"Cela fait deux ans que Mahsa Amini est morte"
Ce 12 septembre on sent l'émotion parcourir la coquette salle du Studio Marigny, dont aucun siège n'a été laissé vacant.
Ces mots de l'autrice, metteuse en scène et comédienne Aïla Navidi viennent achever la première de la reprise de sa pièce de théâtre, sacrée à la dernière cérémonie des Molières : 4211 KM. Soit la distance qui sépare Téhéran de Paris. Et à travers elle, le récit, par la jeune Yalda, née en France, de ses deux parents iraniens et de leur odyssée tumultueuse, entre combat pour la liberté violemment réprimé et insoutenable mal du pays. Un sentiment bien connu des nombreux réfugiés politiques et exilés.
Lauréate des Molières du Meilleur Spectacle de Théâtre privé et de la Révélation féminine pour Olivia Pavlou-Graham, 4211 KM fait donc son retour à Marigny et son autrice en profite pour dédier cette reprise à Mahsa Amini, décédée à 22 ans seulement suite son arrestation par la police des moeurs - une unité iranienne, patrouillant dans les rues afin de vérifier que les règles islamiques sont bien respectées. La jeune femme avait été arrêtée à Téhéran au motif que son voile aurait été "mal mis". La police de Téhéran avait quant à elle invoqué "une crise cardiaque"...
Sur les planches, on ressent encore l'indignation d'Aïla Navidi, et c'est le même sentiment qui traverse sa pièce. Une histoire qui, cependant, a provoqué les rires du public - et les nôtres - grâce à l'écriture touchante et piquante de son autrice. On vous raconte cette soirée riche en émois...
Sur scène, nous suivons au fil des analepses le récit de Mina et Fereydoun, parents venus d’Iran, déracinés, et toujours révoltés, à l'image d'un peuple combattant pour sa liberté d'expression.
Les régimes se succèdent mais la douleur perdure. Une conclusion qui ne cesse de faire écho à l'actualité. Récemment encore, c'est sur les ondes de France Inter que le cinéaste iranien en exil Mohammad Rasoulof n'a pu retenir ses larmes, déplorant : "Le monde a beaucoup changé. Tout me manque dans mon pays". On constate que le même désespoir recouvre cette histoire familiale à la mélancolie tenace.
Mais, on a pu de nouveau le voir lors de cette reprise, ce qui noue le coeur en assistant à 4211 KM se voit volontiers bousculé par d'enthousiasmants contrepieds : un rythme très dynamique, fait de transitions-éclairs démontrant une vraie limpidité narrative, baladant d'une minute à l'autre son public entre deux époques et deux nations, et pour servir ce tempo, des interprètes qui à l'unisson redoublent d'entrain.
Ainsi face à l'énergie des comédiens, on s'est volontiers enjoué des nombreuses séquences où musique, complicité familiale et rires viennent quelque peu déjouer les larmes - bien présentes cependant, face aux instants les plus tendres et intimistes.
Il faut dire que cet élan tragicomique doit beaucoup Olivia Pavlou-Graham, véritable révélation théâtrale.
Dans la peau de Yalda, fille tout juste devenue mère, sa fantaisie fait merveille lorsqu'elle se remémore son amour adolescent d'Ophélie Winter (nostalgie) ou ses chorégraphies survoltées dans sa chambre d'Ivry sur Seine sur fond de rap nineties. Entre ces parenthèses burlesques s'amorcent des instants en apesanteur : cette image de Yalda laissant s'échapper un ballon rouge de ses mains, dans l'espoir qu'il parvienne à son père absent, loin, trop loin d'elle. Et le temps soudain semble se suspendre...
Une certaine idée de la poésie qui traverse cette pièce aussi intime que politique. C'est dire si la standing-ovation est venue s'imposer d'elle-même : un public debout face à une troupe d'artistes fiers de faire porter les voix de celles et ceux qui ne le peuvent pas toujours.
4211 KM. Au Studio Marigny - Paris 8e, Représentations à partir du 12 septembre 2024. Du mercredi au samedi à 21h Les dimanches à 15h. À partir du 21 octobre, représentation supplémentaire les mardis.
Texte et mise en scène de Aïla Navidi. Avec Olivia Pavlou-Graham, Florian Chauvet, Aïla Navidi, Benjamin Brenière...