À la vue de la grave loi sur l'interdiction totale de l'avortement que cherche à faire passer le gouvernement polonais de la Première ministre Beata Szydlo, on se dit que Simone de Beauvoir ne pouvait avoir plus raison lorsqu'elle a déclaré dans son livre Le Deuxième sexe (1949) en qu'il suffira "d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis."
Après l'Espagne il y a deux ans et demi, c'est au tour de la Pologne de chercher à réduire drastiquement le recours des femmes à l'IVG. Dans ce pays où 90% de la population se déclare catholique et où l'Église reste très influente, le droit à l'avortement est déjà fortement restreint. Actuellement, les femmes n'ont le droit d'avorter que dans trois conditions : quand il existe un risque pour la vie ou la santé de la mère, en cas de graves malformations ou pathologies du foetus ou quand la grossesse résulte d'un viol ou d'un inceste.
La proposition de loi déposée par les associations pro-vie à la Chambre basse du parlement veut aller encore plus loin en interdisant totalement le recours à l'IVG, sauf en cas mort de l'embryon à la suite d'une tentative pour sauver la vie de la mère.
Les médecins pratiquant illégalement les avortements s'exposeraient à une peine maximale de cinq ans de prison, contre deux actuellement. La pilule du lendemain et les tests prénataux sont également menacés.
Outre celui de l'Église catholique, la proposition de loi bénéficie de soutien du gouvernement ultraconservateur de Beata Szydlo et du chef du parti Droit et Justice (PiS) Jaroslaw Kaczynski, qui détient la majorité absolue au Parlement.
Pour défendre leur droit à disposer de leur corps et à choisir, des milliers de femmes sont descendues dans la rue samedi 9 avril à Varsovie et dans 18 autres villes du pays. Une banderole ou un cintre à la main – symbole des avortements clandestins –, elles ont suivi massivement l'appel des associations féministes qui ont appelé à ne pas laisser les ultraconservateurs remporter la bataille des droits des femmes.
"Je veux que les femmes en Pologne aient le droit de choisir, explique à Libération Marta Wyszynsk, mère d'une fille de 5 ans. Qu'elles aient le droit à l'IVG libre jusqu'au troisième mois de la grossesse comme dans un pays européen, pour des raisons psychologiques, sociales, matérielles. C'est une norme dans les pays civilisés."
"Si [le projet de loi] venait à entrer en vigueur, je ne voudrais pas tomber enceinte en Pologne, ni fonder une famille ici, affirme au Monde Karolina, 35 ans. Je veux avoir des soins de qualité pendant ma grossesse, et pas la peur d'être soupçonnée de crime en cas de fausse couche. Les patientes et les médecins ne peuvent pas vivre avec cette peur."
Selon les estimations des associations féministes polonaises, entre 100 000 et 150 000 femmes auraient clandestinement recours à l'avortement chaque année, en Pologne ou à l'étranger. Seuls 700 à 1 800 avortements sont autorisés tous les ans. Interdire purement et simplement l'IVG équivaudrait à une "augmentation du nombre de décès" et à "des complications médicales chez les femmes", estime Natalia Broniarczyk, de l'Alliance du 8 mars.