Antoine a 25 ans. Il y a moins d'un an, il rencontre Laura à l'étranger, pendant ses études. Le courant passe bien, ils se fréquentent jusqu'à ce que la jeune femme reparte en France, soit seulement quelques mois. Et puis, ils décident de rester bons amis. Antoine a encore quelques années à passer sur place. La distance est difficile à gérer, pensent-ils, mieux vaut ne pas faire les frais d'une histoire plus orientée sur la logistique des retrouvailles que sur les retrouvailles en elles-mêmes.
Pourtant, ils se rendent vite compte que leur envie de se voir ne décroît pas, et surtout qu'ils saisissent toutes les occasions (un aller-retour administratif, une visite familiale) pour passer du temps ensemble. Ils finissent par mettre des mots sur leur relation, pour tenter le coup. Comme aucun des deux n'arrive à se sortir l'autre de la tête, ils veulent se donner une chance malgré des interrogations quand à un avenir possible ensemble ("il n'y a aucun espoir pour que l'on vive dans le même pays avant encore quelques années", précise Antoine).
On est le 15 janvier 2020. Deux mois plus tard, ils se confinent ensemble, en France. Et quelques semaines après ça, ils se séparent. "J'étais censé passer quelques jours chez elle en France", confie-t-il. "Et l'annonce du confinement a transformé ces quelques jours en quelques semaines. On s'est retrouvés pendant un mois confinés à trois : elle, sa colocataire et moi. Vivre sous le même toit m'a fait découvrir des aspects de notre relation que je ne connaissais pas. Et puis, ça nous a montré, à elle comme à moi, qu'on n'était pas si attachés l'un à l'autre. Additionné au doute qu'on nourrissait déjà avant le confinement, ça a été le déclencheur de notre séparation."
Pas le happy ending attendu donc, mais le vécu de nombreux couples pendant la quarantaine. D'après une étude menée par l'Ifop, un sur dix envisagerait d'ailleurs de "prendre ses distances" après le déconfinement, et 4 % des Français·e·s de tirer un trait sur leur histoire. La situation exceptionnelle aurait révélé des failles insurmontables, et accéléré les décisions de rupture. Un phénomène qui s'observerait "plutôt chez les jeunes couples, sans doute les plus fragiles", assure François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualité à l'Ifop, au Parisien, car pour eux, "le confinement a été un poison et non un ciment". Dur.
"Le confinement a probablement précipité les choses", admet Antoine, qui rejette plutôt la faute sur l'incertitude de leur futur, indépendamment du Covid-19, que sur la promiscuité que la maladie a provoqué. D'ailleurs, dans de nombreux cas, les nouveaux ex ne partageaient pas le même toit. Et cette distance ne les a pas épargnés, au contraire. Estelle, 31 ans, a rencontré son ex sur Tinder six mois avant que le gouvernement ordonne l'auto-isolement. Ils habitaient dans deux villes différentes, à environ 170 kilomètres l'un de l'autre, et se voyaient lorsque lui se rendait près de chez elle pour le travail.
"Nous en profitions pour passer une à deux soirées ensemble par semaine et le reste du temps, nous nous écrivions souvent", confie-t-elle. "Même si nous ne voulions, ni lui ni moi, d'une relation à distance entretenue, nous n'avions aucune envie ni raison d'aller voir ailleurs et donc avions décidé par un accord tacite de 'voir où tout cela nous mènerait', sans pression. Et puis, le confinement est arrivé, ce qui ne nous a pas empêchés de poursuivre notre relation par messages, avec l'espoir de nous revoir à l'issue de cette quarantaine, ultime Graal".
Une perspective réjouissante qui ne verra pas le jour : une fois que son employeur l'aura averti qu'il n'aurait plus à se déplacer dans la région d'Estelle une fois les choses revenues à la normale, l'ex a préféré mettre fin à leur histoire. "Cette nouvelle a annihilé toute volonté de poursuivre quoi que ce soit. Nous avons rompu en visio par WhatsApp à mi-chemin du confinement. Un vrai conte de fées moderne." Ou quand le prince charmant devient crapaud, version 2.0.
Pour la philosophe Claire Marin, rien d'étonnant à ce que les langues (et les couples) se délient pendant une phase si particulière. "Le confinement est un point de rupture. Les choses apparaissent de façon flagrante, c'est une épreuve de vérité, on ne peut plus se mentir", avance-t-elle lors d'un entretien avec Le Monde.
Confronté·e·s à la crise sanitaire, nombreux·ses sont celles et ceux qui ont fait le bilan, plus ou moins volontairement, de leur quotidien. Vocation professionnelle, lieu de vie, confort, satisfaction générale de leur existence : tout est passé au crible. Et forcément, les relations n'y ont pas échappé. Certain·e·s en ressortent libéré·e·s, d'autres blessé·e·s. Mais pour ces dernier·e·s, comment avoir réussi à tourner la page à l'heure où sorties et rassemblements étaient proscrits ?
"Tous les moyens auxquels nous avons recours d'habitude pour nous distraire d'un chagrin d'amour ne sont pas disponibles", explique Dre Meghan Stubbs, sexologue, dans une vidéo qui aborde le sujet pour le Washington Post, publiée pendant le confinement. "On ne peut pas retrouver ses amis dans un bar, on ne peut pas suivre un cours de yoga pour expirer tout ça : on est coincé à la maison". La Dre Marni Feuerman, psychothérapeute, renchérit : "C'est une double dose de deuil. Mais il faut se rappeler que prendre de la distance physiquement ne veut pas dire prendre de la distance socialement." La sexologue lance : "Il faut parler davantage ! Contacter ses amis et ne pas attendre qu'ils comprennent qu'on ne va pas bien.é
Parler, c'est ce qu'a fait Antoine. "Dès le début du confinement j'étais fréquemment en contact avec mes amis par messages, appels, etc. Pour moi c'est un mode de communication qui n'est pas particulièrement exceptionnel, étant donné qu'on voyage tous beaucoup, donc je n'ai pas vraiment ressenti de manque au niveau social."
Estelle, elle, a privilégié une autre sorte de refuge, tout aussi salvateur : l'art. "Je me suis tournée vers les mots de mon auteur de prédilection, Fabrice Melquiot, et un film doudou à fort potentiel lacrymal : Mauvais sang (de Leos Carax, ndlr)." Elle opte pour "soigner le mal par le mal", nous dit-elle. "Me terrer profondément dans la tristesse pour m'en purger totalement". Et puis forcément, joindre son entourage grâce aux technologies qui ont rendu le confinement plus doux. Mais la jeune femme a aussi découvert un lien surprenant (et bienfaiteur) avec des inconnu·e·s : "Je suis sur Twitter depuis plus de 10 ans et c'est la première fois que j'ai ressenti une telle bienveillance et une solidarité spontanées des utilisateurs les uns envers les autres. L'anonymat aide beaucoup à se livrer, du moins en ce qui me concerne."
Exprimer ses émotions pour mieux s'en libérer, sans aucun doute. Mais aussi se rendre compte qu'on est mieux seul·e que mal accompagné·e ?
Emma, 40 ans, était en couple depuis six ans et demi avant que l'épidémie de Covid-19 ne frappe la France. Une relation qui partait à la dérive depuis deux ans déjà, avoue-t-elle, mais qu'elle ne s'était pas résolue à arrêter. "Un an après le début de notre histoire, j'ai commencé à souffrir de son besoin de grande liberté et de son manque d'engagement. Obnubilé par ses divers projets professionnels et artistiques, il n'y avait pas la place pour des projets à deux. On ne se voyait que le week-end ou parfois en semaine quand je n'avais pas mes enfants. Je ne voulais pas forcement que l'on vive ensemble, mais je vivais mal qu'il vienne quand ça lui chantait, et qu'il reparte parfois au milieu de la soirée."
Lorsque la quarantaine est annoncée, il lui fait clairement comprendre qu'il ne souhaite pas se confiner avec elle. "Cela a tout de suite signifié pour moi qu'il ne voulait pas sauver notre relation", poursuit Emma. "Et puis cet isolement, le fait de ne pas se voir, lui faisait du bien, et moi je le vivais mal. Lors de nos conversations téléphoniques, il bottait en touche dès que je voulais échanger à propos de notre relation." Elle raconte avoir été "vexée et jalouse" de son attitude envers elle, mais aussi de son comportement en général pendant la crise sanitaire ; il a continué à voir des amis au début du confinement, sans respecter les gestes barrières. "Il me disait qu'il avait peut-être le Covid comme son pote avec qui il était aller se promener fin mars". Elle poursuit : "J'étais mal, je me sentais seule".
Après que leur histoire se termine au bout d'une énième conversation téléphonique, elle s'inscrit sur Tinder "pour trouver de la compagnie virtuelle, voire plus si affinités !" Et ça marche. "J'y ai rencontré quelqu'un de très chouette avec qui j'ai pas mal échangé. Je viens juste de le rencontrer 'en vrai' lors de ce week-end de déconfinement, en toute simplicité pour l'instant !", détaille la jeune femme. "Il ne s'est encore rien passé entre nous. Je ne pense pas être tout à fait prête pour vivre autre chose, sans doute que je n'ai pas digéré encore ma rupture finale, mais ça m'a fait du bien d'échanger avec cet inconnu."
Quand elle fait le bilan, elle estime que la situation lui a permis de "sauter le pas définitif de la rupture". Et évoque "un confinement salutaire peut-être, en fin de compte. Seul le temps le dira." En attendant, comme les autres, elle sera davantage à l'écoute de ses envies, de ses propres besoins. Et surtout prête à aborder le monde d'après comme une chance de s'épanouir sans compromis.