L'info est presque devenue une "blague". Pour apporter sa pierre à l'édifice et divertir les confiné·e·s, le site de streaming de porno américain PornHub propose son abonnement Premium gratuit partout dans le monde. Les gens sont coincés chez eux, ils auront tout le temps de se masturber, ont certainement pensé les instigateurs du projet. A juste titre, puisque le trafic mondial enregistre une hausse de 12 %. Sauf que le problème ici n'est pas tant le motif que les contenus. Car impossible de l'ignorer, PornHub fait l'objet de nombreuses accusations de femmes dont les viols ont été filmés puis diffusés sur le site, et de victimes de revenge porn, recueillant des millions de vues.
La polémique a démarré en octobre 2019, aux Etats-Unis. Une jeune fille de 15 ans disparue en Floride a été retrouvée après que sa mère ait découvert 58 vidéos postées par son violeur, dont plusieurs sur PornHub. L'homme a été arrêté le 23 octobre. Le site a par la même occasion supprimé les vidéos de l'entreprise GirlsDoPorn, 22 femmes ayant déposé une plainte collective pour diffusion non-consentie. Pris dans la tourmente, le site défend son "engagement ferme à éradiquer et à combattre les contenus non consensuels et illicites", assure The Guardian. Pourtant, rien de plus simple que d'y poster des images criminelles.
Dans une tribune publiée dans le Washington Ewaminer, Laila Mickelwait, activiste au sein de l'ONG Exodus Cry qui milite contre l'industrie de la pornographie en général, dénonce justement le manque de sécurité de la plateforme. Et la facilité avec laquelle on peut y contribuer. Pour devenir un membre vérifié, il n'y a qu'à envoyer une photo de soi tenant dans ses mains un bout de papier avec son nom d'utilisateur. "Et c'est tout", déplore-t-elle. Une manip' anodine qui met de nombreuses vies en danger, et dont PornHub est "complice", selon la militante.
Elle lance alors une pétition en ligne, qui rassemble plus de 700 000 signatures, et demande la "fermeture du site de superprédateurs Pornhub et la traduction en justice des megaproxénètes qui l'animent en coulisses". Elle l'affirme, la gratuité en pleine pandémie permet une fois encore à la société de tirer profit des contenus illicites.
A 14 ans, Rose Kalemba a été violée. Le lendemain, sa vidéo est postée sur PornHub. Harcelée par les utilisateurs qui la retrouvent, la jeune fille implore le site de la supprimer, précisant qu'elle était mineure, en vain. "J'ai écrit des mails suppliants à Pornhub : 'Je vous en prie, je suis mineure, c'était un viol, supprimez s'il vous plaît les vidéos'", rapporte-t-elle à la BBC. Il lui faudra prétendre être sa propre avocate pour que le géant du X daigne agir, six mois plus tard. Alors qu'elle raconte son histoire sur son blog en 2019, elle est contactée par une douzaine de femmes qui confient les mêmes faits.
C'est le cas de Avri Sapir, qui livre son calvaire dans un tweet datant du 29 mars, suite à la diffusion d'images terribles.
"J'ai été abusée et utilisée dans la pédopornographie depuis mon enfance jusqu'à mes 15 ans. Il y a quelques semaines, des vidéos de moi quand j'étais petite, en couche, en train de me faire violer ont été téléchargées sur Pornhub. Les vidéos ont été laissées en ligne pendant des heures, voire des jours. L'une d'entre elles a été visionnée plus de 600 fois. Elles ont été monétisées par des publicités." Plus les vidéos cumulent des vues, plus le site gagne de l'argent. Et parfois sur le dos de victimes, mineures ou non, abusées sexuellement.
Le 3 avril, Rose Kalemba a voulu dénoncer les "coups de publicité pour présenter une image caritative" du site (comprendre notamment la gratuité pendant le confinement), rappelant le sort qu'il lui a réservé : "Ils ont payé exactement 0 dollar de réparation à moi-même ou à tout autre enfant dont ils ont autorisé le viol à rester sur leur site web, ce qui les a enrichis et nous, traumatisés davantage".
En 2019, la plateforme a revendiqué 42 milliards de visites. Alors plutôt que d'engraisser une entreprise qui s'enrichit sur la détresse de dizaines de femmes, préférons le porno éthique et féministe, celui qui s'assure du consentement des acteurs et des actrices, et du plaisir de chacun·e. Et pour qui le viol et le revenge porn sont des crimes à punir, jamais des fantasmes à assouvir.