Avant d'expliquer en quoi le "self-love" et la "body acceptance" sont indispensables au féminisme, petite explication de ces concepts sur lesquels on peine encore à poser les mots dans l'hexagone...
La philosophie body positive ou "positivité corporelle" (qui sonne beaucoup moins bien en français, il faut bien l'admettre) que l'on pourrait aussi appeler "estime de soi", ou amour de soi-même, est le rejet en bloc du modèle sociétal de "corps idéal" et du body shaming. Comme le disent nos amis américains et anglais, "there is no wrong way to have a body" (il n'y a pas de mauvaise façon d'avoir un corps). Mais la société nous le fait vite oublier, à grand renfort d'images photoshoppées, ne représentant qu'un seul type de physique : mince, blanc, valide (cisgenre et hétérosexuel aussi, si l'on va par là).
Parce qu'on en a assez d'être trop. Trop grosse, trop maigre, trop vergeturée, trop celluliteuse, trop osseuse, trop ridée, trop noire, trop jaune, trop blanche, trop brune, trop blonde, trop rousse, trop grande, trop petite, trop musclée, trop masculine, trop féminine... Parce qu'on en a assez de ne pas être assez. Pas assez élancée, pas assez plantureuse, pas assez tonique, pas assez bronzée, pas assez mince, pas assez grosse, pas assez féminine, pas assez belle... pour correspondre à un seul et même modèle idéal de corps, de beauté, pour 7 milliards d'humains (dont environ la moitié de femmes).
Être body positive, c'est apprendre à aimer ce corps "imparfait", alors que nous nous sommes battu(e)s contre lui toute notre vie. Inverser cette tendance, c'est difficile, cela prend du temps, mais c'est l'assurance de vivre plus sereinement... et d'aider les autres à en faire de même. Car le nom trompeur de "self-love" va bien au-delà du (déjà bien grand) combat qu'est de s'aimer soi-même : c'est aussi apprendre à accepter, aimer les autres. Poser sur soi-même aussi bien que sur eux, un regard bienveillant. Et les inciter à faire passer ce message de tolérance autour d'eux.
Ou alors, on n'est pas féministe. Bien qu'il n'y ait pas de "manuel du militantisme féministe zéro défaut", il y a quand même quelques principes de base. Et celui-ci en fait partie. Comment pourrait-on affirmer être pour l'égalité des genres, et lutter contre le patriarcat qui l'empêche, tout en soutenant le contrôle des corps exercé par ce dernier ? À moins d'être mal renseigné, mais ça se corrige, ou de mauvaise foi. Et là, malheureusement, rien à faire. On ne peut pas plus s'acheter un semblant d'empathie que de toutes et tous ressembler à un seul et même modèle comme deux gouttes d'eau.
Reprenons. Résister au culte de la minceur (mais avec "juste" ce qu'il faut de seins et de fesses sinon on est "trop maigre", merci bien les standards inatteignables pour le commun des mortelles) chez les femmes, ou à celui des muscles chez l'homme, c'est résister aux stéréotypes de genre. Combat féministe prioritaire pour rétablir l'égalité. Promouvoir le self-love, l'estime de soi, diversifier les représentations collectives, c'est donner de la visibilité à des minorités trop souvent ignorées. C'est promouvoir une beauté multiple, et non un triste clonage.
La communauté body positive est donc une lutte tout ce qu'il y a de plus inclusive, intersectionnelle. Grâce à elle, les personnes racisées, les personnes handicapées, les personnes trans, les personnes rondes/grosses, en surpoids ou obèses ou tout autres "différences" sont mises en avant dans un monde qui les efface, les méprise. Et qui ont pourtant sont pourtant toutes dignes de respect, de reconnaissance, d'amour, comme tout être vivant, tout simplement.
Il n'y a qu'à faire un tour d'horizon des militantes et militants du mouvement "body posi" à travers la planète : ils sont toute la diversité qui manque tant aux mannequins censés nous représenter par leur image. Résister au contrôle des corps, et aux diverses formes de body shaming, c'est un combat féministe. Et il ne passe que par le joyeux bouclier d'une pensée body positive. Êtes-vous prête à vous voir autrement, pour changer de vision sur le monde et contribuer, vous aussi, à le changer ?