Le jaune est une couleur chaude, mais surtout, c'est une couleur vendeuse. Comme l'a récemment remarqué le Wall Street Journal, les couvertures de livres semblent en effet tirer de plus en plus vers la même couleur : un jaune ultra flashy. Pas de hasard là-dedans mais une technique pour attirer l'oeil du lecteur. Car aux États-Unis, on se presse de moins en moins dans les librairies et les grands magasins, et on préfère commander le dernier best-seller à la mode en un clic. Amazon représentant là-bas 45% des ventes de livres, les éditeurs et leurs directeurs artistiques ont dû se réinventer. Fini le temps où le lecteur flânait le long des étalages, prenait le temps de feuilleter quelques pages ou de lire un résumé. Aujourd'hui, il se retrouve sur un site de vente en ligne au fond blanc. La couverture du livre est donc la première chose qui l'interpelle et elle se doit donc de tirer son épingle du jeu.
Résultat, les couleurs qui claquent s'imposent de plus en plus sur les couvertures, le " jaune criard " en tête. Peter Mendelsund, directeur artistique associé chez les éditions Knopf, a lancé la mouvance en 2008 en s'occupant de la couverture du tome 1 de Millénium de Stieg Larsson. A l'époque, il n'a qu'un souhait, que le livre se démarque des autres thrillers dont les couvertures sont généralement très sombres. Il utilise alors la teinte Pantone 803, soit le fameux jaune criard. Un pari réussi puisque Millénium se distingue fortement et se vend à des millions d'exemplaires. Aujourd'hui, Peter Mendelsund confie au Wall Street Journal : "Nous avons presque une attitude maximaliste envers la couleur, principalement, il me semble, parce que nous partons de l'hypothèse que personne ne choisira le livre, à moins qu'il ne s'impose en criant à nous".
Alors qu'en France la trilogie de Stieg Larsson a permis à Actes Sud de se démarquer en créant une empreinte visuelle bien précise et identifiable, reproduite depuis sur les couvertures de tous les thrillers édités par la maison, aux États-Unis, Knopf a surtout lancé une mouvance. Mais alors, pourquoi le jaune tout particulièrement ? Selon la journaliste, cette couleur "peut à la fois supporter des textes et des illustrations clairs ou foncés. Qui plus est, elle n'est associée à aucun genre et peut tout exprimer, du soleil levant à l'optimisme en passant par un avertissement face au danger. Cela fait de cette couleur un choix fort pour bon nombre de sujets et de genres". A contrario, le contraste noir sur blanc fait fuir les éditeurs comme la peste puisque le livre va supposément se fondre dans le décor d'Amazon ou des autres sites vendeurs.
Si le jaune criard permet aux livres d'attirer l'oeil de l'acheteur potentiel, cette tendance marque aussi une uniformisation des couleurs loin d'être imaginative. Et en France alors ? La sobriété est toujours de mise. Les grandes maisons d'édition continuent ainsi d'imposer leurs couleurs uniques - le jaune pâle chez Grasset, le bleu chez Stock et le blanc chez Gallimard – et partout, le texte est généralement plus mis en avant que la couleur. Chez nous, le livre est un objet respecté, sacralisé. Au risque de se parer de couvertures ennuyeuses ? Que l'on se rassure, certaines maisons d'édition n'hésitent plus à proposer des couvertures graphiques, inventives et fortes.
Quant au jaune criard, il est présent mais loin d'être devenue une norme. Pêle-mêle, on l'a retrouvé ces derniers mois sur les couvertures de Vie et mort de Sophie Stark d'Anna North, Mort subite d'Alvaro Enrigue, Un été polaire d'Anna Sward, Les luminaires d'Eleanor Catton, La face cachée de Margo de John Green ou L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas. Le jaune est là mais se fait encore discret. Vous avez donc encore un peu de temps avant que votre bibliothèque ne devienne identique à celles de vos voisins.