Comme un petit garçon trop doué ou trop discret à l’école, qui prendrait les coups pour les autres sans jamais parvenir à faire entendre sa plainte, l’Europe subit le harcèlement général de l’opinion. Méprisée, moquée, voire laissée de côté dans la plus grande indifférence, l’UE semble tombée très bas en dessous du piédestal où ses fondateurs l’avaient hissée, si l’on en croit le sondage réalisé par l’Institut CSA pour Terrafemina. Plus d’un Français sur deux* déclare en effet souhaiter à l’avenir « moins d’Europe », seulement 17% d’entre eux se prononcent pour « Plus d’Europe », tandis que 18% disent ne rien vouloir changer. Le constat est sans appel, qu’on évoque la situation de la France ou leur situation personnelle : 58% des sondés pensent que l’Europe a un impact négatif sur la France, 49% estiment que l’impact sur leur propre situation est négatif, enfin un quart pensent que l’Europe n’a « pas d’impact » sur leur quotidien.
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Ce désamour presque général et profond ne surprend pas la députée européenne Sophie Auconie, qui avoue reconnaître ce sentiment anti-européen sur le terrain de son euro-circonscription : « L’Europe est devenue un exutoire idéal », regrette-t-elle. L’euroscepticisme ne date pourtant pas d’hier, si l’on regarde les études d’opinion qui jalonnent l’histoire de l’UE. « La défiance vis-à-vis de l’Europe en France a évolué depuis le Traité de Maastricht et a cristallisé en 2005, avec le débat sur la Constitution européenne », explique Nicolas Fert, chargé d’études pour l’institut CSA. « L’idée que le projet européen pouvait aggraver la situation économique de la France s’est imposée, et cette étude nous apprend qu’une partie des Français vivent toujours l’Europe dans le paradigme de 2005. » Huit années plus tard, les institutions européennes n’ont pas réussi à (re)conquérir le cœur et le respect de l’opinion, mais à qui la faute ?
Manque de lisibilité, manque de poigne et manque de convictions de la part de nos dirigeants sont les principales raisons qui expliquent la désaffection des citoyens pour l’UE selon Sylvie Goulard, députée européenne et auteur de l’essai Europe : amour ou chambre à part ?, paru chez Flammarion en septembre 2013. L’Europe pécherait d’abord par sa méthode, victime des egos de tous les états qui la composent mais surtout de quelques puissants. « Il manque d’une dimension collective, d’une véritable démocratie européenne », affirme S. Goulard, qui déplore que « les citoyens ne soient pas associés aux choix de ceux qui dirigent au niveau européen. » Et s’ils peinent à s’intéresser à des débats qui les concernent pourtant au plus haut point, c’est parce que les institutions et leur fonctionnement sont opaques. Qui sait en effet qui fait quoi entre la Commission européenne et le Conseil européen ? Qui a le dernier mot entre José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy ? « L’Europe gagnerait en visibilité s’il n’y avait qu’une seule personnalité pour la représenter, et si l’on fondait en une seule ces deux institutions qui sont trop souvent en compétition », pense Sophie Auconie.
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Mais l’Europe souffre aussi des réflexes nationalistes des populations, aiguisés par la crise de 2008 et de fait par la montée des partis populistes dans la plupart de ses états. Et bien sûr la France ne fait pas exception. Quand on interroge les Français sur leur perception de l’Europe, la moitié des réponses sont à connotation négative : 22% citent la perte de pouvoir d’achat, 16% les lourdeurs administratives, et 13% la concurrence en matière d’emploi. « Nous sommes dans une société qui est malade de l’hypermondialisation et nous avons ce réflexe naturel du repli sur soi », analyse Sophie Auconie, qui regrette cette manie « injuste » de faire porter le chapeau de la crise à l’Europe. Ce sont d’ailleurs les Français les plus exposés à la conjoncture économique et les moins favorisés qui se montrent les plus réticents au projet européen.
« Une partie de la France se montre hostile à l’UE et à son rôle », explique Nicolas Fert de l’institut CSA. « Il s’agit des catégories dites populaires, avec en première ligne les ouvriers, mais également les personnes de plus de 50 ans (les 2/3 considèrent que l’Europe a un impact négatif sur la France). Politiquement c’est encore plus marqué : chez les sympathisants du Front de gauche et du Front National, ils sont respectivement 81% et 88% à considérer que l’UE a un impact négatif sur la situation du pays. » Les femmes, en particulier, manifestent un scepticisme plus affirmé, voire de l’indifférence quant à l’Europe, reflet selon Sylvie Goulard de la fragilité économique des familles précaires, monoparentales, mais également du manque d’information et de pédagogie. De l’autre côté du prisme, on retrouve les moins de 25 ans qui se montrent plus attachés à l’Europe, mais également les cadres et professions libérales, et les sympathisants du PS et de l’UMP.
Pour les parlementaires européens, le bilan est plus qu’inquiétant, à l’approche des élections européennes de mai 2014, et avec en tête le taux d’abstention record de 57% en 2009. « Au Parlement européen, les députés sont conscients de ces enjeux. La tendance à la montée des extrêmes est générale dans l’UE, et notre quotidien est de trouver comment traduire sur nos territoires les avancées de l’Europe. » Pourtant, toute la bonne volonté des députés comme Sophie Auconie ne suffit pas à rendre l’Europe « sexy » auprès des médias. « Parce que chez nous les débats sont plus feutrés, et moins spectaculaires qu’à l’Assemblée nationale, les médias s’intéressent peu à l’Europe. Dommage, car 80% des textes de loi français sont issus de textes européens », regrette la députée. L’enjeu est donc de taille, et pour Sylvie Goulard comme pour Sophie Auconie, la responsabilité repose sur les épaules des dirigeants politiques et des « élites » coupables de « déni », et de « schizophrénie », capables de tenir un discours pro-européen à Bruxelles, et de taper sur l’UE une fois rentrés à Paris. À eux de trouver les arguments pour « communiquer l’étincelle chez les citoyens » et de travailler une communication offensive pour atténuer les discours des extrêmes.
Le 11 octobre 2013, le Club Terrafemina Bruxelles présentera à l'occasion de son lancement les résultats complets d'une étude CSA sur les Français et l'Europe, lors des Journées de Bruxelles, organisées par le Nouvel Observateur. L'étude sera débattue autour d'une table ronde (« Peut-on encore aimer l'Europe ? ») à 16h, avec les intervenants suivants :
William Dartmouth, député européen
Isabelle Durant, vice-présidente du Parlement européen
Sylvie Goulard, députée européenne
Matteo Renzi, maire de Florence
*D'après une étude CSA pour Terrafemina, réalisée sur Internet les 3 et 4 septembre 2013 sur un échantillon de 1 010 personnes représentatif de la population française.