Aux États-Unis, l'avortement est un droit depuis 1973. Pourtant, Anna Yocca, 31 ans, risque aujourd'hui d'être la première femme condamnée pour tentative de meurtre sur un enfant à naître. En septembre dernier, la jeune femme originaire de Murfreesboro, Tennessee, avait essayé en d'avorter seule à son domicile avec un cintre. Elle était alors enceinte de 24 semaines. Selon les médias locaux et les rapports de la police, Anna Yocca a été retrouvée gisant dans un bain de sang par son petit ami, qui l'avait alors transportée à l'hôpital.
Sur place, les médecins ont réussi à sauver la vie d'Anna ainsi qu'à celle de l'enfant, né sévèrement prématuré. Maintenu en vie malgré ses blessures aux poumons, aux yeux et au coeur dues à la tentative d'avortement, le bébé devra aussi bénéficier de soins durant le reste de sa vie en raison de sa grande prématurité.
Le 11 décembre dernier, Anna Yocca a été arrêtée et incarcérée au centre de détention pour adultes du comté de Rutherford pour tentative d'homicide au premier degré sur son enfant à naître. Elle comparaîtra le 21 décembre prochain devant un tribunal et risque la prison à vie.
Pour les experts en droits de la femme enceinte, l'inculpation d'Anna Yocca est perçue comme un mouvement rétrograde et liberticide qui complique les expériences déjà difficiles des femmes cherchant à avorter ou donnant naissance à des enfants prématurés. "Les femmes ne devraient pas à craindre des poursuites à l'issue de leur grossesse parce qu'elles donnent naissance à un enfant prématuré, font une fausse couche ou cherchent à avorter", a déclaré au Guardian Lynn Paltrow, directrice exécutive de l'association National Advocates for Pregnant Women. "Impliquer la police dans une grossesse pousse les femmes dans la clandestinité et ne favorise pas une approche compatissante et confidentielle de leur santé", poursuit-elle.
On en sait peu sur les circonstances personnelles qui ont conduit Anna Yocca à mettre fin à sa grossesse sans aide médicale. Selon les médias, le centre de santé pratiquant les IVG le plus proche de son domicile se trouve à Nashville, à une heure de route.
Pour autant, mettre fin à une grossesse non désirée au Tennessee n'est pas simple et relève, pour beaucoup de femmes, du parcours du combattant depuis que l'État a adopté en juillet dernier des mesures restreignant l'accès à l'IVG. Désormais, toute femme désirant avorter doit se rendre à 48 heures d'intervalle dans la clinique où sera pratiquée l'intervention. Le Tennessee a également rejoint 37 autres États américains en adoptant la loi d' "homicide foetal" selon laquelle les foetus ont les mêmes droits juridiques en cas d'attaque violente que les individus après leur naissance.
Le Tennessee ne compte par ailleurs que 7 centres réalisant des IVG. Le délai d'attente peut donc être long avant d'être prise en charge par les médecins et le coût estimé à environ 680 dollars. Pour les militants pro-choix, ce sont ces mesures drastiques auxquelles les femmes doivent se plier pour avorter qui ont poussé Anna Yocca à vouloir mettre fin à sa grossesse par ses propres moyens et en mettant sa vie en danger.
"J'étais à un million d'années de penser qu'un jour dans ma vie d'adulte, j'assisterais à nouveau à un avortement par cintre", déplore auprès de Cosmopolitan Cherisse Scott, fondatrice et directrice de SisterReach, une organisation spécialisée en justice reproductive basée à Memphis, qui craint une recrudescence des avortements clandestins et dangereux.
"La tragédie majeure qui se joue ici est que nous avions réussi à éliminer les avortements au cintre aux États-Unis en faisant de l'IVG est service sûr, légal, abordable et largement répandu", déclare à Cosmopolitan le Dr Chastine, qui pratique des interruptions volontaires de grossesse dans le Midwest. "Désormais, le Tennessee est juste l'un de ces nombreux États rendant l'accès à l'IVG de plus en plus difficile. Cela conduit à une dangereuse tentative d'auto-avortement, à une femme blessée, à une famille brisée et à un bébé prématuré."