"Je n'étais pas mature quand je me suis mariée". Anwara, 14 ans, fait partie des jeunes filles interviewées par The Guardian qui a enquêté sur le drame des réfugiés Rohingyas. Réfugiée au Bangladesh après avoir fui le conflit ethnique qui a éclaté fin août entre l'armée birmane bouddhiste et la résistance armée Rohingya, Anwara témoigne aujourd'hui de la précarité qui pousse les adolescentes de sa communauté aux mariages précoces. Les faibles rations alimentaires distribuées dans le camp de Cox's Bazar demeure la principale raison de ces unions forcées. L'allocation de 25 kilos de riz distribuée toutes les deux semaines par les ONG correspond à une famille moyenne de cinq personnes. Or, les familles Rohingyas comptent souvent plus de membres. Ainsi, cruellement rationnés, les parents choisissent de marier leurs filles pour avoir une bouche de moins à nourrir.
Sur une douzaine de jeunes filles interrogées par le journal britannique, une seule connaissait son mari avant le mariage et aucune d'entre elles n'avaient reçu d'informations sur la pratique du sexe. "Mes parents m'ont donné à mon mari parce qu'ils ne pouvaient pas me nourrir. Quand je me suis mariée, je pensais qu'il allait donc me donner à manger, je ne comprenais pas ce qu'il ferait (en termes de relations intimes, ndlr)", raconte Fatima, mariée à 12 ans. Marium, 14 ans, est arrivée au Bangladesh en septembre et s'est mariée trois semaines plus tard. "Je n'ai pas de père et j'étais un fardeau pour ma mère, donc je me suis mariée. Bien sûr, si ma mère avait eu les moyens de me nourrir, j'aurais été heureuse de pouvoir rester célibataire".
Muhammad Hassen a marié sa fille de 14 ans. "Nous sommes une famille de 10 personnes et nous recevons 25 kilos de riz toutes les deux semaines. Ce n'est pas suffisant pour nourrir tout le monde, explique-t-il à The Guardian. Bien sûr, si j'étais resté à Rakhine, j'aurais attendu pour marier ma fille. J'étais fermier. Je l'aurais nourrie (...) et les voisins m'auraient aidé. Ici, nous ne pouvons pas faire cela". Selon lui, les parents ne marient pas leurs filles par choix, mais par obligation. Les mariages précoces sont devenus une préoccupation profonde pour les agences de l'ONU. "Les filles et les femmes dans les camps de réfugiés sont particulièrement exposées au risque de mariage et autres formes de violences, indique Habibur Rahman, directeur de l'association bangladaise Brac. Le mariage des enfants est déjà courant chez les Rohingyas, mais la pauvreté et l'insécurité poussent de nombreuses familles déplacées à marier leurs filles encore plus tôt".
Le peuple rohingya est l'un des plus persécutés au monde. Rendus apatrides par le gouvernement birman qui les considère comme des migrants bangladais, les Rohingyas sont victimes de répression militaire depuis plusieurs années. En 2012 déjà, une vague de violences avait provoqué la déportation de 140 000 personnes vers la Malaisie et le Bangladesh. Le conflit ethnique armé qui a fini par éclater en août dernier a entraîné cette fois le déplacement de 600 000 autres personnes. Au total, près d'un million de Rohingyas sont réfugiés au Bangladesh dans des tentes de fortune, en proie à une immense précarité. Près de 100 000 autres sont également demandeurs d'asile en Malaisie. Le sort des jeunes filles et des femmes est particulièrement inquiétant.
De retour d'une mission humanitaire pour Médecins du Monde, la docteure Géraldine Brun alertait en octobre dernier sur cette crise humanitaire et sanitaire sans précédent. "Ils sont arrivés dans un état de malnutrition et d'épuisement majeur, après avoir marché 10 ou 15 jours avec peu ou pas à manger et quasiment rien à boire. Sans oublier le stress, les traumatismes". Une cellule psychologique a été mise en place pour les femmes : "C'est là que nous avons eu des témoignages sur des viols".
En Malaisie, le trafic de jeunes filles originaires de cette communauté est chose courante. Comme le soulignait Vice en 2016, la majorité des réfugiés rohingyas installés près de Kuala Lumpur sont des hommes. Dans certains quartiers, la demande de jeunes filles rohingyas est très forte et alimente des business d'êtres humains. Ciblées dans les camps, elles se voient proposer de venir vivre en Malaisie à moindre coût. Mais les termes du contrat changent souvent pendant leur voyage et elles se retrouvent endettées, captives de trafiquants qui les violent, les vendent ou les marient de force.
La situation est telle, que fin octobre, plusieurs personnalités, parmi lesquelles Omar Sy et Dj Snake, ont lancé un appel pour venir en aide aux Rohingyas. A ce jour, l'association Love Army est parvenue à collecter plus d'1,6 millions de dollars grâce à une collecte en ligne.