"Il m'a fait me déshabiller et m'a prise en photo nue. J'étais dans son lit, il me tenait dans ses bras, il m'a fait toucher son sexe. Je lui ai dit que je ne me sentais pas bien. J'étais allongée et je voulais partir, mais il me bloquait avec ses bras". Voici les mots de Léonie, relatant sur le site Neon l'agression sexuelle que lui aurait fait subir le musicien Spleen lors du festival parisien We Love Green en juin 2018, alors qu'elle n'avait que 19 ans. Trois mois plus tard, la jeune femme a porté plainte contre ce dernier. Sans succès.
Des témoignages accablants comme celui-ci, l'enquête de Neon en regorge, et elles recouvrent plusieurs années. Connu pour sa participation au télé-crochet The Voice en 2014 et ses compositions diverses - pour la bande-originale du film Les poupées russes notamment - l'artiste fait effectivement l'objet d'une vingtaine d'accusations d'agressions sexuelles. De propos et gestes déplacés, de baisers forcés, d'attouchements, de menaces - de diffusion de nus par exemple, la plupart du temps sur de très jeunes femmes.
"Ce qui est terrible, c'est que tout le monde le sait. Quand j'ai commencé à en parler autour de moi, ça n'a surpris personne. Les gens qui travaillent dans les médias sont habitués à voir ces mecs qui ont des comportements inacceptables. Et puis, il y a un fantasme de la groupie qui a été construit, un fantasme de la disponibilité des femmes", déplore la journaliste musicale Sophie, que Spleen aurait embrassée de force sur scène.
Une analyse volontiers illustrée par d'abondants témoignages, qui comme dans bien des affaires similaires rendent compte d'une attitude systémique, caractérisée par un indéniable sentiment d'impunité. Et ce n'est pas la moindre des paroles qui ponctue le travail d'investigation de Neon, initié par le mouvement #MusicToo, collectif anonyme contre les violences sexistes et sexuelles dans l'industrie musicale.
Systématisme, puisque le cadre est toujours le même : des supposés shootings organisés dans l'appartement du musicien et proposés à des jeunes femmes d'une vingtaine d'années en moyenne. Face-à-face dont rendent compte Julie (Spleen aurait insisté pour qu'elle "simule un acte sexuel), Maeva (laquelle se serait retrouvée nue, avec le chanteur allongé sur elle, en train de l'embrasser), ou encore Mélanie, qui accuse le chanteur de viol. "Il a commencé à se déshabiller et me dire : 'Fais-moi une fellation'. Je lui ai répondu non, cinq, six fois. Après, il m'a mis sur lui et là, il m'a violée. J'étais en sidération et il me chantait à l'oreille des trucs", témoigne-t-elle.
"J'ai vraiment envie que ça n'arrive pas à d'autres filles", affirme désormais cette dernière, qui n'avait que 19 ans au moment des faits présumés. Gwendoline, elle, en avait 22 lors de l'agression qu'elle narre à Néon. Dans l'appartement de Spleen, elle aurait également subi des tentatives de baisers forcés. Mais pas seulement. "Il a fini par me prendre, me lever et me mettre sur son lit, de force. J'étais en train de crier. Il a essayé de me déshabiller, s'est allongé sur moi, je le tapais, et il a finit par se branler sur moi. Il a éjaculé sur mon ventre", raconte-t-elle. Une agression que le musicien aurait achevée d'un simple : "A bientôt".
Au creux de ces voix, une interrogation : les créations de Spleen témoignent-elles de ces violences présumées ? C'est en tout cas ce que semble suggérer une interlocutrice anonyme qui aurait contacté les modèles d'une exposition photo organisée par l'artiste en avril 2019 : "L'expo est entamée, on est en train d'installer les cadres, Spleen me donne le contact de plusieurs filles et la plupart me disent qu'elles ont vécu un enfer. Quand je lui rapporte ça, il est dans le déni, persuadé d'être un bourreau des coeurs, un séducteur de folie", dit-elle.
Aujourd'hui, le chanteur est justement accusé d'avoir utilisé des photographies et films de ses victimes, sans leur consentement, dans le cadre de ses projets. Ou d'en avoir fait le principal argument de chantages et de menaces diverses. Certaines voix affirment également avoir été filmées, nues, à leur insu, dans l'appartement.
"Ce malade m'a envoyé une capture de la vidéo qu'il a prise de moi pendant qu'il était en train de me violer !", déclare à ce titre Rose, une autre victime. Aujourd'hui, chacune de ces anonymes, évoquant à l'unisson une sorte de phénomène d'emprise, exige la même chose : libérer la parole pour faire cesser une forme d'impunité.
Contacté par Neon, Spleen aurait "démenti, via ses avocats, l'ensemble des allégations formulées contre lui par les témoins qui s'expriment dans cette enquête".