L'été arrive et avec lui, nos envies de renouveau. On a passé tout le confinement à draguer sur Tinder, on veut du concret. On a soif de peau, de corps qui s'enlacent, de gémissements. De tentation d'un soir à laquelle on cède sans rien devoir au matin. D'habitude, les bars bondés et transpirants font l'affaire. On y entre, on repère, on se tourne autour, on repart. A deux, ou plus. La moiteur de la saison nous excite autant que les courbes de l'autre, dont on découvre chaque recoin dans le noir.
On sait qu'on ne le·la reverra pas, et c'est ce qui nous plaît ; l'intensité de ces moments se nourrit de leur caractère éphémère. Car les minutes sont comptées. Et pour le meilleur : un plaisir unique puisque libéré de la pression qui nous fait fuir les rencontres moins passagères. Parfois, c'est ce qu'il nous faut, un coup d'un soir. Se détacher des codes pour s'abandonner entièrement, et finalement se connaître.
Depuis que la pandémie rode pourtant, fini les aventures anecdotiques. Chacun·e chez soi pour mieux se protéger et surtout, protéger les autres. On a enregistré les gestes barrières, on applique tant que faire se peut le mètre de distance dans les lieux publics. Les choses ont changé. Les choses vont changer. Entre deux interrogations sanitaires et économiques, on se demande : quel avenir pour nos nuits érotiques ?
Alors qu'on nous somme de ne pas se toucher pour éviter de propager le virus, comment va-t-on les adapter à un nouveau quotidien plus distancé ? On a demandé à Tiphaine Besnard-Santini, sexologue, de nous éclairer sur le sujet. Et une chose est sûre : l'heure est à l'innovation.
La spécialiste l'affirme sans détour : la drague a elle aussi été impactée par le Covid-19. Il faut donc s'attendre à ce que nos habitudes dans le domaine soit bousculées. "On va perdre une forme d'innocence, de légèreté", entame-t-elle. "Il va y avoir un peu d'appréhension. Peut-être pas jusqu'à la fin des temps, mais dans les prochains mois, certainement".
Et il serait naïf d'imaginer le contraire : à la vitesse où l'épidémie court, difficile d'approcher un.e inconnu.e sans penser aux conséquences. Cependant, elle l'admet, il y a des chances que tout le monde ne soit pas aussi scrupuleux·se.
"Il y a des personnes très strictes sur le respect des règles et d'autres pour qui c'est moins le cas", poursuit Tiphaine Besnard-Santini. "On le voyait déjà pendant le confinement, certains sont sortis à droite à gauche. Pour le sexe c'est pareil : il y en a qui prennent le risque, d'autres qui préfèrent repousser l'interaction".
Repousser, d'accord, mais vers quelle alternative ? Car les remparts face au virus semblent compromis en cas de relation sexuelle. "C'est sûr que c'est compliqué d'imaginer un rapport ganté, masqué, sans échange de salive", plaisante-t-elle. Seulement pour l'experte, c'est justement l'occasion "d'explorer d'autres territoires." On est toute ouïe.
On part souvent du principe que le coït se résume à la pénétration, et la jouissance au contact charnel. Une erreur qui nous prive de bien des plaisirs, que la situation actuelle peut nous permettre de découvrir. "Le moment invite à mettre en avant d'autres aspects de la séduction", assure la sexologue. "Insister sur l'aspect fantasmatique, échanger des sextos ou des images, des vidéos érotiques de soi".
Plutôt que de regretter le peau à peau, on réinvente les règles du jeu. Le "coup d'un soir" devient tout aussi orgasmique s'il est pratiqué à distance. On se dévoile derrière un écran, voire d'un bout à l'autre du lit, "en se masturbant en face à face".
On mise sur "toutes les choses qui vont faire que le désir va exister mais sans réel contact", conseille Tiphaine Besnard-Santini. "Laisser plus de place au fantasme", insiste-t-elle, "à l'érotisation cérébrale. Se caresser soi sans caresser l'autre." Regarder du porno à deux, tenter le tantra...
Des activités qu'on réservait jadis à une relation plus construite ("c'est plus difficile de les imaginer avec un·e inconnu·e", estime l'experte) mais qui ouvrent aussi d'autres horizons, et pourquoi pas une complicité inattendue avec celui ou celle qu'on n'aurait peut-être pas pris la peine de connaître pré-pandémie. Sur les applis de rencontre, les utilisateur·ices avouent discuter davantage, rappelle la sexologue. "C'est important, aussi, de rencontrer la personne pour ce qu'elle est", glisse-t-elle.
D'ailleurs, c'est en ligne que se passeront certainement les prémices de ces histoires fugaces, en attendant que les bars, lieux de prédilection des amoureux d'une nuit, rouvrent. Au fil de conversations qui pourraient découler sur une affection plus prolongée, qui sait ? Quoiqu'il en soit, c'est certain : le rituel n'a pas dit son dernier mot.
Mieux encore, en réponse aux contraintes justifiées, on ouvre une parenthèse envoûtante qui lui donne des possibilités jubilatoires. "Ce n'est pas la fin des coups d'un soir", conclut Tiphaine Besnard-Santini. "C'est plutôt le début d'autre chose". Et cette perspective nous réjouit.