Tu m'as violée. Je pleurais dans tes bras et tu m'as forcée. Tu m'as violée. Je dormais et t'as continué. Tu m'as violée. Tu m'as demandé si ça allait, j'ai dit non et t'as fini. Tu m'as violée. Tu t'es endormi et tu m'as laissé sangloter dans le coin du lit. Tu m'as violée, violée et encore violée".
Après la publication de cette lettre, Juliette a porté plainte. Elle confie à France 3 Occitanie avoir eu besoin de temps pour y arriver (les faits se seraient déroulés en 2018), et aussi pour passer outre les menaces qu'on lui proférait. "Le fait de témoigner peut permettre à d'autres de le faire et d'arrêter ça", explique-t-elle. "Je pense qu'ils n'arrêteront pas tant qu'ils resteront impunis. Ils s'excusent parfois mais leur vie ne change pas. Et les autres se disent : 'Au final, c'est pas si grave de violer des femmes'".
Au-delà de ceux qui violent, il y a celles et ceux qui couvrent. Dans la plupart des témoignages, l'administration des IEP est pointée du doigt pour son inaction, sa volonté flagrante de dissimuler et minimiser les faits (dont beaucoup ont lieu lors des CRIT, des critériums sportifs inter-IEP annuels, affirme Juliette), voire même d'inverser la culpabilité.
"J'ai alerté l'administration et aucune réaction", dénonce une étudiante de Bordeaux, qui affirme avoir d'abord été harcelée, puis violée. "Ils m'ont traitée comme de la merde, ils ne m'ont pas crue et ils n'ont rien fait." Une autre, inscrite à Sciences Po Strasbourg, raconte à son tour : "J'ai agi pour enlever son poste à un mec violeur au sein d'une association et j'ai subi des pressions de l'administration pour laisser tomber et me ranger ".
"J'ai été violée et l'administration a répondu par de la violence supplémentaire", lâche encore une jeune femme de l'établissement bordelais interrogée par Libération. "Je me suis sentie abandonnée et niée dans ma chair et dans ma souffrance." Des mots terribles.
Elles sont d'ailleurs une dizaine d'étudiantes de cet IEP à avoir rapporté de faits similaires auprès du quotidien, le plus souvent lors de séjours académiques à l'étranger. En tout, 150 témoignages d'agressions sexuelles y ont été recensés. La direction a répondu en précisant qu'un groupe de travail sera prochainement mis en place et que, d'ici la fin du semestre, un plan de lutte, de formation et de prévention sera présenté pour entrer en vigueur à la rentrée de septembre, détaille L'Obs.
A Toulouse, le directeur Olivier Brossard explique avoir été alerté très tardivement des faits que rapporte Juliette, et venir de prendre connaissance de son témoignage écrit. "J'accorde une grande crédibilité au témoignage de cette étudiante. Nous allons traiter cette affaire et protéger toutes les victimes. Nous sommes du côté des victimes", assure-t-il à France 3 Occitanie. Et d'ajouter plus loin : "j'espère que c'est faux mais je commence à avoir de sérieux doutes et donc des inquiétudes (...), il faut qu'on agisse".
La jeune femme, elle, se sent soutenue. Mais regrette toutefois "qu'il n'y ait pas eu de prise de conscience plus tôt, que l'administration n'ait pas cherché à savoir".