"C'est un mot que je n'ai pas réussi à prononcer pendant longtemps : oui, j'ai été violée à 15 ans". Elles sont douloureuses et intenses, ces paroles de Sarah Abitbol, prononcées ce jeudi matin (30 janvier) sur France Inter. Face à la journaliste Léa Salamé, l'ancienne championne de patinage artistique est revenue sur les agressions sexuelles et les viols que lui aurait fait subir son entraîneur il y a des années de cela. Un témoignage fort, que l'on retrouve également dans les pages de L'Equipe et de l'Obs, et qui est au coeur du livre de la championne, en librairies ce 31 janvier : Un si long silence.
15, 17 ans. C'est l'âge qu'avait Sarah Abitbol quand son ancien entraîneur Gilles Beyer l'a violée à plusieurs reprises, de 1990 à 1992. Cette semaine, l'ancienne patineuse revient sur son adolescence. Et met en mots les maux de bien des victimes, que beaucoup peinent encore à comprendre. A savoir, le phénomène d'emprise, la souffrance, le (long) silence qui en découle, le sentiment de honte. Elle l'explique : "C'était un cauchemar. J'étais une jeune fille pleine d'ambitions dans le patinage et comme toutes les jeunes filles, on rêve du prince charmant, d'un amoureux. Ce qu'il a fait au plus profond de mon corps est terrible et ça l'est encore aujourd'hui".
"Pendant 10 ans, j'ai complètement oublié l'événement. J'ai fait une amnésie traumatique de 10 ans. A 28 ans, le corps a parlé en premier. Mon corps a lâché", explique-t-elle posément. Ces souvenirs, Sarah Abitbol a décidé de les dévoiler aujourd'hui. Comme les attouchements, agressions sexuelles et viols que lui aurait fait subir Gilles Beyer durant ce stage de 8 semaines, à La-Roche-sur-Yon.
"Je dormais avec mes peluches et il me réveillait avec sa lampe torche", relate-t-elle. Des abus sexuels affligés à la championne multi-médaillée jusqu'à ses 17 ans. Un calvaire "fort, tellement répugnant" qu'il aurait provoqué cette "amnésie traumatique", raconte celle qui des années durant s'est "terrée dans silence". L'amnésie traumatique est un phénomène psychologique très fréquent chez les victimes de violences sexuelles, mais on en parle toujours aussi peu. Elle concernerait pourtant pas moins de 59,3% des victimes de violences sexuelles dans l'enfance, souligne à ce titre la psychiatre Muriel Salmona du côté du Huffington Post.
Dans la bouche de Sarah Abitbol s'énonce la réalité de bien des agressions sexuelles, de l'emprise psychologique de l'agresseur et mentor ("Vous l'écoutez, vous l'admirez") aux sentiments ressentis par la victime (la honte, la peur), au "plus profond" d'un corps meurtri, jusqu'à cette crainte indignée, celle de l'impunité. Effectivement, comme le précise le journal L'équipe, Gilles Beyer aurait fait l'objet de plusieurs enquêtes aux débuts des années 2000, qui ont finalement provoqué la cessation de ses fonctions en tant que conseiller sportif, mais ne l'ont pas pour autant empêché de poursuivre sa carrière dans le milieu.
Et puis aussi, il y a le poids de ce silence, littéralement assourdissant : "Personne n'ose rien dire", s'attriste encore Sarah Abitbol, et cette omerta participe grandement au sentiment d'impunité de l'agresseur, et donc à son pouvoir. Mais aujourd'hui, la parole se libère. Et c'est une chose tout à fait salutaire, à en croire la ministre des Sports Roxana Maracineanu, qui l'affirme sur France Inter : "J'aimerais adresser tous mes remerciements à Sarah pour ce témoignage courageux. Il n'y a que comme ça que l'on arrive à agir". Son travail, développe la ministre, "est de faire en sorte que la parole se libère, que ces sportifs et sportives entendent que ces choses-là ne peuvent pas exister dans le sport".
Agir, c'est bien de cela dont il s'agit désormais, appuie la championne, qui incite le gouvernement à réviser la loi, et notamment le suivi judiciaire des agressions sexuelles.
"Il faut que la loi change. Il faut une non-prescription pour les crimes sexuels. Ça ne doit pas exister, qu'on ne puisse pas porter plainte après 15 ou 30 ans : les faits sont là", atteste-t-elle face à Léa Salamé. Des mots qui ont suscité l'adhésion de bien des internautes, émus par cette prise de parole. C'est par exemple le cas du compte féministe Paye ta Schnek, qui sur Twitter applaudit le courage de la patineuse et son "bouleversant témoignage", tout en précisant : "Je ne peux être plus d'accord quand vous demandez la non-prescription des crimes sexuels, vous avez totalement raison. Plein de soutien pour la suite".
Les mots de Sarah Abitbol bouleversent et appellent au changement. "Il y a forcément, autour de la performance, une relation très exclusive qui s'installe. Cette relation peut être sujette à des dérives. J'attends désormais des fédérations un vrai engagement et un changement des mentalités. Les fédérations sont là pour nous demander de l'argent, nous on est là pour leur demander des comptes", poursuit Roxana Maracineanu au micro de France Inter. Une volonté exprimée en écho aux témoignages édifiants recueillis par L'Equipe : comme l'indique le média, il est plus que temps de désirer "la fin de l'omerta" sur les violences sexuelles dans le milieu du patinage artistique.