"J'avais tellement peur"
Le 23 janvier dernier, en réponse à une très controversée décision de la cour d’appel de Versailles de 2019, la Cour européenne des droits de l'Homme a statué sur la question du devoir conjugal, en estimant qu'une femme qui refuse des rapports sexuels à son époux ne peut pas être considérée comme "fautive" par la justice, en cas de divorce.
Cette expression archaïque de "devoir conjugal", inscrite dans l'imaginaire populaire, et depuis longtemps exclue de la loi française, désigne une obligation pour l'épouse de satisfaire les désirs sexuels de son mari. Même si la chose n'est pas désignée ainsi : il serait plutôt question d'honorer "l'entente" conjugale. Ou plus encore, de respecter une sorte de contrat de mariage, en faveur d'une forme de soumission mettant clairement à mal la notion de consentement.
Le devoir conjugal, pour bien des militantes féministes, est un énoncé à bannir définitivement du langage : il est simplement synonyme dans bien des cas de viol conjugal - dénomination qui éclot bien plus tard dans la loi française, en 1981. Et en écho à cette actualité, il faut désormais écouter les femmes. Pour se rendre compte de cette réalité.
Archive accablante à l'appui...
Déconstruire pour de bon cette notion de "devoir conjugal", c'est ce que permet une vidéo.
Une archive précieuse, qui nous vient comme à l'accoutumée de l'INA. Ces images proviennent d'une émission d'Antenne 2, ex France 2 : Mœurs en direct. Un magazine qui en 1983 interroge hommes et femmes sur le couple... Et les témoignages sur le "devoir conjugal" des épouses, c'est à dire les violences sexuelles subies, affluent.
"J'avais tellement peur de me retrouver enceinte que j'aurais souhaité ne plus avoir de rapports sexuels. C'était devenu des rapports sans tendresse pour moi parce qu'il me dégoûtait. Il sentait le vin, il sentait l'alcool, mais il fallait subir", témoigne ainsi une intervenante aux journalistes à propos du calvaire quotidien imposé par son mari.
"Sinon, c'était toute la nuit qu'il faisait des comédies ou des sérénades..."
Dans ce qui est relaté, les violences sexuelles côtoient parfois les violences physiques. Surtout en cas de refus. Et la violence verbale, l'humiliation, sont coutumières. Le "devoir conjugal" symbolise toute une suite d'oppressions aussi bien psychologiques que physiques, affirmant la domination de l'époux au sein du couple. En témoignent, ces propos d'un mari, paraphrasé par son épouse : "toi de toute façon, tu n'es qu'une femme. Tais-toi, tu ne sais pas. C'est moi le maître ici !".
"Fallait être soumise, fallait céder et fallait pas se plaindre", entend-t-on encore. Des images d'un autre temps ? Si seulement.
Hélas...
Hélas, cet édifiant reportage d'Envoyé Spécial, qui date de l'an dernier, relate le quotidien d'un couple puisant dans les valeurs du très contemporain mouvement "tradwives", très populaire sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années. Lequel, en réaction aux dernières révolutions féministes, désigne à l'inverse une application au sein du couple des "valeurs" et "traditions" conjugales d'antan : des femmes s'envisageant comme des mères au foyer des années cinquante.
Dans ce documentaire stupéfiant donc, un mari explique tout sourire et face caméra qu'il se soucie peu du consentement de sa femme pour avoir des rapports sexuels, dès qu'il le souhaite, jour ou nuit : "Elle est fatiguée ? Peu importe, la porte de la chambre reste toujours ouverte", déclare-t-il fièrement aux journalistes de France Télévisions.
Pour cet époux, c'est un "devoir conjugal". Il ignore certainement la notion plus juste de "viol conjugal".
L'INA l'énonce : "Cette vieille notion de devoir conjugal, désuète, abandonnée par le Code civil, mais visiblement toujours bien ancrée dans les esprits (masculins), ouvre la porte au sexisme. Elle doit interroger sur les notions de consentement, d'abus de pouvoir entre conjoints, pouvant aller jusqu'au viol conjugal".