"Grève nationale des femmes !" : voilà le mot d'ordre qui enflait dans les rues de Varsovie en ce lundi 3 octobre. C'était un jour noir à marquer d'une pierre blanche, la première fois dans toute l'histoire de la Pologne que les femmes, inspirées par la rébellion des Islandaises en 1975, usaient de la grève pour se faire entendre.
Car aux grands maux les grands remèdes : les Polonaises tentent ainsi de faire reculer le Parlement, qui risque de rendre l'avortement illégal. Un pas en arrière lourd de conséquences pour les Polonaises, alors que 47 000 femmes dans le monde meurent chaque année des suites d'avortements clandestins.
Le 25 septembre, la proposition d'initiative citoyenne du comité "Stop Avortement" qui a pour but d'interdire totalement l'IVG en Pologne a été admise aux travaux parlementaires tandis que son alternative, la proposition du collectif "Sauvons les femmes" pour au contraire, libéraliser l'avortement, a été immédiatement déboutée. Et si c'est dramatique, ce n'est malheureusement guère surprenant. Il faut dire qu'à l'image du pays, empreint de catholicisme et de conservatisme -deux mots qui n'ont jamais été des grands synonymes de droits des femmes-, le Parlement est très à droite : l'Assemblée polonaise est dominée par le groupe ultra conservateur actuellement au pouvoir, le PIS (acronyme pour "Prawo i Sprawiedliwość", "Droit et justice" en polonais), qui détient 242 sièges sur 460, comme l'explique Le Monde .
Résultat : alors que l'avortement était déjà très difficile à obtenir en Pologne, puisqu'il n'était autorisé que dans les cas de viols, d'incestes ou de malformations sévères du foetus, il risque désormais d'être complètement illégal. Sauf cas de mise en danger immédiate de la vie de la mère, une IVG sera passible de prison : la version la plus sévère de la proposition citoyenne prévoit "jusqu'à cinq ans de réclusion pour une personne pratiquant ou subissant une IVG, qu'elle soit médecin, infirmier, ou enceinte. Et jusqu'à 3 ans en cas de pratique illégale". Ce qui signifie, par exemple, qu'une fillette violée n'aura plus d'autre choix que de porter l'enfant de son agresseur. Cette mesure liberticide, loin de mettre fin aux IVG, encouragera simplement les femmes à recourir plutôt à des avortements clandestins beaucoup plus risqués. Et une fois de plus, elles seront les seules à en payer le prix.
En matière de droits des femmes, la Pologne s'est illustrée par son effrayant rétropédalage. Alors que de 1954 à 1993, l'avortement est parfaitement légal et accessible, la loi est durcie à la chute du régime communiste. "C'est l'une des lois les plus restrictives en Europe", explique Krystyna Kacpura, la directrice de la Fédération des Femmes et du Planning Familial, à Libération. "Avoir accès légalement à l'avortement est déjà extrêmement difficile pour bien des femmes. Par exemple, en Podkarpackie, une région du sud de la Pologne, tous les hôpitaux et les docteurs ont signé une clause de conscience refusant de mener à terme les IVG. Dans les faits, il n'y a quasiment pas d'avortements légaux en Pologne, mais au moins, nous ne sommes pas criminalisées".
Les chiffres de The Guardian confirment cette triste vérité : il y a moins de 1 000 avortements légaux en Pologne chaque année, tandis qu'on estime entre 80 000 à 190 000 le nombre de femmes polonaises qui subissent chaque année des procédures clandestines ou partent à l'étranger pour obtenir une IVG.
Et ce chiffre, qui pourrait tripler si la loi interdisant l'avortement est définitivement adoptée, n'est pas anodin : il représente le nombre de femmes qui risqueront leurs vies parce qu'elles décideront de choisir. La campagne choc du Planning Familial pour le droit à l'IVG ("Ceci N'est Pas Un Cintre") qui dénonce les dangers des avortements clandestins est funestement d'actualité : elle rappelle que se prononcer pour l'interdiction de l'avortement, c'est se prononcer en faveur de la mort des femmes et de leurs libertés. N'est pas "pro-vie" qui croit...
Et pour éviter cette régression sociale imminente, les femmes montent au créneau. Après une manifestation samedi 1er octobre, où entre 5 000 et 10 000 femmes en noir ont crié leur mécontentement devant le Parlement polonais, les grévistes ont protesté dans toutes les grandes villes du pays hier. D'après Marianne, à Varsovie, elles étaient 22 000, toujours avec leurs habits de deuil, leurs parapluies et leurs pancartes. Parmi les slogans : "Stop aux fanatiques au pouvoir", "On a besoin de soins médicaux, non pas de ceux du Vatican" ou "On veut des médecins, non pas des policiers".
Dans le monde entier, la résistance s'organise sous le hashtag #CzarnyProtest ("Contestation Noire"), tandis que des messages de soutien affluent : "Les mouvements ultra-conservateurs, soutenus par l'Eglise catholique, prennent les femmes en otage pour rétablir un supposé 'naturel' ordre moral. Une vraie régression non seulement pour les femmes, mais pour la démocratie et pour les libertés fondamentales car il s'agit bien de la remise en cause des droits fondamentaux des femmes à la maîtrise de leur fécondité et de leur procréation", a déclaré le Planning Familial, très engagé, qui a organisé une manifestation dimanche 2 octobre devant l'ambassade polonaise et fait circuler une lettre ouverte de soutien aux Polonaises.
Le dernier rempart possible à cette interdiction de l'IVG ? L'Europe. Le scandale de cette mesure ayant retenti bien au-delà des frontières de la Pologne, le Parlement européen doit se réunir le mercredi 05 octobre pour se pencher sur le sort des femmes polonaises. Des sanctions pourraient être prises, ce qui pourrait faire reculer le pouvoir polonais. Et en attendant, les femmes en noir vivent d'espoir et de colère.